Chapitre 5 (1/5)

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Le lendemain, il est midi lorsque je me réveille à côté d’un brun au physique on ne peut plus banal. J’ai la bouche pâteuse, un léger mal de tête qui se dessine, les cheveux tout emmêlés, et une haleine de mort. Sur ce plan, je sais de quoi je parle. Je tente de remettre mon cerveau dans le bon sens. Je me souviens à peu près de tout, ce qui est plutôt bon signe. Mon numéro de sainte nitouche qui a fonctionné, comme chaque fois, ce mec qui m’a payé à boire, à manger et une baise. Il est dans mon lit ce matin, sans avoir été foutu de me faire jouir hier soir. Un gros naze bien monté, incapable de se servir correctement de ses attributs. Voilà bien la preuve que la taille ne compte pas toujours. Fort heureusement, il m’a fourni assez d’herbe pour que je puisse me détendre et prendre un minimum de plaisir, pas grand-chose au regard de ce que certains ont pu m’offrir. Je le pousse de manière assez virulente afin de le réveiller, et le jette de mon appart, prétextant que je suis infirmière, que je taffe le dimanche et que je suis en retard. Ce con sort de chez moi en m’insultant. Je me sens sale, je me sens nulle. Tout en m’apitoyant sur mon sort, je me sers un café dont l’odeur même me provoque un haut-le-cœur. Finalement, je le verse dans l’évier en me fustigeant pour ce gaspillage, et me prépare un thé. Je me cale dans mon canapé, et j’appelle Clara pour lui raconter mes états d’âme, qu’elle écoute avec attention. Sauf qu’au bout d’un moment, je l’entends soupirer d’agacement. Elle me coupe la parole alors que j’étais en train de lui énumérer les saloperies que l’autre m’a balancées en se barrant :

— En fait, tu me fais chier, Zoé.

— Ah ben, sympa ! Merci…

— Tu ne vas JAMAIS bien. JAMAIS. Ça pourrait être compréhensible si tu faisais tout pour, mais non. Tu fais semblant que tout va bien, jusqu’à ce que tu craques, que tu te fissures. Là, tu te renfermes sur toi et c’est silence radio pendant des jours. Tu restes sans donner de nouvelles, tu ne réponds à aucun appel, aucun message. Ensuite, vient le moment où tu regrettes tout, tu te plains, tu te dévalorises, tu pleurniches, tu joues à Caliméro. Quand tu t’es bien flagellée, ça va mieux. Et tu fais à nouveau semblant que tout va bien, tu refais un tour de ton cher cercle vicieux. Et c’est reparti. Alors, je vais te poser une question : quand vas-tu enfin remuer ton derche, hein ?

Je reste muette, ce qui est extrêmement rare, face à la colère et à l’agacement de ma copine. C’est la première fois que je l’entends lever la voix sur quelqu’un, je n’en reviens pas. Devant mon silence, elle reprend :

— J’en ai marre de te ramasser à la petite cuillère, ça me soûle. Je ne suis ni ta mère ni ta nounou. Je suis ton amie, Zoé, presque ta sœur, après tout ce qu’on a vécu ensemble. Mon rôle n’est pas de te consoler et de te dire ce que tu as envie d’entendre. Mon rôle, c’est de faire tout ce que je peux pour que tu sois heureuse. Tu piges ?

— Euh, pas trop là… j’avoue que tu es flippante, d’un coup.

— J’arrête Zoé. J’arrête tout. Je ne veux plus te voir. J’ai envie que tu reçoives un électrochoc dans ta petite gueule de mannequin. Tu comptes plus que notre amitié, et tant pis si je dois la sacrifier pour que tu te secoues. Tu es belle, intelligente, drôle, mais dramatiquement instable. Moi, je n’en peux plus de te regarder tout foutre en l’air et te détruire. Ras-le-bol de tes conneries grandis un peu, tant qu’il est encore temps. Salut.

Elle raccroche. Pas un mot de plus, le vide. Je n’en reviens pas. Je viens de me prendre une baffe énorme, un uppercut qui me met K.O. dès le premier round. Je reste là, comme une idiote, le téléphone à la main et la bouche ouverte. Je suis complètement sonnée. Une vibration m’avertit d’un WhatsApp :

Clara : ET VA CONSULTER POUR TA PUTAIN DE MÉMOIRE !!!!

Ce n’est clairement pas le type de message que j’espérais de sa part. Je ne lui réponds pas. Une boule se forme dans ma gorge et dans mon ventre. J’ai l’impression d’étouffer. C’est exactement la même sensation que j’avais ressentie quand mamy est partie. Je commence à suffoquer, tandis que je tente de calmer mes sanglots. J’ai des fourmillements dans les lèvres. J’ai bien conscience que ma réaction est disproportionnée, pourtant, je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Il faut vraiment que je me reprenne, j’ai l’impression que je vais tomber dans les pommes. Je me lève, mes jambes flageolent. L’évier de ma cuisine, situé à quelques pas seulement, me paraît incroyablement loin. J’arrive à atteindre le passe-plat qui m’en sépare, et m’y appuie pour trouver le courage de continuer. Je suis en pleine crise de panique, des étoiles blanches dansent devant mes yeux. Clara me laisse tomber ! Elle me laisse tomber, elle aussi ! Ma seule et unique amie, celle qui sait tout. C’est… impossible. Pas elle ! J’attrape un verre et le remplis au robinet, les mains tremblantes. Moi qui ne bois que de l’eau en bouteille, là, je me contente de ce que j’ai au plus proche. J’arrive à avaler quelques gorgées, même si la moitié dégouline sur mon débardeur beige. Cela fait tout de même effet, je parviens à reprendre un peu le contrôle de mes émotions. Mon cœur semble se calmer, les petits points devant mes yeux disparaissent. En revanche, je suis submergée par une vague de tristesse et d’abandon. Je glisse contre le frigo, et je pleure tout ce que je peux. La morve coule de mon nez sans que j’aie envie de me moucher. Comment peut-elle me lâcher après ce que j’ai vécu ? Elle me laisse dans ma merde. C’était la seule qui pouvait comprendre, et maintenant, je n’ai plus personne. À qui vais-je pouvoir me confier, hein ? À qui vais-je pouvoir parler de tout ça, les moments où c’est trop lourd à porter ? Quelle égoïste, cette Clara ! Et ça prétend être mon amie ? Une amie, c’est là quand on en a besoin. Elle, elle a décidé de me lâcher. Je la hais, je la déteste, et par-dessus tout : je l’aime.

Toute la journée, je tourne en rond, je pleure, je l’insulte, je m’insulte. L’idée d’aller rejoindre mamy me tenaille, mais j’ai trop peur qu’une fois là-haut, elle m’engueule en me voyant arriver. Si je veux être honnête, ce n’est pas le fait que Clara me lâche qui m’en donne l’envie, c’est l’image que j’ai de moi, et l’accumulation de toutes ces années de souffrance et de fatigue. Je vais devenir quoi, sans Clara ?

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