CHAPITRE 9 (3/4)

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Quand j’ouvre le sac mortuaire de monsieur Borloni, je constate qu’en effet, il ne s’est pas raté, c’est le moins qu’on puisse dire, et qu’il y a un sacré travail à effectuer. Je débute donc les soins, et lorsque j’ai presque terminé, je procède à la reconstruction de son crâne. Deux heures et demie plus tard, il est comme neuf. Je suis fière de moi. Franchement, j’ai assuré, on dirait vraiment qu’il dort tranquille. Seul persiste un petit renfoncement que je n’ai pas réussi à combler autant que je le voulais. Damien vient le chercher pour l’exposer à sa veuve. Je m’empresse de me changer, et je me présente à elle. Beaucoup de mes collègues ne prennent pas cette peine, je le sais. Moi, je pense que c’est très important pour les proches de mettre un visage sur la personne qui s’est occupée de la dépouille. La pauvre femme se confie longuement sur les malheurs qui se sont abattus sur sa famille, et sur la haine que vouait son mari à l’assassin de leur fille. Elle m’indique que c’est la première fois depuis le drame, et la dernière, qu’elle revoit son époux. Le sourire triste et les yeux vides qu’elle pose sur moi me donnent la chair de poule. Je réalise qu’elle se retrouve complètement seule, d’un coup. Cela doit être terrible. Fathia aussi est seule. Tout comme moi, d’ailleurs. Merde… ça me met le moral à zéro.

La route qui me sépare de chez « Alonzo Père & Fils, Pompes Funèbres depuis 1996 » me permet de prendre du recul. Xavier m’accueille chaleureusement, regrettant que nous n’ayons pas encore trouvé le temps ni de nous appeler ni de boire le café qu’on s’était promis. Ce type est adorable et très humain, sans tomber dans le gnian-gnian. Un vrai bon collègue, particulièrement sérieux dans son travail.

Il est l’heure pour moi de m’occuper de cette crevure de Kaïra, et je ne m’y atèle pas de gaieté de cœur. Néanmoins, je m’applique autant à le rendre présentable, que je le fais pour les autres. Ma conscience professionnelle m’y oblige. Comme pour le punir, je refuse de lui parler ainsi que j’en ai pourtant l’habitude. Je n’ai rien à lui dire que de mauvaises paroles, je préfère me contenter de lui souhaiter de se trouver là où il doit être. D’ailleurs, je ne mettrai qu’une mini bougie chauffe-plats pour lui, ce soir, tandis que son meurtrier aura droit à une jolie verte.

J’ai terminé mon ouvrage le mieux possible. J’ai donné le maximum. Tandis que je range mes affaires, la porte s’ouvre brusquement derrière moi. Je comprends instantanément que Sophie la connasse est là.

— Il est prêt ?

— Bonjour, Sophie.

— Il est prêt ?

Bonjour, Sophie.

— Tu vas jouer longtemps ?

Bonjour, Sophie.

Un soupir sonore me montre l’exaspération que j’ai réussi à déclencher chez elle, en deux mots seulement. J’en souris.

— Bonjour, Zoé ! Tu es contente, maintenant ?

— Je voulais m’assurer que tu fasses preuve d’un minimum de politesse quand tu t’adresses à moi.

— Pfff

— Je remarque que ta répartie et ton vocabulaire sont à la hauteur de ton intelligence.

— Non, mais pour qui tu te prends, madame la reine du monde ?

— Arff, je n’ai pas été assez prudente : tu as réussi à me démasquer ! Comment as-tu deviné ? Qu’est-ce qui t’a mise sur la piste ? Non, laisse, finalement, je préfère que tu gardes ce mystère. Sache, cependant, que l’opinion que tu as de moi m’honore, Sophie, et que je te remercie de me voir enfin telle que je suis.

Je prends un plaisir fou à la regarder crisper son visage et devenir cramoisie. Si je la pousse encore un peu, elle va claquer un truc dans son cerveau dépourvu de neurones. Je préfère ne pas être sur place quand ça arrivera, sinon, je devrais lui porter secours.

— Tu es complètement mégalo, ma pauvre.

— Ah non ! La mégalomanie est « un comportement pathologique, caractérisé par le désir excessif de gloire et/ou de puissance ». Or, c’est toi qui m’attribues le titre de « madame la reine du monde », et non moi qui le désire. Je ne suis donc pas mégalo. CQFD.

— Pfff

— Ouais… impossible pour moi de lutter contre de telles répliques et de tels arguments absolument imparables. Tu m’as eue. Pour répondre à ta question, Kaïra peut désormais être exposé devant ses proches. Je vous laisse faire le nécessaire tandis que je me rends présentable, très chère.

Mon ton altier et mon petit geste désinvolte de la main l’agacent encore plus. Je jubile. J’attrape mes deux valises, et passe devant l’écervelée cocue. Sourire aux lèvres, telle une princesse, la tête haute et l’allure fière, je la toise avant de sortir sous ses insultes.

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