L'Autre

5 minutes de lecture

— Joli masque, je dois l'admettre, rit-elle, très dérangeant et efficace. Hélas pour toi, j'avais repéré ta signature magique lors de ta visite du château l'autre jour. Oui, oui, j'étais là, mais contrairement à toi je brouille toujours mes émanations d'énergie, au cas où…

N'ayant jamais rien eu à craindre d'autres sorcières, Sarah-Maëlle ne se cachait jamais. Au contraire, elle espérait rencontrer des consœurs. C'était chose faite. Une voix en elle lui soufflait de se méfier, encouragée par la baguette faussement indolente de l'autre. Elle préféra garder le silence tandis que son esprit cherchait une échappatoire.

— Ce lieu et sa merveilleuse collection, je les ai repérés depuis un moment déjà. Je manœuvre pour épouser le fils du châtelain, ainsi tout sera légalement à moi ! Tu peux donc comprendre que je ne tiens pas à ce qu'on me dérobe.

La brume factice montrait les premiers signes de dissipation.

— Pour l'heure, rien ne t'appartient, croassa Sarah-Maëlle d'une voix rauque.

L'Autre fronça les sourcils.

— Ta voix, on dirait celle d'un homme.

Elle grimaça et étudia la silhouette de Sarah-Maëlle dont les habits de cambriolage proches du corps laissaient deviner une morphologie inhabituelle pour une femme.

— Je suis une femme dans un corps d'homme, gronda Sarah-Maëlle pour la faire cesser.

Bien qu'assumant l'identité qui vibrait en elle, la jeune femme s'irritait qu'on se permette de la reluquer dès qu'on se rendait compte que ses formes et proportions n'étaient pas celles escomptées. Nul n'aimait être la cible d'une attention aussi insistante, elle encore moins pour la subir plus fréquemment.

— J'envisageais de te laisser repartir gentiment, entre consœur de bon goût, mais un mâle… La magie est notre apanage !

Sarah-Maëlle ne lui permis pas de jeter le premier sort, elle projeta une fumée noire coulant de sa baguette en direction de l'autre. Dans le même élan, elle se déporta sur le côté, le flacon contenant l'œil contre elle, direction la seconde porte qui menait sur une enfilade de pièces.

Le sol se mit à gondoler sous ses pieds. Certaines reliques s'entrechoquèrent dans les présentoirs, produisant un claquement. Cela donnait à Sarah-Maëlle l'impression d'être dans une bouche géante qui claquait les dents de peur. Elle ne se laissa pas intimider et ensorcela la dernière étagère sur son passage qui se dressa sur ses pattes pour se placer entre les deux sorcières. La porte s'ouvrit avec violence et alla cogner contre le butoir. Toutes celles de l'enfilade de pièce en firent de même dans un beau mouvement.

— Cela ne suffira pas à me retenir ! aboya l'Autre.

Ici, plus de brume magique. Sarah-Maëlle jeta le flacon contenant l'œil devant elle d'une main et leva sa baguette de l'autre. Tandis qu'un bruit de bris témoignait du destin du premier, la seconde fit un tour sur elle-même avant de déverser une véritable purée de pois. Bien sûr, cela empêchait tout autant la lanceuse d'y voir quoi que ce soit que l'autre. Cela valait mieux que d'être filmée et risquer de montrer son visage à la police, une signature magique ne pouvant être retenue comme preuve.

Un autre sort discret propulsa l'œil libéré de son récipient dans la main de Sarah-Maëlle, elle s'empressa de glisser le globe moite dans l'ouverture de sa banane.

Une rafale de vent la projeta en avant. Son épaule cogna sévèrement un présentoir qui tomba dans un fracas de verre et de bois.

