Chapitre 2 (2/3)

5 minutes de lecture

« Bonjour Monsieur,

J’ai bien reçu votre mail avec votre facture et votre RIB. Ainsi que je m’y suis engagée, je vous réglerai la totalité.

En revanche, je vous ferai parvenir l’argent par mandat cash. Pour des raisons qui me sont personnelles, je préfère procéder ainsi, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

Cordialement,

Zoé Valbens »

Je sais pertinemment que le moindre euro déposé sur mon compte en banque servira à résorber mon découvert, et que le conseiller ne laissera passer aucun virement tant que je n’aurai pas un petit « + » qui apparaîtra en bas de mon relevé mensuel. Je regarde mes autres mails, et vois que j’ai des demandes de mes collègues qui ne peuvent pas tous faire face à la vague de décès. J’ai beaucoup, beaucoup de travail, et beaucoup, beaucoup d’argent qui rentre. Le problème, c’est que j’en dépense encore plus. C’est quand même aberrant ! Avec le tout ce que je me fais, je devrais même avoir des sous de côté ! Mais non, le fric brûle mes mains et mon portefeuille, c’est plus fort que moi, il faut que je le claque ! Pas de chance : c’est l’été, je me fringue, je sors, je picole et je me retrouve à découvert, dans tous les sens du terme. Je dois réellement me calmer sur la CB un mois ou deux. Ah ! Je vois que l’accidenté de la vie a déjà répondu à mon mail :

« Mademoiselle Valbens,

Décidément, vous ne faites rien comme tout le monde. Plus personne n’utilise d’espèces de nos jours, vous compliquez vraiment les choses. Pour ne rien vous cacher, cela ne m’arrange pas, je ne suis pas souvent chez moi et cela va m’obliger à me déplacer.

Vous pouvez m’envoyer un chèque si vous ne souhaitez pas faire de virement.

Espérant que cette solution vous convienne,

Bien à vous,

SB »

Il m’agace, ce mec. Tiens, j’y pense ! Je devrais peut-être voir si mon banquier est célibataire, ça pourrait devenir une sérieuse option… Je chasse cette éventualité aussi vite que son visage me revient en mémoire, ainsi que ses postillons sur mon contrat, et ses cheveux gras plaqués sur son crâne dégarni. Je tapote rageusement sur les touches de mon ordinateur :

« Monsieur,

J’ai bien noté votre réticence à percevoir de l’argent liquide, rassurez-vous, il est gagné honnêtement et possède autant de valeur qu’un chèque (qui pourrait être sans provision) ou qu’un virement ! D’autant que je vais devoir supporter des frais que je n’aurais pas par d’autres moyens de paiement !

Comme je vous l’ai dit, pour des raisons qui me sont personnelles, je préfère m’acquitter de ma dette de cette manière ! Souhaitant trouver une solution à ce qui semble, encore une fois, vous poser problème, je vous propose de vous faire parvenir les mandats à votre bureau, plutôt qu’à votre domicile. Il vous suffit de m’en donner l’adresse.

Par ailleurs, notez que le règlement se fera en plusieurs fois.

Cordialement,

Zoé Valbens »

Le ton de son message m’a énervée, tant pis. Je suis à mon avantage, c’est lui qui a peur de ne pas être payé, pas l’inverse. D’ailleurs, cela me donne le courage de réclamer mon dû à Anaïs. Je lui envoie un WhatsApp plutôt qu’un mail, au moins, elle ne pourra pas dire qu’elle ne l’a pas lu.

Moi : Bonjour Anaïs, j’espère que tu vas bien. Juste un petit mot pour te demander si tu peux me régler la thanato que j’ai fait pour toi, sur madame Céllieumard. Tu peux me payer par virement, espèces, PayPal, ou Lydia (je ne prends ni chèque ni CB). À très bientôt, passe une excellente journée.

Je n’en ai rien à foutre de savoir comment elle va et si elle passe une bonne journée, mais il paraît que c’est normal de faire semblant de s’intéresser. En tout cas, je suis en « mode vainqueur », je n’ai plus le choix. Ah ! J’ai une réponse de « SB », qui doit être trop fainéant pour écrire son patronyme en entier.

« Chère mademoiselle Valbens,

Je peux ressentir une légère colère au ton de votre mail, mais j’espère me tromper. Si toutefois ce n’était pas le cas, sachez que mon intention n’était guère de vous froisser. Veuillez pardonner ma maladresse.

Je souhaitais simplement vous exprimer ma surprise. En effet, j’imagine que s’il ne s’agissait pas d’argent gagné honnêtement, et loin de moi l’idée de supposer une telle ineptie, vous pourriez me régler la totalité en une seule fois...

Je préfère que vous envoyiez les mandats à mon domicile (indiqué sur la carte que je vous ai remise en mains propres), je demanderai à une personne de confiance de les récupérer pour moi, le cas échéant.

Vous renouvelant toutes mes excuses,

Je vous prie d’agréer, Chère mademoiselle Valbens, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

SB. »

Un bip me sort de mon agacement, et je referme mon ordi sans daigner lui répondre.

Anaïs : Pa 2 pro. je t di qd c fé

Je dois relire deux fois pour comprendre. Je hais l’écriture texto.

La journée est passée sans que j’aie vraiment fait quoi que ce soit, à part flemmarder, et je me demande encore si je ne devrais pas faire la pute, quelques semaines, peut-être quelques mois. Non, uniquement en cas de force majeure, Zoé. Visiblement, ça risque de ne pas être si évident que ça de rembourser le monsieur de l’Audi et le monsieur de la banque.

Vingt-trois heures quarante, je décide de me coucher. Comme chaque soir, j’ai énormément de difficultés à trouver le sommeil. J’insère mon casque Bluetooth, vais sur YouTube, et cherche une méditation pour m’aider à m’endormir. Il me faut bien vingt bonnes minutes avant d’en dégoter une qui m’apaise. Puisque je dors sur le ventre, l’une des oreillettes s’enfonce dans mon pavillon auriculaire et me fait mal. Je laisse tomber, la nuit promet d’être mouvementée. Je ne cesse de ressasser l’échange de mails avec le magicien. Dans mon imaginaire, j’arrange facilement les choses en faisant fortune ou en gagnant au loto. Puis, je songe à ma grand-mère qui m’avait dit qu’au lieu de m’occuper des morts, je devrais plutôt m’occuper de ma vie sans la brûler de cette façon. Je voyais dans ses yeux qu’elle croyait en moi. Elle y croyait certainement pour nous deux. Je n’ai jamais eu une très haute opinion de moi-même ni de mon intelligence, que mamie pensait supérieure à celle des autres.

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