Chapitre 6 (1/5)

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Le lendemain, je m’arrange pour terminer mes thanatos plus tôt. Afin de limiter mon retard chez Anaïs, je préviens la famille de mon dernier défunt que je ne pourrais venir que demain matin. Visiblement, ils s’en foutent. Son fils m’assure que cela ne pose aucun problème, et que c’était un vrai con avec tout le monde. Il va d’ailleurs jusqu’à plaisanter sur le fait que son père n’a rien de prévu ces prochains jours. Du coup, il m’enlève tout scrupule à le faire patienter. Cependant, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi ils paient si cher un embaumement alors qu’ils pourraient tout simplement se passer de mes services. Ceci dit, ça ne me regarde pas, ils doivent avoir leurs raisons. Pourtant, mon cerveau imagine mille et une possibilités d’un tel manque de considération, voire carrément de peine, de la part des proches. Ce ne sont pas mes affaires, même si la curiosité me titille. Je dois passer à autre chose, il est temps pour moi de filer récupérer mon dû chez Anaïs.

« Tu ne peux pas te tromper, c’est facile ». Ben voyons... comme par hasard, la seule gourde qui se plante : c’est qui ? C’est moi, tiens ! Bon sang, ça n’est pas si compliqué : la maison à droite de la pharmacie. Elle aurait pu me donner l’adresse exacte, au moins, avec le GPS ça aurait été plus simple. Je ne dis pas que j’aurais trouvé du premier coup, ça non. Je me trompe aussi avec, mais enfin, en toute malhonnêteté, aurais-je pu rejeter la faute sur la voix nasillarde qui m’aurait mal guidée. Là, je suis bien obligée d’admettre que je suis une grosse nouille en matière de sens de l’orientation. S’il n’y avait que cela, ça irait, malheureusement, je suis plutôt du genre à cumuler les nullardises. Bon, je dois me reconcentrer. Ça y est, je vois la « Pharmacie des Fleurs Sauvages ». Ils doivent être spécialisés dans la phytothérapie ou l’herboristerie avec un nom pareil. Je demanderai, à l’occasion.

Le premier problème qui s’offre généreusement à moi comme si j’en manquais, c’est que l’officine est à l’angle de deux rues. Le second... le second c’est que je ne sais pas si c’est à droite en faisant face ou depuis le local. Non, c’est n’importe quoi, ça doit être en faisant face. Oui, mais elle habite dans son appart, donc c’est depuis chez elle. C’est bon, ça m’agace. Ah ! Voilà une place qui se libère. La chance est peut-être avec moi, après tout. Allez mamie, dépêche-toi, je n’ai pas la journée. Un petit signe de tête pour dire « merci » et hop, je parque ma Ford Fiesta à la place de sa vieille Clio. La mémé et sa voiture doivent dater toutes les deux d’avant-guerre. Rhoooo ce n’est pas bien de se moquer, Zoé ! Surtout quand on a un véhicule aussi âgé que le mien, construit probablement à l’époque de Napoléon. Merde ! C’est une place réservée aux handicapés. Ah ce n’est pas mon jour ! Tant pis, je tente les cent trente-cinq euros d’amende et la fourrière, je verrais bien. Je sais, c’est mal, je sais, je sais, je sais. Je prends un papier, un crayon, et c’est la boule au ventre, avec la sensation de cambrioler une banque, que je note une nouvelle fois ma fameuse excuse bidon :

Carte GIC en cours, merci de votre compréhension.

Je sors de ma bagnole pourrie, et me plante face à l’officine. Alors, droite ou gauche ? Évidemment, aucun patronyme sur la boîte aux lettres, et pas de sonnette. Les gens comme ça m’ont toujours intriguée. Comment fait le facteur ou le livreur ? C’est impossible de les trouver ! Je vais l’appeler, ça sera plus simple. Je cherche dans mon répertoire et « Anaïs la chieuse » s’affiche presque instantanément.

– Allô !, lâche une voix exaspérée.

Super, elle est de bonne humeur, on va s’amuser...

– Euh oui, bonjour, Anaïs, c’est Zoé. Ça y est, je suis devant chez toi, en revanche, je ne trouve pas la sonnette.

– Bah tu aurais pu frapper, comme tout le monde, non ? Je t’ouvre.

Bien sûr, oui, et si je me plante, j’ai l’air vraiment d’une neuneue. Elle a déjà raccroché avant que je n’aie eu le temps de lui répondre, ça promet. J’attends. Quelques interminables secondes plus tard, toujours rien. Du coup, je me demande si je ne me suis pas trompée de côté. J’hésite. Dois-je rester ? Aller voir dans l’autre rue ? Punaise... j’ai choisi la maison à droite en regardant la pharmacie, si ça se trouve c’était à...

– Salut, entre, fais pas gaffe au bordel ni au chat, et ne touche pas au poisson rouge. Je te préviens, je suis d’une humeur de chien.

Elle fait dans les animaux, on dirait, et encore, elle a oublié de dire qu’elle a un caractère de cochon, une halène de chacal et un rire d’hyène.

Café ?

J’acquiesce en dépit du fait qu’il soit dix-huit heures dix-sept très précisément, et de toute façon, elle n’a pas attendu ma réponse. Anaïs, l’une de mes collègues, est une petite boulotte blonde, les cheveux raides et désordonnés. Ses yeux marron sont habillés d’une éternelle paire de lunettes dont la couleur oscille entre l’orange et le rouge. Aujourd’hui, elle a eu le bon goût de se vêtir d’un t-shirt jaune poussin et d’une salopette-short en jean. La pauvre, elle ne ressemble à rien. Elle pourrait être gentille, ça compenserait un peu, mais elle n’a même pas cette délicatesse. Ses pieds nus m’offrent une vue somptueuse sur son vernis écaillé, et sa « French manucure » inversée. Ses ongles ont poussé sans qu’elle les refasse, c’est d’une classe ! Son mec, Jordan, est coursier chez « Zorba et Gustave », un cabinet d’avocats spécialisé dans le dépôt de marques. Ce pauvre type tente désespérément de coucher avec tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une nana. Une chance que j’ai su résister au charme sensuel de ce mec de moins d’un mètre soixante, chauve, avec la moitié des dents pourries, l’autre moitié étant absente de sa bouche irrémédiablement humide.

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