Chapitre 2 (1/3)

6 minutes de lecture

Ce dimanche, j’émerge de bonne heure. Il est douze heures trente, c’est tôt pour un week-end. Je n’ai que de très vagues souvenirs de ma soirée d’hier. Je me rappelle juste avoir eu le temps d’ouvrir la portière du taxi avant de vomir, en revenant au petit matin. Un coup de chance ! Je regarde à côté de moi avec une légère appréhension : personne. Ouf ! A priori, je suis rentrée seule. Reste à savoir si je n’ai pas pu ou si je n’ai pas voulu ramener quelqu’un... J’ai un mal de crâne terrible, et tout tourne encore autour de moi. J’ai la gerbe. Allons, Zoé, courage ! Tu es habituée aux lendemains de cuite, tu vas gérer ! Doucement, très doucement, je me hisse hors du lit et je me dirige à pas feutrés sous la douche, histoire d’éviter que ma tête n’explose.

Une fois propre, et puisqu’il fait chaud, je décide de rester nue. J’opte pour un petit déjeuner léger, du thé suffira, accompagné d’une tartine de paracétamol. Je me pose avec mon bol devant mon ordi. Après réflexion, sans même l’allumer, j’abandonne. Un bain sera plus utile qu’une douche. Pardon la planète. Je ne mettrai pas de mousse. Là, clairement, ça tourne encore, et c’est mauvais signe. Je m’écris une note mentale : refuser la prochaine tournée des bars de Fathia.

Je pensais que je ne craignais rien avec elle, vu que les musulmans ne doivent pas boire d’alcool. Or, cette adorable petite brune pétillante d’un mètre soixante a préféré rompre avec la religion. Elles ne s’entendaient plus, m’avait-elle confié. Elle avait fait appel à mes services à la mort de son frère. En théorie, c’est interdit par le culte, cependant, étant donné qu’il la frappait quotidiennement depuis des années, elle avait décidé de se venger de cette manière. Fathia s’apprêtait même à accepter le don d’organes, avant de se raviser, se contentant de froisser au minimum, un dieu auquel elle ne croyait presque plus. Vu que Mahmoud, le frangin en question, demeurait sa seule famille, elle pouvait faire ce qu’elle voulait du corps, ou presque. Lors de notre rencontre, elle n’avait pas feint d’être effondrée. Du coup, nous avions beaucoup discuté, comme de vieilles copines. C’était presque un coup de foudre amical, et nous avons décidé de sortir hier. À charge de revanche, ma belle, tu ne t’en tireras pas si facilement !

Il est finalement quinze heures quand je me replace devant mon pc, et m’installe très inconfortablement sur ma chaise pliante. Je vais mieux, j’ai cuvé, et mes céphalées se sont fait la malle à force de médocs. Comme d’habitude, j’ai juré de ne pas recommencer. « À l’impossible, nul n’est tenu » : je sais d’ores et déjà que je ne tiendrai jamais cette promesse. Je ne fais malheureusement pas partie du club des femmes abstinentes. « Un esprit sain dans un corps sain », « Mangez mieux, mangez moins », « Pour votre santé, faites plus de sport » etc. Tout ça m’est parfaitement inconnu. Mon monde à moi, c’est du saucisson, des chips, de la picole, de la baise... ce genre de trucs, quoi. Je vois bien trop de morts dans mon métier, pour ne pas profiter de la vie. Enfin, une fois mon ordinateur démarré, je m’apprête à rentrer le mot de passe quand, soudainement et de manière totalement inexpliquée, un trou de mémoire se loge dans mon cerveau. Il doit bien faire la taille d’un ballon de football (le trou, pas mon cerveau), parce que je ne me souviens plus du tout des quatre chiffres que je tape cent fois par jour. Rien ne vient. Nada, zéro, niet. Je suis consternée par cette amnésie partielle. Comment est-ce possible ? Je sors de cuite, certes, mais tout de même je n’émerge pas à proprement parler. Je me concentre, réfléchis, trépigne, m’agace, m’insulte, m’encourage, rien n’y fait. Je fixe bêtement ce pavé numérique qui me nargue avec ses petits chiffres ridicules. Allons, Zoé, c’est un truc facile. Ah oui ! C’est lié à l’histoire de France. Je tente : quatorze, dix-huit. Non, ce n’est pas ça. Trente-neuf, quarante-cinq, non toujours pas. Putain, c’est quoi mon code, bordel de merde ?!

