Chapitre 7 (3/4)

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Je retiens mon souffle et passe en revue toutes les possibilités qui s’offrent à moi pour me sortir de cette affaire. Le bon côté, c’est qu’il ne compte pas me fracasser. En revanche, il est parfaitement inutile d’énerver ce gentleman plein de délicates intentions à mon égard. Le mauvais côté, c’est que je me trouve toujours dans une situation très inconfortable. J’opte pour une alternative pacifiste et neutre :

— Si tu le dis…

— Ouais, fais-moi confiance, p’tite pute !

— J’aurais aimé continuer cette conversation fort intéressante, mais on m’attend et je suis déjà en retard. Alors, si tu veux éviter les emmerdes, remets cet ascenseur en route, et restons-en là.

Je sens qu’il me dévisage, et jette, tout en appuyant sur le bouton :

— T’as peur de rien, toi. Hein ?

J’ignore sa question qui n’en est peut-être pas une, me contentant de hausser les épaules et de feindre une posture assurée. Je tente de respirer au minimum l’air vicié par son souffle puant. On dirait qu’il a bouffé un cadavre.

Un « bip » nous avertit que nous sommes à son étage, et la porte métallique s’ouvre en grinçant. En sortant, il me dévisage méchamment, et crache un mollard à quelques centimètres seulement de mes chaussures. Je suis encore sous le choc, les larmes montent, il faut vite que je rentre chez moi pour pouvoir pleurer tranquille. Malheureusement, c’est sans compter sur Raphaël, mon voisin fêtard. Il me happe à mon arrivée.

— Bien remise, Shakira ?

— Salut, Raph ! Tu vas bien ?

J’ai cette capacité de caméléon qui me rend énormément service. En une fraction de seconde, j’endosse le rôle d’une autre. Je vis en miroir de ce qu’on attend de moi. En l’occurrence, et puisque je n’ai aucune envie de m’étendre sur l’épisode qui vient de se produire, je me transforme immédiatement en femme « normale après une journée de boulot ».

— Tranquille. Je voulais savoir si tu avais revu le flic.

— Le flic ?

— Celui que tu as littéralement kidnappé pour danser avec toi.

— Qu’est-ce que tu me chantes ?

— Sérieux, tu ne te souviens de rien, Zoé ? Remarque, rien d’étonnant, tu étais complètement bourrée et défoncée.

Je plante sur lui un regard d’incompréhension, et je suis curieuse de connaître la suite :

— Je me rappelle juste de m’être réveillée dans mon pieu. Entre, tu vas me raconter tout ça devant une bière.

C’est ainsi que j’apprends que la police a reçu un coup de fil anonyme pour tapage nocturne, et qu’à leur arrivée, j’ai décidé de prendre les choses en main. Avec la tchatche dont je suis capable de faire preuve quand je suis biturée, j’ai invité les deux agents à danser avec nous. J’ai tellement insisté, que je me suis déhanchée avec eux sur le pas de la porte, ce qui les a fait marrer. Ils sont finalement rentrés faire la fête, nous demandant de n’en parler à personne. Ils ont aussi un peu fumé avec nous. Visiblement, c’était des jeunes, entrés dans les forces de l’ordre seulement deux ans auparavant. D’après Raph, j’aurais même roulé un patin au plus grand, un black hyper musclé. La soirée finie, ils sont partis, bourrés. Elle est belle, la police ! J’écoute mon voisin, stupéfiée et presque outrée par mon comportement. Lui est pété de rire.

Nous poursuivons notre discussion dans la franche rigolade, et dînons de bière, de chips et de saucisson. Nous terminons par une partie de jambe en l’air sans lendemain, tous les deux d’accord avec ce principe.

Je me réveille seule, il a tenu parole. C’était plutôt agréable. Je n’ai pas appelé Clara, et je n’ai plus trop envie d’amorcer le premier pas, pourtant si proche, d’hier.

La semaine passe vite, sans que j’aie pris rendez-vous chez la psy. De toute manière, j’ai des horaires de fous. En même temps, si je veux être honnête, j’ai la possibilité de prendre deux minutes pour téléphoner. Je m’y collerai dès lundi.

Nous sommes déjà vendredi, et il est dix-neuf heures. J’allume mon ordinateur et le laisse démarrer pendant que je m’ouvre une bière. Je regarde ma boîte mail, dans laquelle trône un message du fameux SB. Je suis parvenue à lui envoyer un mandat supplémentaire, à force d’acharnement plus ou moins... acharné. C’est sûrement pour m’avertir qu’il l’a bien reçu, ou bien parce qu’il s’impatiente de récupérer le reste, qu’il a pris quatre secondes pour son sempiternel « Ok. SB ». Ceci dit, j’ai été hyper sage, cette semaine, la faute au trop-plein de boulot. Mon souci, c’est que même si je suis bien décidée à moins dépenser, je me fatigue vite. Mon petit diablotin dans ma tête ne cesse de me rabâcher qu’« on a qu’une vie et qu’elle peut s’arrêter n’importe quand », et vu mon métier, je veux bien le croire. Du coup, ma motivation se barre en courant, comme une lâche. C’est pourtant simple, un mois ou deux de quasi-abstinence, et, cette fois, c’est mon banquier qui me demanderait de l’épouser. Je lis le mail du magicien :

« Chère Mademoiselle Valbens,

Merci pour vos différents mandats, je les ai bien tous reçus. Vous m’avez prouvé que vous étiez une femme de parole, inutile de vous mettre sur la paille. Je vous fais cadeau du reliquat.

Bien à vous,

SB »

Quoi ? Non, mais ça ne va pas ? Le gars me prend en pitié, carrément ! Une partie de moi le remercie tandis qu’une autre le maudit et une autre encore me maudit. Je ne peux décemment pas accepter que ma condition financière m’explose ainsi au visage. J’ai l’impression d’avoir reçu une baffe. Mes doigts tremblent sur le clavier :

« Monsieur,

Je vous remercie pour votre sollicitude, mais vous l’avez dit : je suis une femme de parole. Je n’ai que faire de votre pitié, c’était au moment de “l’incident” qu’il aurait fallu vous montrer plus compatissant.

Je paierais jusqu’au dernier leu.

Zoé Valbens »

Je clique sur « envoyer ». Merde ! En relisant, je vois que j’ai mis « leu » au lieu d’« euros ». J’étais en train de penser au Moldave hyper flippant dont je me suis occupée avant de rentrer. Même mort, il me faisait peur, ce type, et ça m’a perturbée. Résultat, j’écris n’importe quoi. Je suis sur le point de taper un autre mail pour rectifier, quand un bip m’annonce déjà sa réponse.

« Désolé, je n’accepte que les euros…

Et cessez les paiements, je perds plus de temps à me déplacer ou à demander à quelqu’un de récupérer les mandats pour moi, que si je vous en faisais cadeau.

Ravalez votre orgueil et profitez de ce geste, c’est assez inhabituel de ma part.

SB »

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