Chapitre 8 (1/4)

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Nous sommes le 6 août et voici plusieurs semaines que je suis sans nouvelles de Fathia. Allongée dans mon canapé, les pieds sur les appuis-tête, je suis complètement nue à cause de la chaleur. Dans cette position improbable et impitoyable pour ma dignité, je l’appelle. Mince ! Je tombe sur son répondeur. Ce n’est pas grave, je laisse un message qui sera sûrement aussi pourri que ceux d’habitude :

— Salut, Fathia. C’est moi !

Ah bravo ! Évidemment que c’est moi ! Je reprends :

— Ça va ?

N’importe quoi ! Comme si elle allait répliquer ! Je continue malgré les réprimandes internes qui fusent :

— Euh… ben, écoute, euh… c’était juste pour avoir de tes nouvelles, voir comment tu vas, tout ça… Euh… Ben… rappelle-moi si tu en as envie. Si je peux décrocher, bah… je le ferais, autrement, ben… tu tomberas sur ma messagerie. Voilà. Euh… sinon, moi ça va. Et… euh… non, ben… c’est tout. Voilà. On peut aller boire un verre quand tu voudras. Bon. Ben… à plus !

Magnifique ! Je vais du mal à faire pire la prochaine fois. Quoi qu’il en soit, on est dimanche, je n’ai rien de prévu, et cela fait longtemps que je n’ai pas touché à mes pinceaux. Je regarde ma toile apprêtée. Impossible pour moi de trouver l’inspiration de mon futur modèle, en dépit des heures que j’ai passé à fureter sur le web. Je vais continuer à y réfléchir avant de me mettre à peindre n’importe quoi. L’abstrait n’a jamais été mon truc. Puisque j’ai enfin quitté ma période morose, et que je retrouve un sens positif à ma vie, quelques idées fusent, sans qu’une seule sorte vraiment du lot. Comme mamy me le répétait souvent : « le soleil revient toujours ». Mon cerveau touche du doigt ces moments magiques où tout me semble à nouveau possible, où l’optimisme redevient mon leitmotiv, et où je suis prête à conquérir le monde, armée de mon simple « moi ». Il serait judicieux que j’en profite pour appeler la psy, mais j’ai peur qu’elle me replonge dans ce tunnel sombre. Je gérerai ça demain, ou plus tard. Finalement, je n’ai peut-être pas besoin d’elle, dans la mesure où je me sens de nouveau bien.

J’ai revu Fabien mardi et jeudi, et à chaque fois, j’ai passé un bon moment. Il faut que je me méfie, c’est franchement une mauvaise idée de tomber amoureuse. Je dois me concentrer sur ses défauts : ses ongles de pieds, par exemple. Je déteste les orteils masculins. Ils sont souvent tordus, trop longs, trop courts, difformes, jaunâtres, boudinés, squelettiques, aux ongles douteux ou mal coupés, etc. Nous, les femmes, nous avons la chance de pouvoir les revêtir d’un base coat, d’un verni — deux couches —, et d’un top coat. Certes, cela demande du travail et de l’entretien, mais au moins, ils sont sublimés, habillés, pédicurés, bref, on a la classe des orteils, nous ! Il y a aussi son côté hyper précieux, limite bourgeois pompeux, qui pourrait se montrer rapidement exaspérant. Je tente de me persuader que ce que j’apprécie aujourd’hui chez lui me rebutera certainement à la longue. Il doit bien cacher davantage que deux ridicules défauts sans importance. Je scruterai ça la prochaine fois, s’il y en a une. De toute façon, je me lasse très vite de tout, et il n’y a aucune raison pour qu’il représente une quelconque exception dans ce domaine.

À propos d’homme, je me réjouis de ne pas avoir recroisé le connard du quatrième. J’avoue que je flippe davantage face à sa menace, qu’un gosse de dix ans qui visionnerait « Le Silence des agneaux » ou « L’exorciste ». S’il vient à découvrir quoique ce soit, je suis morte. Rien que cette idée me plonge dans un début de panique, et mon cœur s’emballe. Je me lève, et me sers un grand verre d’eau fraîche, que j’avale d’un coup. Ça me permet presque toujours de baisser l’intensité de mon stress, et de relativiser. J’attrape le flacon de Rescue resté dans mon sac Louis Vouitton, et en dépose trois gouttes sous la langue. L’effet est presque immédiat. Je réfléchis plus posément, et en conclus qu’a priori, rien ne pourrait le mener à trouver ce que je cache depuis toutes ces années. Très peu de personnes sont au courant, et il ne les connaît pas. Je dois absolument me détendre. Sur ce point-là, tout va bien. Pour l’instant. Je me sens vraiment dans une période faste, et ma bonne étoile a retrouvé le chemin depuis l’univers jusqu’à moi. Même si la route est longue, elle a quand même pris son temps pour revenir. Bon, je vais m’abstenir de lui en tenir rigueur, ou elle risquerait de se vexer et de se barrer à nouveau.

Ma box télé m’indique qu’il est déjà dix-sept heures. Je fixe mon tapis de course, et, prise d’un élan dont je peine à comprendre l’origine, je décide d’enfiler des socquettes, mes baskets, un short et une brassière. Me voilà fin prête pour débuter une pratique improbablement assidue, du sport. Étant donné que je ne suis montée sur cet engin que pour l’essayer, mieux vaut commencer doucement, d’autant que je n’ai aucun souffle. Je me contente de marcher rapidement, c’est déjà ça. Au bout de trente minutes, je m’arrête, satisfaite de mon premier effort. Vraiment, Zoé, tu assures ! Partie dans mon élan, happée par une dynamique de bonnes résolutions, je m’attelle à mettre mes papiers en ordre. Je m’étonne, moi-même ! J’ai ignoré plusieurs courriers, relances et déclarations de l’URSSAF, et quand ils vont me tomber dessus, ça va piquer. J’allume mon ordi. Étrangement, comme à chaque fois, un léger voile de déception, qui disparaît en une fraction de seconde, se forme à l’idée de n’avoir aucune nouvelle du magicien. Il s’est évaporé d’un coup d’abracadabra, en même temps que mes dettes envers lui. Il n’a plus aucune raison de m’écrire, à présent. Je suis ridicule. Je me sors ce beau gars de la tête, et me plonge dans la compta, la paperasse, le classement, les facturations en retard et les paiements en tout genre. Lorsque j’émerge enfin de cette marée administrative, il est vingt-trois heures quarante, et j’ai faim. Un paquet de chips et une bière feront parfaitement l’affaire, je m’installe tranquillement sur mon balcon. C’est le moment que choisit Fabien pour m’envoyer un WhatsApp :

Fabien : Ça va, ma belle ? Je ne te manque pas trop ?

Je ne sais pas comment réagir. Oui, il me manque. Malgré tout, je dois m’en éloigner. C’est mieux pour nous deux.

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