Iliéna découvre l'émotion…Chap 32

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Grâce à la magie d’Agathe

Une heure plus tard, le taxi les dépose devant le théâtre de Cancún situé au cœur de la ville. Une foule dense est agglutinée devant l’entrée de la salle et les spectateurs pénètrent en file indienne, munis de leur billet d’accès.

Iliéna, surprise que tant de personnes se déplacent pour voir ce "concert", estime que le divertissement doit avoir une importance particulière pour les humains. Les gens ont revêtu une tenue spéciale, les femmes de jolies robes et les mâles terriens portent presque tous des pantalons et vestes de couleur sombre. Elle trouve Julien particulièrement élégant dans un costume noir qui met en valeur sa silhouette longiligne. À l’instar des autres hommes, il a noué une sorte de papillon en tissu autour de l’encolure de sa chemise blanche.

Elle sourit :

— Quel drôle d’accoutrement, qu’en penses-tu, Lhiréa ? Demande-t-elle mentalement à sa sœur.

Sur Terre on appelle cela un smoking, mais je suis d’accord avec toi Lhiréou, ainsi en noir et en blanc, ils ressemblent à des pingouins ou à des manchots…Ou à des orques pour certains, répond Lhiréa en riant.

Iliéna/Lhiréou a juste eu le temps de passer à la boutique de l’hôtel. La vendeuse, qui la reconnaît, lui loue pour l’occasion, une robe longue à bustier noir qui met en valeur la peau claire de ses épaules nues et la blondeur de ses cheveux. Elle s’est permise de lui conseiller de coiffer ses cheveux, et devant l’ignorance manifeste de la jeune fille, lui tresse une unique natte qu’elle ramène sur sa poitrine. Cette simplicité lui va à ravir, au vu des regards que les hommes laissent glisser sur sa silhouette.

Ils ont bénéficié de places surplombant la scène. Julien paraît parfaitement à son aise, mais il voit bien qu’Iliéna est intimidée.

— Ce soir est un grand soir, vous savez !

– Non, elle ne le sait pas.

– La troupe du Bolchoï Minsk, va présenter des extraits de grands ballets sur des aires de musiques classiques. Je me suis dit que cela vous ferait plaisir…

— Ah…Bien…Formidable ! Répond Iliéna en cherchant à gagner du temps. Vite Lhiréa, dis-m’en plus ! Comment peut-on jouer et danser sur un balai ? Je n’y comprends rien...

— Je n’en sais pas plus que toi, Lhiréou. Fais semblant de connaître et demande à Julien de te procurer le programme qui est vendu dans la salle, lui glisse Lhiréa par l’interface bionique.

— C’est vraiment une très belle idée Julien, J’adore les "balais"…Pouvons-nous avoir un programme ? Répète-t-elle, obéissante.

À la lecture dudit programme, elle comprend qu’il s’agit de musiques célèbres : le "Lac des Cygnes", "Giselle", "Roméo et Juliette", la "Belle au Bois Dormant" et le "Carnaval des Animaux"

— Ce n’est pas étonnant que les hommes ne croient pas aux prédictions funestes de la conférence. Ils vivent dans un monde de rêveries, lui souffle Lhiréa.

Lhiréou se fait une idée de ce que peut être une danse. Elle assimile cela aux déplacements harmonieux des bancs de poissons qui l’ont tant charmée quand, par l’intermédiaire de LhiréouB, son double holographique, elle a nagé en leur compagnie.

De la musique, elle ne connaît que celle des vagues, ainsi que les vibrations et les mélopées du peuple amphibien, chantées pour rassembler les poissons sur Leaurélia. Sur Terre, apparemment, elle est également utilisée pour rassembler les humains dans un même espace. Grâce au corps d’Iliéna, elle a la possibilité de comprendre une facette du mode de fonctionnement complexe des habitants de la planète sœur de la sienne.

De la hauteur où elle se trouve, Iliéna aperçoit un nombre important de personnes rassemblées dans une fosse. Elles sont vêtues, elles aussi, en blanc et en noir et possèdent chacune un objet, de forme et de grosseur différentes. Ces ustensiles sont posés sur les genoux de leurs propriétaires, soit au sol devant eux, mais tous sont l’objet d’une attention particulière.

Julien commente en connaisseur :

— Regardez comme les joueurs de cordes sont nombreux dans l’orchestre ce soir…Il y a aussi un grand nombre de "vents"

Iliéna ne comprend absolument rien à ces cordes et à ces vents qui ne correspondent en rien aux sons dont elle a l’habitude. Elle préfère se taire et enregistrer mentalement ce nouveau vocabulaire. Elle sait que Lhiréa lui donnera des explications plus tard, mais tout va trop vite pour le moment… Une sonnerie retentit et le brouhaha de la salle cesse instantanément…

Un homme muni d’une baguette entre et immédiatement, les spectateurs frappent leurs mains l’une contre l’autre, longuement et avec force.

— Ils signifient ainsi qu’ils sont heureux d’être là et encouragent la troupe, lui souffle Lhiréa, en mode cérébral.

— Heureusement que nous communiquons silencieusement nous deux, car avec ce vacarme, il serait impossible de s’entendre, lui répond Lhiréou/Iliéna. Les Terriens se manifestent vraiment d’une drôle de manière.

