Chapitre 7 (2/4)

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Il est quatorze heures trente quand j’ouvre enfin un œil. Ma tête résonne du vide qu’a laissé ma mémoire en se faisant la malle. Je n’ai aucune idée de la manière dont j’ai pu atterrir chez moi. Je suis encore habillée de la veille, mes extensions capillaires sont emmêlées comme si je m’étais fait des locks, et ma vieille amie la nausée vient me rendre visite. Une bonne grosse cuite. Encore. Je me dirige très très doucement vers la salle d’eau, et mets un bain à couler. Ensuite, je me prépare une bonne dose de paracétamol effervescent, que j’avale d’un trait. Cela me permet de lâcher un rot monumental, et me libère un peu du poids de l’orgie alcoolique. Heureusement que je suis célibataire, parce que pour le glamour, on repassera. Au moment où je me glisse dans la mousse chaude, je m’excuse très rapidement auprès de la planète, tout en me rassurant aussitôt : dans leur slogan, ils disent « limiter les bains, préférez la douche ». Je prends plus souvent des douches que des bains, donc ça va. Oh là là, je ne me sens pas bien du tout, du tout, du tout. Ça tourne autour de moi, et j’ai l’estomac qui veut sortir de mon corps. Je réitère mon éternelle promesse d’ivrogne « plus jamais je ne recommencerai ». Bien entendu, j’ajoute mentalement « jusqu’à la prochaine fois ». Soudainement, le coup de fil d’Anaïs me revient en tête. Je soupire. Je n’aurais pas dû la rappeler. La journée va être longue…

Bien sûr, j’arrive aux « Pompes funèbres de la Vallée » avec une heure de retard. Je m’attends à prendre un savon par ma collègue, cependant, contre toute attente, elle ne me reproche rien. Elle est si soulagée que je sois venue, qu’elle en est presque agréable. Elle me présente les défunts, m’explique quel type de soin la famille a demandé, et c’est partit pour un après-midi marathon. C’est vrai qu’elle en avait, du monde. Impossible de s’occuper de tous ces macchabées toute seule avant demain. En tout cas, elle a tenu parole, et j’ai récupéré mon argent. Je vais en envoyer une partie à SB, cent euros suffiront pour le moment.

Il est plus de dix-neuf heures quand je rentre à la maison. Je suis presque en retard pour mon dîner avec Fabien. Je le serai officiellement dans trois minutes. Je dois encore mettre les bougies pour les morts d’aujourd’hui, me préparer, etc. Je lui envoie un message pour le prévenir, c’est plus correct :

Moi : Salut. Beaucoup de boulot, je vais être un peu à la bourre…

Fabien : Non ? Tu es sûre ? Étonnant ;-) tu seras punie, vilaine fille !

Moi : Je pourrais zapper la douche, mais on est en été, et je te rappelle que je suis thanato. Je vais donc prendre le temps de me laver : c’est mieux pour ton ego et ta libido.

Fabien : Pas faux. Je t’attends à la table 8. Tu n’auras qu’à t’adresser au barman. Bises.

« Bises » ? Euh, on a juste couché ensemble, on n’est pas des potes, quand même… J’arrive au resto à vingt heures quarante-cinq. C’est le cœur battant que je demande au serveur si le monsieur de la huit est toujours là. Je suis presque sûr qu’il est parti, personne n’a envie d’attendre presque deux heures. C’est même quasiment rédhibitoire. Pourtant, oui, le barman m’assure qu’il patiente sagement. Je suis scotchée ! Au moins, je ne porte pas mes dessous en dentelle rouge, et une robe moulante assortie, pour rien. Mes Louboutin douze centimètres finissent de parfaire ma tenue, et je sens que les regards se posent sur moi. Je me la joue très star, ça me plaît. Dès que Fabien me voit, il se lève pour me rejoindre.

— Tu es resplendissante, j’ai bien fait d’attendre.

Je lui réponds par un sourire charmeur, et la soirée débute dans un romantisme à se faire damner la Belle au Bois dormant. Par contre, mon croque-monsieur de tout à l’heure ne m’a pas calé, et j’ai l’impression que je pourrais manger tout ce qu’il y a à la carte. J’opte pour la formule entrée-plat-dessert. Ainsi, je me délecte d’un mini camembert frit accompagné de lardons et de confiture de mûres, puis j’enchaîne avec un plat de tagliatelles aux fruits de mer en cassolette, et je termine par un coulant au chocolat et sa glace au manioc. Fabien, lui, s’en est tenu plat au principal : seulement une escalope aux champignons et à la crème, avec une assiette de frites et un verre de vin. Il s’amuse de mon appétit d’ogresse et me demande comment je peux garder la ligne en engloutissant autant de nourriture. Je lui réponds que, par soucis d’économies, je ne mange que quand on m’invite, ce qui nous fait rire niaisement, comme des ados. Il n’y a de place pour aucun blabla parasite, nous discutons sans faux semblants. Je note que nous avons des points communs : la musique, les arts, les bains, etc. Je passe une soirée et une nuit délicieuses.

Hélas, le lendemain matin, c’est lundi. Je me réveille très tôt pour rentrer chez moi me changer, avant de partir au travail. Fabien dort encore, épuisé par ses prouesses nocturnes.

Ma journée se déroule sans problème, sans mail du banquier et surtout, exceptionnellement sans mauvaise nouvelle ni aucune ombre d’un début d’emmerde. Il faut bien l’admettre, cela me plonge dans une humeur toute guillerette. Je déplore de terminer si tard, j’aurais pu faire un peu de shopping. Tant pis, je trouverai sûrement mon bonheur sur internet. Parvenue à mon immeuble, j’insère ma clé toute neuve dans la serrure, et tout fonctionne. La journée parfaite, idéale, en somme. Je me sens l’âme légère et prévois d’appeler Clara dès ce soir pour mettre les choses au clair entre nous. Inutile de perdre du temps, mieux vaut affronter nos problèmes au lieu de les ignorer. Perdue dans mes pensées, je cours bêtement pour prendre l’ascenseur qui est sur le point de se refermer, alors que d’habitude, je monte par les escaliers. Je m’arrête net : le connard du quatrième. J’ai une seconde d’hésitation. Non, hors de question de fuir devant ce sauvage, si je lui montre que j’ai peur de lui, je suis foutue. En même temps, je dois bien admettre que je me suis mise toute seule dans la panade. J’entre, et appuie sur le 5. Nous avons parcouru l’équivalent de deux étages et demi, dans un silence oppressant et morbide, lorsque mon voisin bloque l’ascenseur. Mon cœur frappe fort dans ma cage thoracique. Très vite, je me souviens des quelques techniques de krav-maga que j’ai apprises lors de stages réservés aux femmes, et les gestes me reviennent instantanément en mémoire. Pour une fois… Ducon s’approche tout près de mon visage. S’il pose ses doigts jaunes de nicotine sur moi, je lui balance un coup dans les couilles. Son haleine fétide empoisonne l’atmosphère, quand il menace :

— Alors, chérie, on fait moins la maline, hein ?

— Tu me touches : tu es mort.

— Je suis peut-être con, mais je ne suis pas débile. Je ne te toucherai pas. Je voulais juste te dire : on a tous un secret. Et quand je découvrirai le tien, je te détruirai. Je pourrirai chaque seconde de ta vie et tu mordras la poussière. Tu vas payer pour ce que tu m’as fait, je t’en donne ma parole.

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