CHAPITRE 3 (1/2)

4 minutes de lecture

Une semaine plus tard, et en ayant été presque raisonnable, j’ai réussi à économiser cent vingt euros en espèces, ce qui représente une somme plus que conséquente. Je décide d’en envoyer la moitié pour la réparation de la voiture, l’autre, je la mets de côté, au cas où. J’écris un mail au type :

« Monsieur,

Je fais partir ce jour soixante euros pour un premier remboursement du devis. Merci de m’en confirmer la bonne réception.

Cordialement,

Zoé Valbens. »

La réponse est immédiate, à croire qu’il campe devant son ordi :

« OK.

SB »

Il ne s’est pas foulé.

Vers onze heures, Clara m’appelle alors que je suis en plein drainage des liquides corporels d’un septuagénaire, décédé d’une crise cardiaque :

— Salut Zozo, comment tu vas, ma belle ?

— Ça va, et toi ?

— Pour aller, ça va, c’est pour revenir…

—...

— Hum, dis-moi je voudrais te demander un truc, mais je ne sais pas comment m’y prendre.

Je lui réponds le plus gentiment possible, car elle sous-entend que je peux mal réagir :

— Ben… tu n’es pas à côté de moi, les scalpels sont loin, je crois que tu ne risques rien.

— Très drôle. Écoute, c’est très important, j’ai besoin que tu me réserves le deuxième week-end de septembre.

— Tu t’y prends à l’avance !

— Je préfère. Au moins, tu ne pourras trouver aucune excuse.

— Euh… je ne suis plus très sûre de te dire oui, là.

— Zozo, c’est crucial, j’insiste ! OK ?

— Bon… d’accord. Il y a quoi ce fameux week-end ?

— Ben, c’est justement tout le problème, je ne peux rien te dire.

— Tu sais que c’est une torture, pour moi ?

— Oui, je sais. Si je pouvais faire autrement, je t’assure que je le ferai.

— Ça n’est pas une surprise, au moins ? Tu sais que je déteste ça, Clara !

— Ne commence pas, je t’ai dit que je ne pouvais rien te dire. On change de sujet : c’est vendredi aujourd’hui, on se voit ce soir, comme prévu ?

— Non, désolée, je ne peux pas. Il faut que je paie le gigolo à la grosse caisse, du coup, j’arrête les frais quelque temps.

— Tu ne l’as pas encore fait ?

— Ben non, pas tout. Je le règle en plusieurs fois. Je suis en train d’essayer de me coudre un portefeuille en peau d’oursin. C’est ça ou je fais la pute.

— Pourquoi tu as choisi le plus compliqué ? Tu es nulle en couture !

— La culpabilité.

— Ouais, heureusement que tu l’as, celle-ci. C’est peut-être ta meilleure ennemie, mais elle t’empêche de faire des conneries. Tu veux qu’on en parle ? Tu n’auras rien à débourser, juste une petite rigolade entre copines... Alleeeeez, ma Zozooo…

— Tu fais chier, Clara. OK pour ce soir.

— Tu es top ! Apéro, dix-neuf heures à la maison. Ramène les chips, ça, je sais que tu en as plein tes placards, et ta brosse à dents. Je m’occupe du reste.

Traduction : soirée alcool, rires et pleurs. Je resterai dormir chez elle, comme souvent. Clara, c’est presque la fille parfaite. Elle rigole tout le temps, trouve toujours les mots pour consoler tout le monde, et ne se plaint jamais. Sa tignasse rousse et ses tâches sur le nez lui donnent un air mutin et malicieux. Ses yeux verts à l’irlandaise, et surtout son aura incroyable, font fondre les mecs, et même les nanas, qu’elle rencontre. Il suffit de quelques paroles et d’un sourire pour être sous son charme. Elle doit être un peu plus petite que moi, peut-être un mètre soixante-six. Cette fille est à tomber. Je l’aime beaucoup, si j’étais lesbienne, elle pourrait être ma meuf.

Je termine ma dépouille avec une demi-heure de retard, que je ne surfacturerai pas à sa veuve. Ceci va indubitablement se répercuter à la fin de ma journée. Pas grave, je compte rarement mes heures.

Le soir, quand j’arrive devant chez Clara, j’insère mes boules quiès en cire avant de sonner à sa porte.

— Putain, ce que tu peux être chiante, Zoé, on avait dit dix-neuf heures !

— ...

— Oh, je te parle ! Il est quasiment vingt heures trente ! Tu fais chier, hein ?!

— ...

— ZOÉ !!!!!!! Y’A QUELQU’UN ?

Je lui offre mon plus beau sourire, et je lui tends un sac Louis Vuitton contentant trois paquets de chips, deux saucissons, un bocal d’olives noires, une bouteille de rhum, des citrons verts et du sirop de sucre de canne. Ses lèvres s’étirent sur une dentition parfaitement blanche et régulière. Je vois qu’elle ne m’en veut plus. Je retire mes bouchons d’oreilles :

— Ça va... c’était beaucoup plus facile que ce que j’aurais pensé ! Tu n’es déjà plus en colère.

— Non mais je rêve ! T’es vraiment incroyable ! Tu sais que tu peux être un véritable boulet quand tu veux ?

— Ne m’en parle pas ! Ça fait trente-six ans que je vis avec moi-même, et je t’assure que j’ai essayé de divorcer bien des fois, pourtant, rien à faire, je suis trop collante, je m’accroche !

— Pff, t’es con ! Rentre !

Je m’installe tranquillement dans son canapé qu’on pourrait qualifier de... bleu, je crois... tandis qu’elle attrape les verres, un couteau et une planchette à découper. Histoire de me faire pardonner, je m’attaque à l’élaboration des Ti‘punchs, en souvenir de nos vacances mémorables en Martinique. Pendant ce temps, ma copine s’applique à nous faire de jolies rondelles de sauciflard, bien régulières, qu’elle dépose dans un bol sur sa table basse Ikea.

— Je croyais que tu t’occupais de tout, et j’arrive, tu n’as rien préparé ?

— C’est dans le four. J’ai fait un cake, c’est pour me rappeler ta tronche.

— Très drôle...

— Tu as pensé à ta brosse à dents, au moins ?

— Putain ! Je l’ai oubliée ! C’est pas possible !

Pour toute réponse, ma copine se lève en soufflant, se dirige vers sa salle d’eau, et revient avec une brosse toute neuve, rose.

— Je m’en doutais. Avec ta cervelle de moineau, j’ai prévu le truc. Par contre, je te préviens, je ne te ferai pas de place dans mon armoire et je ne laverai pas non plus tes chaussettes. On n’habite pas ensemble, compris ?

— Franchement, loin de moi cette idée ! Quoique...

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