CHAPITRE 3 (2/2)

3 minutes de lecture

— Tu ne sais pas ce que tu perds !

— Pas grave. Merci pour la brosse.

— C’est pour me protéger de ton haleine matinale que je l’ai achetée. J’ai envie de rester en vie. Je te rappelle que je l’ai déjà eue en pleine tronche, et tu pues de la gueule au réveil, crois-moi !

Je ris de bon cœur. La soirée, comme prévu, se déroule dans la rigolade, la picolade et la picorade des apéros. On passe un super moment, jusqu’à la question qui fâche :

— Dis-moi Zoé, ton magicien, ça y est ? Tu l’as mis dans ton pieu ?

— Jamais ! On s’envoie des mails tout à fait courtois et qui parlent de blé.

— T’es sérieuse ? Pourquoi ? Il est moche ? Il louche ? Il pue ? Tu es devenue lesbienne ? Tu veux coucher avec moi ?

— T’es con, Clara ! Ceci dit, je vais réfléchir à ta proposition.

Nous pouffons de rire, puis elle enchaîne :

— Comment il est ?

— Radin.

— Physiquement !

— Je dirais un mètre quatre-vingt-quinze, les yeux marron, les cheveux brun clair, type caucasien, tout ce qu’il y a de plus banal. À vue d’œil, environ soixante-quinze ou quatre-vingts kilos de muscles et, j’imagine, une grosse queue.

Clara s’esclaffe et se reprend :

— Sérieusement, comment tu vas en ce moment, tu gères ?

— Comme d’habitude, je me déteste, la plupart du temps.

— Tu continues à peindre ?

— Ouais, si j’abandonne ça, je meurs. J’ai réussi à finir le nu de la femme enceinte, cette semaine. Il faut que j’aille le faire encadrer, et après, je te le refile.

Je donne tous mes tableaux à Clara, elle les entrepose en attendant qu’ils s’abîment avec le temps. Il m’est impossible de les garder, sinon, je ne vois que leurs défauts et ça me donne envie de les bazarder. Je finis par les détester et me sentir nullissime. En revanche, quand je les regarde une fois par an, après avoir pris du recul, j’arrive à être satisfaite de ce que j’ai peint. Un tout petit peu.

— Ta grand-mère serait fière de toi pour ça, tu sais. Pas pour le reste, parce que tu es trop conne, mais pour ça, oui. Pourquoi tu refuses de démarcher les galeries ? Tu es super douée et tu gâches tout.

— Arrête, je t’assure que je fais de la merde par rapport à ce que veulent les marchands d’art.

— Pense à ce que te disait ta mamie Yéyette et bouge ton putain de cul !

— Je sais, je suis une grosse nulle… Elle me manque… si tu savais…

Et voilà, c’est le moment de la soirée où je fonds en larmes. Mon amie me prend dans ses bras, et me caresse doucement les cheveux tandis que je renifle et m’essuie les paupières, étalant mon maquillage qui me pique les yeux. Elle décide que j’ai, que nous avons, besoin d’un autre verre. Je dois en être à mon cinquième ou sixième Ti'punch, je ne sais même plus. En tout cas, nous avons réussi à déglinguer notre bouteille de rhum, et à bouffer ce qu’il y avait sur la table, cake au chorizo compris.

— Clara, t’es trop gentille… Tu sais que je pourrais te rouler une pelle.

— Si je n’étais pas autant bourrée, je pourrais aussi, ma belle. T’es trop bandante. Tes yeux bleus, tes mèches blondes et ton allure de bourgeoise parisienne... Tu as trop la classe, ma nénette ! En plus, tu domines le monde du haut de ton mètre quatre-vingt-cinq.

— Si j’enlève mes chaussures à talons, je ne fais plus qu’un mètre soixante-treize.

— Pas faux. Quoiqu’il en soit, tu restes une grande saucisse avec un cul superbement musclé, sans rien glander. D’ailleurs, je te déteste, pour ça !

— Je te rappelle que j’ai un tapis de course chez moi !

— Sur lequel seules les araignées montent…

— Je vais m’y remettre.

— Ouais, ouais, ouais… !

— Si, si, je t’assure, à un moment, je vais m’y remettre.

— C’est bon, pas à moi. Dis-moi plutôt pourquoi tu t’obstines dans cette connerie, Zozo ?

— De ne pas faire de sport ?

— Tu sais bien de quoi je parle. Arrête tout ça, et case-toi avec un beau gosse plein de fric.

— Tu sais pourquoi. Mamy, ma connasse de mère et toi, vous êtes les seules à le savoir.

Clara m’attire gentiment vers elle, et me serre contre sa poitrine accueillante.

— Viens par là… Je t’aime, ma Zozo. Je t’aime vraiment. Et j’ai sincèrement envie que tu passes à autre chose et que tu t’autorises enfin à être heureuse. Tu le mérites après tout ce que tu as traversé. Tu es une nana exceptionnelle, il serait temps d’en prendre conscience.

— Arrête, sinon je vais te la rouler, cette pelle.

— Ouais, ben en attendant, on va se coucher, sagement, et demain, on vomira ensemble.

— Tu as raison. Bonne nuit, Clara.

— Bonne nuit, ma Zozo.

Annotations

Vous aimez lire Virginie Favre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0