— Je pense que ce n’est que le début ma chère sœur. Laisse-toi porter parce que tu vas vivre maintenant. J’ai l’impression que ce moment va être exceptionnel pour toi… Tu vas devenir une vraie Terrienne, d’ailleurs à partir de ce soir, ne sois pas surprise, je ne t’appellerai plus qu’Iliéna pour faciliter ton intégration.

Iliéna/Lhiréou choisit de faire confiance à sa sœur et, bien qu’interloquée de tant de bruit, imite Julien et se joint aux applaudissements.

Trois coups sourds retentissent et les lourdes tentures pourpres tendues devant leurs yeux, s’écartent lentement…Sur une scène dans l’obscurité complète.

Puis tout s’éclaire en une seconde sur des hommes et des femmes en costumes colorés, immobiles sous les applaudissements nourris du public.

Au même instant, sur un signe de l’homme à la baguette, qui semble être leur chef, l’orchestre entonne “l’Acte" un du "Lac des Cygnes".

La force et l’union des instruments sont tel, qu’Iliéna sursaute violemment dans son fauteuil. Elle s’attendait à tout… Sauf à ça…

Elle met ses deux mains sur ses oreilles et jette un coup d’œil affolé à Julien. Celui-ci n’a rien remarqué de sa panique, heureusement, et paraît déjà plongé dans une totale béatitude.

Le premier instant de surprise passé, Iliéna se laisse gagner elle aussi par l’admiration. Comment les humains sont-ils capables de produire une telle mélodie avec de simples instruments ? C’est franchement extraordinaire ! Ils ne peuvent pas être si mauvais puisqu’ils produisent tant de beauté…

Sous ses yeux émerveillés, une danseuse vêtue de plumes blanches virevolte, avec une légèreté absolue, dans les bras d’un homme qui la soulève avec grâce au son de la musique.

Ainsi, c’est cela la musique, cette harmonie extrême qui unit les êtres et leur donne envie de se rapprocher les uns des autres, de rassembler leurs forces…Elle sent une onde d’allégresse monter dans son cœur et envahir sa tête. Elle éprouve une bouffée d’amour pour cette race tellement différente et se dit qu’un peuple ne peut pas disparaître en emportant une telle capacité d’émotion.

Lhiréa ressent l’émoi de sa sœur et comprend qu’il lui sera impossible de revenir en arrière maintenant qu’elle éprouve des sentiments humains. Elle voudrait lui dire que l’émotion de l’espèce humaine peut, comme dans le cas présent, engendrer l’amour, à l’inverse elle peut également provoquer des catastrophes. Elle l’a déjà fait d’après Réa, si l’on se réfère à l’histoire de cette planète.

Pendant la majeure partie du spectacle, Iliéna ne bouge pas d’un pouce, les mains accrochées aux accoudoirs de son fauteuil, le buste légèrement penché en avant, comme pour accompagner les mouvements des danseurs. La musique a totalement investi son corps. Elle perçoit les larmes des violons pleurant les malheurs de "Roméo et Juliette", elle s’émerveille du son aérien des flûtes traversières qui chantent le vent dans les joncs du " carnaval des animaux ", elle sauve Albrecht des fantômes avec "Giselle". Elle est médusée et sous le charme…

Puis c'est l’heure du ballet final. "La mort du cygne " de Camille Saint-Saëns, La salle a comme un haut-le-cœur, un arrêt furtif sur image.

Iliéna ne sent rien venir…

La danseuse vêtue de plumes blanches fait son entrée sur une scène vide, emplie simplement du duo d’un violoncelle et du piano. Le dialogue musical enfle, si magnifique que plus une respiration n’est perceptible dans la salle.

Sur la pointe de ses chaussons, la danseuse est devenue cygne, ondulant ses bras comme autant de battements d’ailes…

Iliéna sent une énorme boule nouer le creux de son ventre, sa bouche s’entrouvre, ses yeux s’écarquillent. Elle n’a jamais rien vu de plus pur, que l’union des deux instruments et de la danseuse. La lumière est devenue bleutée, la seule tache blanche vole, céleste comme une lune, dans un ciel étoilé…Iliéna a la vision de Leaurélia devant ses yeux, elle revoit sa mère, Miléria, au temps du bonheur. Elle pense à ses sœurs, à son peuple, à la vie qu’elle a pour mission de préserver à tout prix.

Elle sent ses joues se tremper, débordant du lac de ses yeux…Rien ne peut plus l’empêcher de déverser l’émotion que la musique vient de provoquer.

Julien ne regarde plus devant lui. Il devine l’émotion d’Iliéna et tourne la tête dans sa direction. Le spectacle la bouleverse. Les yeux exorbités comme si elle a vu un fantôme, la bouche ouverte les joues trempées par un raz-de-marée, tétanisée et blanche comme un linge, elle est une pasionaria…

Quand dans une dernière agonie, le cygne se recroqueville au sol pour mourir, elle sent la main de Julien rejoindre la sienne. Elle s’y accroche de toutes ses forces. La dernière note est chantée par le piano.

Un tonnerre d’applaudissements éclate dans la salle. Incapables d’esquisser le moindre geste, empreints d’un trouble émanant pour l’une et pour l’autre d’origines différentes, Julien et Iliéna restent soudés l’un à l’autre, unis par l’instant magique...

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