CHAPITRE 10 (1/4)

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L’état de santé de Fathia semble doucement s’améliorer. Aujourd’hui, et devant elle, le médecin m’a indiqué déceler les premiers signes de réveil, ce qui est, selon lui, très encourageant. Elle ouvre parfois les yeux durant ses séances d’écoute de musique classique quotidiennes, et répond à quelques stimuli. Il lui arrive aussi de grimacer lors des massages qui lui sont prodigués, et même si cela paraît barbare, le toubib insiste sur le fait que le rapport à la douleur est primordial, au même titre que les rituels. Il m’explique qu’un coma, c’est un peu comme un voyage dans le cosmos : il n’y a plus de haut ni de bas ni de repère temporel. C’est pourquoi la régularité est essentielle, tout comme la répétition des soins. La douceur avec laquelle il s’adresse à moi et ses paroles chaudes me redonnent de l’espoir. Il m’invite à beaucoup lui parler avec des mots positifs et réconfortants. Par la force des choses, je m’abstiens de narrer ma journée de merde, et détaille plutôt la beauté du paysage que je perçois de la fenêtre. Je tente de montrer à Fathia, les couleurs de cette fin d’après-midi d’été. En vue de rester la plus optimiste possible, je termine ma visite de presque deux heures en stimulant au maximum ses capacités et sa force mentales :

— Tu sais que tu es une battante, ma Fafa, tu es obligée de t’en sortir. Tu vas réussir à surmonter tout ça, c’est sûr ! J’ai confiance en toi, les médecins et les infirmières aussi. On compte tous sur toi, pour montrer aux salopards qui t’ont fait ça que tu es bien plus courageuse qu’eux. Je repasse te voir demain, et je suis certaine que tu auras encore progressé. Courage, ma belle, je serai là pour te soutenir aussi longtemps que tu en auras besoin. Jamais je ne te laisserai tomber, je te le promets.

J’embrasse tendrement mon amie sur ses deux joues pâles et amaigries, et je reprends la route en direction de mon appartement. Sur le trajet, je me perds dans mes pensées. Je ne peux m’empêcher de songer que ce qui est arrivé n’est qu’un immense gâchis. Fabien m’appelle tandis que des larmes chaudes troublent ma vue. Sans me brusquer, il souhaite qu’on passe la soirée ensemble si, moi aussi, j’en ai envie. Après une courte réflexion, même si je déteste que mes amants franchissent le pas de ma porte, je lui donne mon adresse afin qu’on se rejoigne à mon appartement. J’ai un furieux besoin de compagnie, mais je suis trop éreintée pour me changer et ressortir ensuite. J’espère ne pas avoir à le regretter plus tard.

Lorsque je me gare au pied de l’immeuble, il n’est pas encore là. Je monte directement, ça me permettra de prendre une douche avant qu’il arrive. Ah non, il patiente devant chez moi. Surprise, je lui demande :

— Comment tu es rentré ?

— Ton charmant voisin du quatrième étage m’a questionné gentiment sur la raison de ma présence ici.

— Ben voyons…

— J’attendais en bas, en cherchant ton nom sur l’interphone, et il a voulu savoir qui j’étais et qui je venais visiter. Il n’a pas cessé une seconde de me détailler de la tête aux pieds. Je lui ai répondu que j’étais huissier de justice et que je devais accéder à ton appartement. Il a souri avec tant de méchanceté et de vice que j’ai cru qu’il allait jouir dans son jogging kaki-maronnasse. Il m’a ouvert avec un plaisir évident. C’est aussi simple que ça.

— En même temps, avec ton costume Armani, c’est plausible. Tu es un petit filou, toi !

— Et toi, tu as une mine aussi pâle que celle de tes cadavres. On reste à discuter devant la porte où on rentre avant que tu ne t’endormes ?

— Tu as de l’humour, ce soir.

Tout en pénétrant dans l’appartement, Fabien s’enquiert de la santé de Fathia. Je lui rapporte les explications du médecin, et mon espoir qu’elle s’en sorte plus ou moins indemne. Ensuite, pendant qu’il s’installe sur le canapé, je file me rafraîchir et me changer. Une fois que je suis prête, nous prenons une bière et décidons de commander chinois pour le dîner. En dépit du fait que je sois chez moi, il est hors de question que je paie, j’évite donc soigneusement d’insister lorsque Fabien se propose de régler la note. D’ailleurs, j’y songe, je n’ai pas regardé mes comptes depuis plusieurs jours, peut-être une ou deux semaines, en réalité. J’appréhende un peu, alors que je n’ai pas dépensé depuis longtemps. Je verrai ça demain. Pour l’instant, une partie de jambes en l’air va me permettre de me ressourcer. Et dire que certains font du sport en salle… merde, mon tapis de course ! Ça aussi, je verrai demain.

La soirée s’est déroulée à merveille, Fabien est parvenu à me changer les idées et j’hésite à lui proposer de passer la nuit ici. J’ai bien conscience que je devrais m’abstenir, pourtant…

— Bon, ma belle, je dois y aller. Je me lève tôt, j’ai beaucoup de route. J’aurais bien aimé prolonger ces délicieux moments, je suis navré.

Ah ! Ben, voilà… c’est mieux comme ça, merci !

— Pas de soucis, je comprends.

Et je suis soulagée.

Lorsqu’il s’en va, j’ai la sensation étrange qu’il serait plus judicieux pour moi que je mette fin à notre relation très rapidement. Je ne suis clairement pas suffisamment amoureuse de ce type pour risquer quoique ce soit qui pourrait me nuire. C’est dommage, j’ai la fâcheuse tendance à me sentir bien auprès de lui. Mentalement, je mets cette pensée dans la case « je verrai ça demain », et je vais me coucher.

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