CHAPITRE 9 (2/4)

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Je me dirige dans les méandres des couloirs à l’aide des pancartes. Inopinément, je parviens à dégoter une adorable infirmière à qui j’explique ma situation. Elle accepte de m’escorter jusqu’à la chambre de Fathia. Je lui demande s’il est possible de rencontrer un médecin qui pourrait m’informer de ce qui s’est passé. Elle acquiesce poliment, et m’assure qu’elle m’envoie quelqu’un. C’est avec une immense appréhension que je pose ma main droite sur la poignée de cette grande porte grise. Si elle est là, c’est qu’elle va très mal. Personne n’a voulu me donner de détail par téléphone et j’ai peur de ce que je vais découvrir. Je tente de me préparer au pire, même si c’est finalement impossible. Je sais qu’en théorie, j’aurais dû être reçue dans une salle particulière avant de la voir, mais l’infirmière, prise dans la spirale infernale de son boulot harassant, n’a pas dû percuter. Peut-être est-elle déjà repartie vers ses patients sans même avoir eu le temps de transmettre ma demande au doc. J’ouvre fébrilement, et je découvre mon amie, branchée, intubée, perfusée, et multi contusionnée. Je m’approche lentement et silencieusement, comme si j’avais peur de la déranger. Ça me fait mal de la voir comme ça. Les yeux fermés, elle ne respire que grâce à une machine. Les larmes montent immédiatement. Je m’assieds sur le rebord de son lit, saisis doucement sa main, et murmure :

— Putain, Fathia, qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Une voix me fait sursauter, et mon cœur manque de s’arrêter :

— Elle a été agressée par trois voyous, en retirant de l’argent au distributeur. Des passants ont appelé la police, mais il était trop tard pour les appréhender. Ils ont pris la fuite.

Les joues pleines de larmes, je demande au médecin, reconnaissable à son mythique stéthoscope autour du coup :

— Elle va s’en sortir ?

— Venez avec moi, propose-t-il gentiment, je vais tout vous expliquer.

Cette fois, il m’emmène dans la fameuse salle d’information. Il préfère me parler sans la présence de Fathia, car il est persuadé qu’elle entend, et que son cerveau enregistre tout. Il m’indique qu’elle souffre d’un œdème cérébral et de multiples fractures. Bref, elle est dans de sales draps. L’air sérieux, il m’affirme ignorer si, et quand, elle va s’en sortir, encore moins dans quel état. Il est franc sans être froid, il se montre compréhensif à ma douleur, et compatissant. Ce petit homme maigrelet m’explique qu’il est persuadé que la présence d’un être cher peut aider, et il insiste sur le fait que je serai la bienvenue à n’importe quelle heure. Je peux également rester la nuit, si je le souhaite. Apparemment, il s’appuie sur de récentes études pour laisser la porte ouverte aux proches, aussi souvent et longtemps que nécessaire, en vue d’apporter du réconfort aux patients, y compris pendant les soins. D’après lui, cela semble porter ses fruits. Un médecin bienveillant et empathique, une chance pour Fathia. Malgré sa gentillesse, je suis complètement effondrée. Une agression pour quelques euros, le prix d’une vie qui bascule sans autre raison que la connerie humaine, et qui ne sera probablement jamais punie. Pire, ces brutes dépourvues de cerveau pourront recommencer à loisir. La pauvre paie cher la bêtise de ces imbéciles abjects. La nausée me gagne, je demande un verre d’eau. Tandis que le vieux médecin sourit tristement et se lève pour m’apporter à boire, j’attrape mon Rescue. Je ne suis pas près de le lâcher, ce flacon presque vide…

Je reste auprès de mon amie jusqu’à la nuit tombée. Aucun mot ne peut sortir de ma bouche. Moi qui suis si bavarde, d’habitude, là, je ne peux que lui tenir la main. Il commence à se faire tard, je lui promets de revenir demain après le boulot. D’une voix tremblante et pathétique, je lui souhaite la meilleure nuit possible. En sortant, j’envoie un message à Fabien pour lui annoncer la triste nouvelle. J’hésite à me confier à Clara, puis me ravise. J’appréhende nos retrouvailles, tout en prenant conscience que je perds mon temps à lui en vouloir pour avoir sacrifié notre amitié au nom de notre amitié. Je rentre chez moi éreintée, je sombre rapidement pour dans un sommeil mouvementé.

Au réveil, j’appelle l’hôpital pour avoir des nouvelles. Personne ne peut, ou ne souhaite, rien me dire puisque je ne suis pas de la famille. Je les maudis de faire correctement leur travail. En raccrochant, je m’aperçois que Fabien a tenté de me joindre à six reprises. J’écoute ses messages, il semble s’inquiéter pour Fathia et pour moi. Je soupire… le rendez-vous chez la psy me sera d’une grande aide. Un mug de thé avalé avec difficulté tant mon estomac reste noué, je me prépare et arrive aux « Pompes funèbres de la Vallée ». Il est huit heures vingt-six, Damien est fidèle au poste et m’accueille avec un regard morne :

— Comment tu vas, Zoé ? Je n’ai pas osé t’appeler, hier.

— Ouais, désolée pour mon départ précipité. L'une de mes amies est dans le coma, elle s’est fait agresser pour du fric. La connaissant, elle a dû se défendre au lieu de refiler son argent aux voleurs. J’imagine que ça les a énervés. Elle est salement amochée.

— Si je peux faire quelque chose…

— Tu es croyant ?

— Avec ce que je vois… j’ai perdu cette faculté.

— Alors tu ne peux rien. Bon, papa vengeur est arrivé ?

— Oui, suis-moi.

Intérieurement, je me demande pourquoi il m’accompagne, car je connais parfaitement les lieux. Une fois devant les vestiaires, il se s’approche un peu trop près de moi et se lance :

— Si tu as besoin de parler, on peut aller boire un verre, ou dîner ?

Je n’en crois pas mes oreilles, je dois me tromper. Il n’oserait pas me draguer, quand même ? J’essaie de m’assurer du contraire :

— Comment ça ?

— Ben ouais, tu es une chic fille, je t’aime bien, et c’est l’occasion de te rendre la pareille. Tu m’as écouté hier, donc si tu veux, on passe la soirée ensemble, tu pourras te confier et ensuite on pourrait aller chez moi.

— Pardon, Damien, je n’y suis pas. C’est un rencard ?

Un rire gêné et des pommettes rouges confirment, hélas, ma supposition. Puisqu’il reste muet, je réplique :

— J’ai un mec. Laisse tomber. Et afin de préserver notre relation professionnelle, je vais tenter d’ignorer ta proposition.

— Hum. Ne te méprends pas, c’était en tout bien tout honneur.

Il m’agace avec ses phrases toutes faites. Zoé, ferme ta bouche, ne montre rien de ce que tu ressens, ça sera mieux pour tout le monde.

— Damien, je vais me mettre au boulot, et si tu n’y vois pas d’inconvénient, je préfère me changer seule.

Je le regarde partir, ce type est ahurissant.

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