CHAPITRE 11 (2/3)

4 minutes de lecture

Ma journée du vendredi est très particulière. J’étais supposée m’occuper de deux macchabées, finalement, j’en ai eu quatre de plus et j’ai refusé le dernier afin d’arriver à l’heure à mon rendez-vous. Je n’ai eu que des cas peu ordinaires : une mamie de cent un ans qui avait demandé à ce qu’on l’inhume avec son doudou de naissance, qu’elle avait conservé toute sa vie ; un papi qui voulait absolument être revêtu de son costume de marié, dans lequel il ne rentrait plus depuis plusieurs années, j’ai réussi à me débrouiller comme j’ai pu ; une femme de vingt-huit ans, emportée par un adénocarcinome mammaire, dont la famille a insisté pour que j’enlève les armatures de son soutien-gorge, origine potentielle, selon eux — et plusieurs médecins — de sa maladie ; un jeune de trente et un ans mort d’une chute en moto, alors qu’il avait un cancer du pancréas, que j’ai dû habiller en escrimeur, et à qui j’ai placé le fleuret dans sa main gauche ; un nonagénaire décédé d’un accident vasculaire cérébral massif, à qui j’ai enfilé une tenue d’équitation, de la bombe aux bottes, en passant par la cravache ; et enfin un quinquagénaire terrassé par une crise cardiaque en plein acte sexuel fétichiste et adultère, dont l’énorme sextoy est resté coincé dans son anus. Franchement, j’en vois quand même de toutes les couleurs ! Aucun soin, aucun défunt n’est identique, cela me permet de ne jamais plonger dans la routine.

Au moment de monter dans ma voiture pour me rendre à mon rendez-vous, je reçois un message de Fabien :

Fabien : Salut, je ne sais pas trop comment te le dire... je suis désolé pour hier. Je n’aurais pas dû te parler comme ça. J’étais mal, j’avais un peu trop picolé et fumé, je n’étais pas dans mon état normal. J’ai été nul.

Moi : Ce n’est pas grave, l’essentiel est que tu ne recommences plus.

Fabien : Tu es sérieuse ? Tu ne m’en veux pas ?

Moi : Non, rassure-toi, tu feras mieux la prochaine fois ;-)

Fabien : Tu es géniale. J’ai de la chance de t’avoir. On se voit ce soir ? Chez toi ou chez moi ?

Moi : Je crois qu’on s’est mal compris, Fab. Je ne t’en veux pas parce que je m’en tape. Et quand je te dis que tu feras mieux la prochaine fois, je parle de ta prochaine meuf. Avec moi, c’est mort. Je dois te laisser, j’ai des trucs de prévus. Pas la peine de me rappeler ni de répondre à mon message.

Genre, le mec m’a pris pour la reine des courges. Vraiment, il ne me connaît pas ! Au moins ai-je maintenant la certitude absolue que c’est ce qu’il pouvait m’arriver de mieux.

Il est dix-sept heures cinquante-six lorsque je sonne, honteuse, chez la psy. J’avoue qu’une partie de moi espère qu’elle n’est plus là. Cette fois non plus, mon postérieur n’a guère le temps de toucher la chaise, avant que la porte ne s’ouvre :

— Eh bien, mademoiselle Valbens, on a activé le mode « autosabotage » ? Entrez.

— Bonsoir, désolée pour le retard, je croyais, hum… je croyais que vous seriez déjà partie.

— C’est mal me connaître. Asseyez-vous. Pourquoi êtes-vous en retard ? Pas envie de passer le Wisc, mais envie en même temps, c’est bien cela ?

— Vous êtes psy ou voyante ?

Le rire cristallin d’Aurélie Irvin résonne, et sa bonne humeur se répand dans la petite pièce. Pourtant, elle doit voir de sacrées merdes, j’imagine.

— L’essentiel est que vous soyez finalement venue. Comme je vous l’ai expliqué, le test est assez long, tout en étant très bien fait pour qu’aucun temps mort ni monotonie ne vous perturbe. La plupart de ceux qui passent le Wisc ont aimé. J’ai simplement besoin de savoir, avez-vous réfléchi à ma proposition concernant le Rorschach et le T.A.T (Thematic Apperception Test) ?

Je tente de froncer les sourcils, ça me dit vaguement quelque chose.

— Vous vous souvenez, les tests de personnalité dont je vous avais rapidement parlé et qui pourraient compléter efficacement le Wisc ?

— Ah oui ! Je m’en rappelle ! Non, je ne suis pas prête pour ça, je préfère ne pas rentrer trop profondément dans mon cerveau torturé.

— Au contraire, cela pourrait vraiment vous aider. Cela dit, je n’insiste pas, vous le ferez quand vous le sentirez.

— Oui, voilà.

— Vous voulez un verre d’eau avant de commencer ? Vous devez vous détendre absolument, vous ne passez pas le bac, vous savez ! lance-t-elle en rigolant.

J’accepte sa proposition, et nous débutons le Wisc, par les cubes de Kohs, en bois. Au départ, c’est assez simple, il me suffit de reproduire des figures avec les motifs rouge et blanc, en les associant pour obtenir les bonnes formes. Plus l’épreuve avance, plus on ajoute de cubes et plus les dessins sont difficiles. C’est l’un des items chronométrés, et elle se corse assez vite. Ensuite, j’enchaîne les subtests sans prendre de pause, malgré les multiples propositions de la psy, et ce, jusqu’au bout. Certaines parties ont été plus faciles que d’autres. Aurélie Irvin avait raison, à aucun moment je n’ai trouvé ça chiant, et j’ai bien aimé. Un peu plus de deux heures plus tard, j’ai terminé, c’est passé super rapidement. Quelle que soit la conclusion de cet « examen », je suis fière d’avoir eu le courage d’être venue. Ma thérapeute m’informe que, grâce aux vacances, elle a moins de monde en consultation et que j’aurais le bilan assez vite, probablement sous une semaine au lieu de trois habituellement. Elle m’appellera pour prendre rendez-vous en vue de la restitution, en précisant qu’elle a noté « certaines choses » qui laissent envisager « des résultats intéressants ». Cependant, les calculs étant très compliqués et très longs, elle préfère ne pas m’en dire davantage.

Annotations

Vous aimez lire Virginie Favre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0