Chapitre 5 (5/5)

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Arrivée à la maison, blasée, je vois immédiatement qu’une adorable personne bien attentionnée a déposé la merde de son chien sur mon paillasson. C’est mon voisin du quatrième, j’en suis sûre. Ce n’est pas la première fois qu’il me fait ce sale coup. Là, c’en est trop, hors de question que je me laisse faire par ce dégénéré dénué de cerveau et d’humanité. Je descends à la loge de Jean-Jacques et sonne :

— Ouais, c’est pour quoi ?

— Bonsoir monsieur Vartigue, c’est Zoé Valbens.

— J’vous ouv'.

— Encore des croissants ? Ce n’est pas raisonnable, à cette heure-ci.

— Je ferme boutique dans dix minutes, alors en attendant, je m’occupe. C’est pas là qu’y a le plus à faire, hein !

— Madame Vartigue va finir par vous gronder, petit gourmand que vous êtes !

— C’est elle qui m’nourri pas assez ! Les croissants, je les achète par boîte de vingt, après, je les planque, et comme ça, j’en ai pour quat’ jours, ajoute-t-il dans un clin d’œil qui se veut complice. Que puis-je pour vous, gente dame ? demande-t-il, la bouche toujours pleine.

— « Qui vous savez », au quatrième, est-il chez lui ?

— Encore des problèmes avec ce con ?

— Non, rassurez-vous, pas en ce moment.

Je sais, mentir, c’est mal…

— Ouais, il est rentré une demi-heure avant vous. J’ai parlé de ce qu’il fait au syndic, mais y z'y peuvent rien.

— C’est bien dommage… Auriez-vous un vieux journal à me donner, j’ai de la vaisselle à emballer, et j’ai utilisé le dernier qu’il me restait.

— Bien sûr ! Tenez, les nouvelles fraîches du jour ! Un petit tour dans la « rubrique nérologiste » et vous saurez si vos affaires vont marcher !

Je réponds avec un sourire, prends le canard, salut mon « adorable » concierge, et remonte. La « rubrique nérologiste »… pauvre J. J. il a du mal à articuler, surtout avec un croissant dans la bouche. Ceci dit, dans l’ascenseur, je ne peux m’empêcher d’y jeter un coup d’œil, par curiosité. Aucun nom connu dans la liste des morts, c’est déjà ça.

J’arrive devant chez moi, je ramasse la crotte de chien avec le journal, et l’enferme délicatement dedans. Une fois ceci accompli avec dextérité, je me rends au palier inférieur, dépose mon cadeau sur le paillasson du concerné, sors mon briquet, et mets le feu au papier. Ensuite, je sonne, je recule un peu et j’attends. Comme prévu, mon voisin se pointe, puisqu’il ne permet jamais à sa compagne d’aller ouvrir, et regarde les flemmes qui se sont formées. Afin d’éteindre ce début d’incendie, il tape comme un malade sur le paquet, s’éclaboussant de merde au passage. Ses yeux noirs captent mon visage et il commence à faire de grands pas pour me sauter dessus. Je dégaine mon téléphone portable que j’avais caché dans mon dos, et film au moment même où il menace :

— J’vais t’tuer sale pute ! J’vais défoncer ta petite gueule de pouffiasse. Tu vas l’regretter.

Je lui balance un sourire provocateur et sarcastique, et simule une crise de panique :

— Mais vous êtes fou ! Au secours ! Cet homme est fou, il frappe sa femme et ses enfants et là, il veut se jeter sur moi ! Vous me faites peur, monsieur, laissez-moi tranquille !!! Je ne vous ai rien fait ! Au secouuuuurs !!!

Je pars en courant, le téléphone filme le sol. Au bout de quelques pas, je feins une chute dans un dernier cri, et j’éteins la caméra. Je me relève et reviens me planter devant le type en chaussettes délavées dans ses claquettes, affublé d’un survêtement Lacoste vert, étroit aux chevilles, bouffant au niveau des cuisses. La grande classe. Il est complètement éberlué.

— Merci ! Vous m’avez donné une jolie preuve à transmettre à la police. Je l’ai envoyé directement par WhatsApp à une liste d’amis. Autant dire qu’avec votre passé, s’il m’arrive quoi que ce soit, vous serez bon pour la tôle.

— Vous êtes une grande malade, ma parole !

— Tu ferais mieux de fermer ta gueule, le préviens-je en le menaçant de l’index. Tu ne vaux même pas la merde que tu as déposée sur mon palier. Un pauvre type comme toi qui s’acharne sur les autres devrait être au cimetière. Si un jour je devais m’occuper de toi, je cracherais dans ta bouche avant de la recoudre et je pisserai dans chacun de tes orifices, espèce de sale bâtard de fils de pute. Prends une corde et pends-toi, c’est ce qu’il pourrait nous arriver de mieux. Fais-moi chier encore, et je balance ça aux flics. C’est clair ?

Il mime une sorte de « oui » plein d’insultes muettes, et je m’en vais, non sans un dernier « connard ! » et mon « fuck » fétiche. Je devrais être tranquille un moment.

Je rentre chez moi, et m’affale dans mon canapé. Toujours aucune nouvelle de la psy. Toujours aucune nouvelle de Clara. Toujours aucune nouvelle de mamie. Bon, ça, c’est normal. Enfin, de temps en temps, elle me fait des petits signes, malgré tout. Or, depuis mon engueulade avec mon amie, plus rien. Forcément, ça me perturbe. Je suis sur le point d’envoyer un message à Fathia pour qu’on aille boire un verre, avant de me raviser. Demain, c’est mercredi, et il faut que je m’abstienne de sortir en semaine. C’est mieux. Si j’arrivais à tenir au moins quinze jours comme ça, je pourrais presque être fière de moi. Je mange rapidement une soupe insipide aux nouilles chinoises lyophilisées. J’aime bien ces horreurs, en revanche, je suis incapable de faire la distinction entre les différents « goûts » proposés.

Il est vingt et une heures, et je m’apprête à mater un vieux navet à la télé, quand on sonne à ma porte. Je me lève, regarde par l’œilleton, et y décèle le visage d’un parfait inconnu. J’ouvre :

— Je peux vous aider ?

— Bonsoir, je suis votre nouveau voisin, j’ai emménagé ce week-end. Avec des potes, on va fêter ça samedi soir, et je vais mettre de la musique, peut-être un peu tard. Alors, pour éviter de déranger tout le monde, je préfère inviter. Plus on est de fous…

Ses yeux noisette me donnent envie de le croquer.

— C’est gentil à vous. Je ne suis pas du genre à gueuler pour ça. Pas la peine de m’inviter, restez entre vous.

— Bah, ça serait quand même bien de faire connaissance. Y’aura de la musique, de la bouffe, de l’alcool et de l’herbe. C’est toujours non ?

— Quelle heure ?

— Dix-neuf heures.

— OK, à samedi.

Il se contente de m’offrir un sourire de Don Juan, et rentre chez lui, juste à côté de mon appart. Il a l’air cool, ce voisin. Je glande le reste de la soirée, jusqu’à rejoindre mon lit à vingt-trois heures, et j’entame une nuit mouvementée. Encore.

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