— Regarde les dégâts que tu causes, commenta l'autre. Enfin quand je dis «  regarde  »… tu aimes le trouble, l'obscur, tout comme tu t'illusionnes sur ta nature et tes pouvoirs. Les mâles sont capables de quelques tours de passe-passe, cela ne vaut pas la vraie magie. Rend-moi l'œil de Margot, cette vénérable sorcière mérite mieux que toi.

— Je ne suis pas un homme, en voilà la preuve.

Le brouillard se condensa au plafond. Ramassée au sol, Sarah-Maëlle tendait sa baguette vers l'autre. Deux sorts jaillirent en même temps et entrèrent en collision dans un explosion sourde. Un haut-le-cœur envahit Sarah-Maëlle qu'elle retint à grand peine. Le mobilier vibra faiblement, inspirant une manœuvre à la sorcière. Elle forma une bulle de silence autour de sa tête et diffusa une vibration la plus grave possible en jouant sur son amplitude. L'autre se prit la tête des deux mains, prise d'un violent mal de crâne.

Sarah-Maëlle en profita pour remonter sur deux pièces avant d'ouvrir une fenêtre et son volet. Heureusement que la collection prenait place au rez-de-chaussée… Elle enjambait le mur quand le souffle chaud d'une déflagration lui brûla l'arrière de la cuisse gauche. Dans un réflexe de survie, Sarah-Maëlle se jeta la tête en avant dehors et se réceptionna dans une roulade maladroite. Elle lâcha un cri de douleur et diffusa un jet d'eau sur sa brûlure.

La tête furieuse de l'autre apparut à la fenêtre. Sarah-Maëlle eut juste le temps de constater qu'elle saignait du nez avant de lui refermer les volets à la figure. La cambrioleuse les renforça d'une croissance subite de branches et de racines qui s'ancrèrent dans le mur. Profitant de cette avance, elle réitéra son sort d'infrason avant de boitiller aussi vite que possible vers sa fourgonnette. Il lui vint à l'esprit d'utiliser un sort de vent pour la pousser lorsqu'elle atteignit la grille, lui faisant parcourir les derniers mètres plus rapidement.

— On part ! revient vite, lança-t-elle à l'intention de sa chatte.

Celle-ci était une familière, soit un animal lié à une sorcière, elle comprenait très bien ses mots et apparut aussitôt près d'elle.

— Dans la fourgonnette, juste le temps de lancer deux enchantements…

L'un pour rendre la grille agressive, l'autre pour camoufler le véhicule. Animée par l'adrénaline, Sarah-Maëlle parvint à s'asseoir à sa place malgré la douleur vive de sa cuisse – le tissu du siège ressemblait à du papier de verre. Elle cria en appuyant sur l'embrayage et démarra en trombe, tous phares éteints.

Parvint-elle à semer l'autre  ? Cette dernière décida-t-elle de renoncer à la poursuite  ? Elle n'en sut rien tandis qu'elle rejoignait avec satisfaction les routes bitumées où les voitures ne laissent pas de d'empreintes discernables.

Elle emprunta l'auto-route et se réfugia à la première aire de repos qu'elle trouva. Son corps tremblait de souffrance et le malaise guettait. Un tonique rangé dans la boîte à gant la revigora. Puis elle alla rejoindre son domicile à l'arrière de la fourgonnette où elle fouilla dans ses baumes. La chatte miaulait doucement pour la réconforter.

Une fois les soins effectués, Sarah-Maëlle dut s'allonger sur la banquette afin de laisser l'épaisse pâte graisseuse agir sur sa brûlure. Elle n'avait même pas pris la peine d'ôter son pantalon et il répandait un parfum nauséabond dans l'habitacle. Couplé à celui du baume, cela faisait une atmosphère irrespirable.

— Le seau… parvint-elle à marmonner à l'intention de sa chatte.

Le félin poussa le récipient en fer-blanc vers sa maîtresse qui se pencha au-dessus du sol et lâcha sa bile. Tout tournait autour d'elle.

Un vrai fiasco.

(à suivre)

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cléo Didée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0