CHAPITRE 9 (1/4)

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Il est sept heures douze quand je referme la porte derrière moi, laissant Fabien affairé à son rasage quotidien. Ce type a le don de me faire grimper aux rideaux, ce qui ne me facilitera pas la tâche au moment de le plaquer. J’y repenserai en temps voulu. Pour l’instant, je dois m’occuper des ennemis jurés. Lorsque j’arrive aux « Pompes funèbres de la Vallée », Damien m’informe que ni le papa vengeur suicidaire ni sa victime ne sont là. Je m’agace et lui réclame des comptes.

— Écoute Zoé, on s’est mal compris. Je n’ai jamais dit qu’ils étaient déjà ici. Je dois aller chercher les corps après leur autopsie, et le doc a pris du retard.

— C’est quoi « du retard » ? Une heure, deux ?

— Demain matin.

— Demain ? Il n’est pas pressé, ce toubib !

— C’est l’été : effectif réduit.

— Tu sais à quel point je déteste me déplacer et surtout ME LEVER pour que dalle ?

— Je n’y suis pour rien, calme-toi…

Je plante un regard colérique dans ses iris d’un jaune vert étrange, et assène :

— Tu as perdu mon numéro ? C’est pour ça que tu n’as pas pu me prévenir ? Parce que si c’est ça, dis-le, je te le redonne tout de suite !

Il soupire un peu honteux, et dans un murmure presque inaudible, il ajoute :

— On s’est pris la tête hier soir, avec Mélinda. Elle m’a largué. Je n’ai pas pensé à t’appeler.

— Merde… je suis désolée.

Pour le coup, ça me calme direct. Je culpabilise même un peu de l’avoir engueulé avant de chercher à comprendre.

— Bof, ça n’allait plus depuis un bail. Vaux mieux ça que de passer entre tes mains, hein ? Enfin… ça dépend.

— Ouais, tu te remets vite, toi.

Je regrette mes paroles quand je devine qu’il plaisantait uniquement pour cacher sa peine. Des larmes coulent de ses yeux cernés par la fatigue. Je ne sais plus trop comment me comporter. La seule mauvaise idée qui me vient à l’esprit est de l’inviter à boire un café au troquet d’à-côté.

C’est ainsi que je l’entends débiter ses malheurs pendant plus de deux heures. C’est terrible pour lui, mais je m’en tape. Il l’a cherché, après tout : il vient de m’avouer que Mélinda l’a surpris au lit avec une nana. Rien de grave selon lui, car c’était « juste un coup d’un soir, seulement un plan cul ». Visiblement, sa promise avait une autre vision de l’amour et de leur avenir. J’ai trop peu d’empathie pour m’épancher sur la détresse d’un coureur de jupons, il a perdu toute ma compassion. Fort heureusement, un numéro masqué m’extirpe de ses lamentations :

— Allô, madame Zoé Valbens ?

Étrangement, j’ai un coup au cœur, comme un mauvais pressentiment. Je réponds en fronçant les sourcils, même si à dire vrai, je ne peux plus réellement les froncer à cause du botox :

— Oui, c’est bien moi.

— Ici l’hôpital Tenon. Une certaine Fathia Zaouia vous a désignée comme la personne à contacter en cas d’urgence. C’est inscrit dans son téléphone. Vous pourriez venir rapidement ?

Mes jambes tremblent presque autant que mes mains. Je bafouille un truc incompréhensible, même pour moi, et plante Damien et ses jérémiades sans explication, sans au revoir et sans payer les cafés. Je l’entends juste me demander si tout va bien, alors que je me précipite vers la sortie. Je cours vers ma voiture, et fonce à l’hôpital. Une fois dans le hall, théoriquement, je suis supposée prendre un ticket et passer par l’accueil, ce qui est totalement au-delà de mes capacités. Je me rue vers le comptoir sur lequel est appuyée une très belle femme en boubou bariolé. Elle est sublime, si ce n’est son regard noir lorsqu’elle comprend que je vais tenter de griller la place. Je l’ignore, et m’adresse directement à la secrétaire :

— Excusez-moi, les urgences m’ont téléphoné, et je dois absolument…

— D’abord, elle dit « bonjour », ensuite elle attrape un ticket et elle va s’asseoir gentiment en attendant que son numéro s’affiche là, dans le rectangle rouge.

Pour qui se prend cette grosse vache à me parler comme ça, alors que j’ai eu la politesse de m’annoncer par un « excusez-moi » ?

« Elle » n’a pas non plus entendu de « bonjour » de votre part, et « elle » vous explique que ce sont les urgences qui ont appelé. J’imagine que vous connaissez la signification de ce mot ?

— Bonjour, allez vous asseoir ou je demande à l’agent de sécurité de vous sortir !

J’écrase mes magnifiques seins siliconés sur son comptoir et me rapproche de son visage orné de lunettes rectangulaires en métal doré. Je lis sur son badge : Micheline.

— Écoute, Micheline, je n’ai pas le temps de négocier, et surtout, je n’en ai aucune envie. Donc, je t’explique : tu vas te magner le cul et m’indiquer où se trouve la personne que je dois voir en URGENCE, sinon je balance à tes collègues que tu as couché avec mon mec ! Mon amie s’appelle Fathia Zaouia.

Je l’observe arrondir ses yeux, à tel point que j’ai soudainement peur qu’ils n’explosent et ne sortent de leurs orbites. Elle finit par éclater de rire :

— Tout le monde ici sait que je suis lesbienne, alors elle va s’asseoir, et elle va arrêter ses menaces débiles.

Merde. La dame en boubou me regarde, sourcils hauts dressés en arc de cercle, bouche grande ouverte. Je peux lire sur son visage que la truie en blouse vient de marquer un point.

Je soupire. Je rechigne à en arriver là, mais tant pis, j’assène :

— OK. Tu veux te la jouer comme ça. Alors, je vais te faire une petite confidence : je baise chaque mercredi soir avec le DRH de l’hosto, Justin Vasseur. J’imagine que tu vois de qui je parle ? Donc soit tu fais ce que je te demande, soit tu es virée, ou mieux, je m’arrange pour que tu sois mutée dans le Larzac ou au milieu de nulle part. Pigé ? Cette fois, je t’assure que j’ai les moyens de mettre mes « menaces débiles » à exécution. Tu prends le risque ou tu me donnes ce putain de renseignement ?

J’ai la chance de savoir qui est le DRH, car j’ai eu plusieurs entretiens avec lui. Il souhaitait une « très étroite collaboration » entre nous, et le double sens de sa proposition m’avait refroidie, si je peux m’exprimer ainsi. La secrétaire pince sa bouche épaisse, ajuste ses lunettes, et tapote de ses doigts potelés sur le clavier d’un ordinateur vieillissant. J’ai remporté la partie : la dinde au visage ingrat m’indique le numéro de la chambre de mon amie, précisant qu’elle est au service de réanimation. D’un coup, la satisfaction d’avoir obtenu ce que je voulais retombe comme un soufflet, et laisse place à l’angoisse.

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