Puis, d’un coup, d’un seul, ça me revient ! Miracle ! Ceci dit, cet épisode m’interpelle, d’autant que ça m’est déjà arrivé plusieurs fois avec le code de ma carte bleue, qui chauffe bien plus que de raison. Ma grand-mère avait la maladie d’Alzheimer lorsqu’elle est décédée, et je me demande s’il est possible d’en développer une forme précoce. En réalité, je me demande plutôt si moi j’en développe une. Car je sais que ça existe. J’avais lu un article là-dessus, c’est rare, pourtant c’est une éventualité. J’avais également vu un film qui traitait du sujet « Se souvenir des belles choses » avec Bernard Campan. Bon, je m’occuperai de ça plus tard.

Je tape enfin les chiffres magiques quatre-vingt-neuf et dix-sept. La Révolution française de 1789. Comment ai-je pu oublier un truc pareil, moi, l’éternelle rebelle ? Je n’en reviens toujours pas. Bref, je commence par mon petit rituel : consulter mes mails. J’ai un coup au cœur lorsque je vois un message de « sebbello@gmail.com ». Merde ! Deux semaines après, il s’est souvenu de moi. J’hésite, puis je me dis que c’est différent de WhatsApp, il ne peut pas savoir si, ni quand, je l’ai ouvert. Je clique dessus, au pire, je ferai celle qui la reçut dans les spams.

« Bonjour Mademoiselle,

Suite à notre arrangement, voici la note (devis) de réparation pour le parechoc de mon véhicule, ainsi que mon RIB, afin de procéder au virement à votre plus rapide convenance.

J’espère tout de même que vous vous êtes remise de vos émotions et de notre rencontre.

Comptant sur votre honnêteté,

Bien à vous,

Sébastien Bellomago.

PJ 2 »

Je décortique machinalement et mentalement le mail, comme cela m’arrive trop souvent, ce qui est totalement inutile, du reste. Résultat, son « à votre plus rapide convenance » m’agace. Comme si ça pouvait me convenir, de filer mon fric à un mec que je ne reverrai jamais ! Pour qui il se prend ? S’il savait que je n’ai pas que lui à payer, il ferait moins le malin. La seconde phrase est plus ambiguë. Pourquoi s’inquiète-t-il du fait que je me sois remise ? Sûrement encore une formule de politesse. Ce « tout de même », me laisse penser qu’il s’oblige à demander faussement des nouvelles, c’est particulièrement absurde. Quant à « Comptant sur votre honnêteté », il me signifie clairement qu’il n’a aucune confiance en moi pour le rembourser. Son « Bien à vous », est tout bonnement ridicule. Il n’est pas à moi du tout, sinon il ne me ferait rien payer et il serait dans mon lit. Quel abruti mielleux !

Je clique sur la pièce jointe nommée « devis » et ma mâchoire tombe sur mon clavier tellement le prix me paraît exorbitant : cinq cent soixante-douze euros et vingt-neuf centimes. Je n’en reviens tout simplement pas. Il doit y avoir une erreur, ça doit être écrit en francs pas en euros ! Ah ben non, ce sont bien des euros. Ce prix-là pour une petite rayure ? Et ben ! Je m’effondre, dix secondes, pas plus. Je ne sais pas du tout comment je vais pouvoir lui payer une somme pareille, pourtant il faut bien que j’y arrive ! Comme souvent dans ces cas-là, je demande un coup de main à ma grand-mère décédée. C’est très con, elle ne risque pas de me faire un virement, mais ça m’aide. J’espère juste qu’elle n’a pas ramené Alzheimer là où elle est, et qu’elle se souvient encore de moi. Après lui avoir envoyé une prière mentale, je me lève pour me servir un grand verre d’eau fraîche, histoire de faire redescendre la pression que je viens de me mettre, car je compte bien tout rembourser, malgré tout. Mes fesses ont adhéré au plastique de la chaise pliante, ça me fait un mal de chien lorsque je m’en décolle, et j’ai la marque moulée sur cette partie généreuse de mon anatomie. Heureusement que je suis célibataire, ce truc est un vrai « tue l’amour ». J’enfile un short, histoire d’éviter que ça recommence. Pas très sexy avec les seins nus. Je m’en fous.

J’essaie de réfléchir et de trouver une solution à ce problème d’argent. En plus de mon boulot, je pourrais faire un peu la pute quelque temps, c’est bien payé. Je choisirai mes clients. Non, j’ai dit que je gardais cette éventualité uniquement pour les cas de force majeure, et clairement, ce type n’en est pas une. Par contre, je pourrais commencer par demander à Anaïs de me filer mon blé. Avant tout, je décide de répondre au « beau magicien », je dois assumer.

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