Chapitre 1 (2/3)

4 minutes de lecture

– Rien à voir !

– En effet.

Je le regarde, il croise ses bras et se plante comme un piquet devant ma portière.

– Vous imaginez sérieusement que je vais m’échapper ?

– Non, votre voiture doit rouler à l’allure d’un escargot handicapé de la coquille.

– C’est fin...

– Bon, on va faire ça directement par smartphone.

– Euh...

– Quoi, ne me dites pas que vous n’avez pas de smartphone !

Si, j’en ai un. Néanmoins, je n’ai aucune envie de te faciliter la tâche. T’es trop con pour ça.

– Non.

– Vous les cumulez, vous !

Ce que je cumule, c’est plutôt les emmerdes, aujourd’hui.

– Je... j’ai passé une journée très difficile.

– C’est pas terminé, il n’est que dix-sept heures trente.

– Vous avez fini de vous moquer de moi ?

– Et vous, vous avez fini de me prendre pour un idiot ?

– Quoi ?

– De nos jours, tout le monde a un smartphone.

– De nos jours, tout le monde roule en SUV Audi ? Parce que moi, je n’ai ni l’un ni l’autre ! Elle n’a quasiment aucun dégât, votre bagnole, en plus ! Juste une petite rayure, et vous en faites une montagne.

– Ça signifie que vous ne voulez plus faire de constat ?

– C’est simplement que ça ne vaut peut-être pas le coup.

– C’est une voiture neuve !

– La mienne est plus défoncée que la vôtre et je n’en fais pas des tonnes !

– Quelle mauvaise foi ! Vous êtes vraiment extraordinaire ! Et puis d’ailleurs, puisqu’on en parle, vous n’avez pas l’air handicapée du tout !

– Quel cliché ! Vous croyez que tous les handicaps se voient et que tous ceux qui en sont atteints sont dans des fauteuils roulants ?

Je sens qu’il me dévisage et me scrute de bas en haut.

– On peut savoir ce que vous avez ?

– Non, on ne peut pas ! Par contre, vous pouvez vous mêler de votre... de votre voiture !

– Quelle plaie ! Bon, je me suis emporté. Désolé. Vous avez raison, ce n’est pas si grave. On va échanger nos numéros et nos mails. Je vous envoie la facture de réparation. Ça vous va ? Je suis pressé.

Visiblement, j’ai réussi à lui rabaisser son caquet, il faut que je me calme un peu.

– Je suis quelqu’un d’honnête, vous savez. Je vous paierai.

– De toute façon, effectivement, il n’y a pas grand-chose. Je ne risque rien.

Je lui demande de se pousser de devant ma portière et j’attrape de quoi noter.

Zoé Valbens : 06 12 58 34 94

Mail : zoe-thanato@gmail.com

— Thanato ? C’est Valbens votre nom, ça veut dire quoi « thanato » ?

– Que vous êtes un futur client.

– Hein ?

– Laissez tomber !

– Bon, vous me prêtez votre Bic  ? Je vais relever votre plaque, ajoute-t-il.

– Bravo pour la confiance, je rétorque, boudeuse.

Je lui tends mon stylo, espérant lui couper l'envie de répondre à ma provocation. Je la regrette déjà.

– Tenez, voici mes coordonnées, dit-il finalement, en me donnant une carte.

Forcément, c’est plus classe.

Sébastien Bellomago

Avenue des Vespins

06800 Cagnes-sur-Mer

Tél. : 04.24.32.90.07

Port. : 06.74.32.09.38

Mail : sebbello@gmail.com

Je regarde le bout de carton et je fais une réflexion idiote :

– 007, comme James Bond.

– Hein ?

– Votre téléphone.

– Ah... je n’avais jamais fait attention.

– Vous êtes italien ?

– Une partie de ma famille. Pourquoi ?

– Votre nom.

– En parlant de cliché, tous les patronymes qui se terminent en « o » ne sont pas d’origine italienne, fait-il remarquer sur un ton acerbe.

– En effet. Mais là, ça veut dire « beau magicien », et vous habitez proche de la botte. Du coup, c’était une probabilité. Vous êtes loin de chez vous, ici.

– Je viens environ une fois par mois à Paris, pour affaires. Bien, j’aurais aimé avoir ce genre de discussion dans d’autres circonstances, malheureusement, vous en avez décidé autrement. Je dois y aller.

Quel con ! J’articule pourtant :

– Désolée encore. Je vous assure que je rembourserai tout.

– On verra bien. Je vous envoie la facture par mail. Navré de vous avoir offensée pour votre papier et votre « handicap qui ne se voit pas ». Soyez plus prudente, la prochaine fois.

Il remonte dans sa voiture et me fait un petit signe poli qui sonne faux, auquel je réponds par un sourire forcé.

Cette fois, il est temps de rentrer à la maison. J’ai envie de faire pipi, et aussi d’un bon bain, même si on est en été. Du reste, quand j’y repense, le gars devait avoir bien chaud dans son costume noir. Ceci dit, il a la clim, lui, au moins.

J’ai la chance inouïe d’avoir une baignoire, un luxe qui n’est pas donné à tout le monde. Bien sûr, c’est mauvais pour la planète, alors je culpabilise. Une seconde, c’est suffisant. Mon besoin de détente l’emporte sur l’écologie. Je vais même avoir l’indécence de mettre du bain moussant. J’aurais pu le prendre bio, mais j'ai d'autres priorités.

Arrivée devant chez moi, une place se libère inopinément. J’en profite pour y garer ma Titine et ferme la portière qui grince. Je monte les trois marches du perron, glisse la clef dans la serrure de l’accès « sécurisé » du sas. Je force un peu, car elle bloque. Je force encore un peu plus, et encore un peu. Là, je sens que ça lâche d’un coup sec. Je regarde le morceau resté entre mes doigts.

Oh putain... la journée de merde !

J’appuie sur le bouton de l’interphone au niveau de l’étiquette « Gardien ».

– Ouais, c’est pourquoi ?

– Hum... Euh... Bonjour, monsieur Vartigue ! C’est Zoé Valbens.

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