Chapitre 4 (2/3)

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J’envoie un message à Fathia et lui demande de m’accompagner dans mon « délire morbide ». Elle accepte à condition que je la rejoigne dans son « délire shopping », sûrement moins destructeur. Je sais que je vais craquer pour une fringue ou deux, avant de le regretter. Tant pis pour mon compte en banque, tant pis pour le bel italien et sa bagnole à peine égratignée, tant pis pour tout : « on a qu’une vie ».

Fathia me propose de nous retrouver devant la boutique Louis Vuitton, encore lui. C’est une véritable incitation, presque une conspiration. Il va me falloir un courage exceptionnel pour ne pas me jeter sur une de leurs vendeuses et repartir avec un nouveau sac. Pense à ton solde négatif et aux yeux du magicien, Zoé. Mieux : pense à sa baguette magi… Non mais n’importe quoi ! Comme un mantra, je me répète en boucle : « je vais rembourser cet homme, je vais rembourser cet homme, je vais rembourser cet homme ». Au bout de quelques secondes seulement, ma volonté abdique, et je termine ma litanie par un affligeant : « je vais rembourser cet homme... plus tard ».

Après avoir retrouvé mon amie, et pour éviter toute dépense inutile, je préfère m’abstenir de lever les yeux vers la vitrine Louis Vuitton. Carrément, je tourne le dos au magasin. Nous arpentons toutes les deux sagement le boulevard Saint-Germain. Afin de focaliser mon attention ailleurs que sur tous les objets de tentation sur lesquels mes iris se posent, je lui explique que cet endroit tire son nom de l’évêque Germain de Paris, et qu’il traverse trois arrondissements. Je complète ma description en précisant que c’était l’un des projets conçus personnellement par le baron Haussmann et qu’il y tenait tout particulièrement. Je lui montre quelques maisons encore debout et qui ont pu échapper à ses travaux. Pour arriver à ses fins, ce cher baron avait fait raser de nombreux hôtels et bicoques. Puis, je continue en spécifiant que les événements de mai 1968 se sont déroulés en grande partie sur ce boulevard, sur la rive gauche. Comme je vois qu’elle s’en fout, je me sens conne et je me demande si je ne lui parais pas légèrement prétentieuse. Cela me désole, car bien loin de moi l’envie d’étaler mon piètre savoir. C’est simplement que je trouve intéressant de connaître un peu l’histoire de notre splendide capitale. Je m’abstiens donc de lui expliquer qu’avant d’être remplacées par des échoppes, ce boulevard regorgeait de maisons d’édition, notamment médicales, étant donné la proximité de la faculté de médecine.

Nous nous arrêtons souvent pour coller notre nez à de nombreuses devantures et pénétrons dans quelques enseignes. Hélas, comme prévu, je dépense plus que je ne l’aurais dû, dans la mesure où je m’étais presque promis de ne rien acheter. Pas de chance pour moi, une robe sublime, écarlate, très près du corps, s’est jetée à mes pieds, à peine la porte d’une boutique chic entrebâillée. Quel choix avais-je ? Il aurait été inhumain de ne pas l’adopter, elle qui me collait si bien à la peau lors de l’essayage… Il en a été de même pour des escarpins rouges (je n’en ai que deux paires de cette couleur), un tailleur pantalon beige à fines rayures verticales, et un chemisier de soie blanche. J’ai lamentablement ignoré le regard implorant de ma carte bleue, et le léger pincement de culpabilité. J’ai aussi claqué les soixante balles en liquide, que j’avais gardés « au cas où ». Je me désespère…

Fathia, elle, est beaucoup plus raisonnable. Elle m’explique qu’elle a toujours dû compter le moindre euro, et qu’elle ne débourse que la moitié de ce qui lui reste en fin de mois. L’autre partie, elle la met de côté. Parfois, et vu qu’elle adore les mômes, elle fait du baby-sitting en plus de son job de secrétaire. Quand on la paie en espèces, ce n’est que du bonus. Aujourd’hui, elle n’a dépensé que ce qu’elle avait dans son porte-monnaie. Je l’admire !

Une fois nos emplettes terminées, j’invite mon amie à se préparer chez moi, afin de lui éviter un aller-retour. Elle accepte, et nous nous faisons belles. Après avoir jeté mes nouvelles fringues sur mon lit, et tandis qu’elle s’habille, je prends ma douche. Ensuite, je me maquille : fond de teint, poudre, ombre à paupières mauve sur la moitié intérieure de l’œil, fondue avec du violet vers l’extérieur. Un trait d’eye-liner, un peu de mascara, du blush et mon rouge à lèvre rouge, véritable attrape-mec, sur ma bouche hyper pulpeuse. Ça m’a coûté assez cher de la faire gonfler pour que je la mette en valeur. Je termine par le fixateur. Je brosse enfin consciencieusement mes cheveux blonds, habillés de leurs longues extensions, et je m’attèle à l’élaboration d’une tresse sobrement relâchée. J’en retire quelques mèches que je transforme en boucles légères et aériennes, à l’aide de mon fer à friser. Je me trouve jolie malgré mon humeur morose, ce qui est assez rare chez moi, même en temps normal. J’enfile un tailleur rose pâle, le change contre un jean-débardeur. Ça ne me plaît pas. J’opte pour « l’indispensable petite robe noire ». Non plus, pas assez sexy. Finalement, je choisis ma robe rouge hyper moulante. Autant m’assurer que toutes les chances seront de mon côté pour que, ce soir, je ne rentre pas seule. Chaussures blanches à lanières qui permettent à ma peau bronzée aux UV de ressortir ; talons douze centimètres qui mettent mes jambes et mes cuisses musclées en valeur. La femme sexy par excellence. Je suis en mode bombasse, sans avoir l’air vulgaire. Très classe, parfait. J’aime plaire et me sentir désirée. Je suis prête, et ce soir, je ne dépense pas un centime.

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