Chapitre 4 :

Ravies d’avoir emporté l’adhésion du Grand Conseil des Gardiennes de la Vie, Lhiréa & Lhiréou se mettent au travail, avec toutes les Gardiennes affectées au pilotage de la trajectoire de Leaurélia.

Elles ont besoin, de ralentir la vitesse acquise par Leaurélia, depuis l'exil de leur système solaire. C’est une première.

Au départ il leur était vital de s’éloigner au plus vite de la zone d’attraction du Trou Noir menaçant d’engloutir leur système solaire.

Elles savaient bien qu’il faudrait, un jour, stabiliser Leaurélia autour d’une étoile, mais cela n’avait pas été leur priorité. Cette nouvelle étape concentre toutes les connaissances récemment acquises par les Leauréliens. Les Gardiennes de la Vie ne peuvent mettre en péril leur planète dans cette opération.

Leur organisation sociale possède un avantage majeur. Une fois les décisions prises par le Grand Conseil des Gardiennes, l’ensemble des peuples de Leaurélia se mobilise comme un seul être tendu vers l’objectif à atteindre.

De plus, la satellisation, même lointaine autour d’un soleil, n’est pas pour déplaire à une grande partie des Leauréliens, angoissés par leur voyage dans l’inconnu sidéral. Le grand ralentissement de leur planète vagabonde s’effectue assez simplement, au grand soulagement de Lhiréa & Lhiréou.

Pour affiner la mise en orbite aux limites de l’héliosphère de ce soleil, où fut découvert l’appareil, là où les photons lumineux, issus de la fournaise nucléaire de l’étoile, ne peuvent plus lutter contre les rayonnements énergétiques intersidéraux, Lhiréa & Lhiréou font appel aux Stellaires.

— Réa, il nous faut maintenant trouver la meilleure position dans l’espace pour que la masse de Leaurélia n’implique pas de perturbations gravitationnelles dans le ballet cosmique des planètes de ce système, ainsi que dans le fonctionnement de la chaudière nucléaire du soleil jaune. Nous savons, depuis des millénaires, que la masse des planètes et leurs orbites conditionnent la régularité de son rayonnement.

— Vous avez raison, Lhiréa, pour cela nous préconisons de stabiliser Leaurélia, même si nous sommes en limite d’influence solaire de cette étoile, sur le plan orbital suivi par la majorité des planètes.

— Dans ce cas pourriez-vous nous indiquer tous les données nécessaires.

— Nous les avons déjà relevées. Réan et son équipage ont eu la bonne idée de consigner ces mesures lorsqu’ils ont capturé l’appareil. À ce propos, je suggère de remettre "L’appareil Spatial" sur sa trajectoire. Il ne nous est plus d’aucune utilité. Vous en avez extrait toutes les informations possibles.

Je vous rappelle qu’il émettait un signal. Si les êtres qui ont lancé cet engin suivent toujours celui-ci. Je ne voudrais pas qu’ils s’en inquiètent et que cela devienne un moyen de nous faire repérer.

— Excellente initiative, Réa ! Nous pouvons donc maintenant organiser l' expédition vers la troisième planète de ce Soleil Jaune.

— Nous sommes en préparatif, nous prendrons trois vaisseaux. Nos derniers déboires avec les "Araignées", nous incitent à la prudence. Ils seront équipés du champ magnétique d’invisibilité. Logiquement nous devrions passer inaperçus de tout système visuel ou électromagnétique.

— J’ai une requête !

— Oui, Lhiréou ! Réa est étonné. Dans leur code social ce sont d’abord les Leauréliens qui formulent une demande aux Gardiennes de la Vie.

— Je souhaite vous accompagner dans cette expédition. Je sais que ma demande est incongrue, car jamais les Gardiennes de la Vie ne quittent Leaurélia. Je suis pour beaucoup à l’origine de cette nouvelle aventure, de la détection du signal à la découverte et décryptage des disques qui nous ont finalement conduit à la préparation de cette expédition.Vous pouvez refuser et je demanderai l’assentiment de mes sœurs, les Gardiennes.

Réa, sans voix, est abasourdi par cette demande. Il est inquiet d’embarquer dans l’inconnu une des filles de Miléria, mais il ne peut pas refuser. Cela serait considéré comme un acte de rébellion suprême et cela n’existe pas dans leur société.

— Oui ! Répond-il après un long silence, mais vous me chargez, de la responsabilité écrasante de votre sécurité, ce n’est pas prévu dans nos préparatifs.

Lhiréa le rassure.

— Le conseil vient d’autoriser Lhiréou à prendre part à l’expédition, elle est effectivement la mieux placée d’entre nous tous. Elle saura prendre toutes les décisions qui s’imposeront au bénéfice de Leaurélia.

— De fait, vous êtes déchargé de toute responsabilité. Le Conseil vous place sous celle directe de Lhiréou.

— Alors soulagé Réa ?

— Oui ! Mais c’est une situation inhabituelle pour mes équipages.et moi-même.

— Ne vous inquiétez pas. Je n’ai nullement l’intention de commander aux Stellaires.

— Quand vous serez prêt, prévenez-moi. Nous allons, avec Lhiréa, terminer la phase de mise en orbite lointaine de Leaurélia et merci encore de m’accepter à votre bord.

Réa n’en revient toujours pas. Les Gardiennes de la Vie prononcent leurs décisions, mais ne remercient pas. Elles n’attendent d’ailleurs aucun remerciement des Leauréliens. Elles sont simplement là pour agir dans l’intérêt de tous les peuples, que cela, plaise ou non.

Lhiréa a le cœur serré de laisser partir Lhiréou dans cette expédition. Elle aurait souhaité l’accompagner. Jamais, depuis la mort de Miléria, leur mère, elles ne s’étaient séparées. Leur filiation et leur mission de Gardiennes de la Vie, les ont fait reconnaître de tous pratiquement comme une seule et même personne.

Elle approuve le choix de Lhiréou, mais elles ne peuvent, avec leur responsabilité de pilotage de Leaurélia dans l’espace, quitter ensemble leur planète. Lhiréou bien qu’extrêmement excitée à l’idée de découvrir une planète jumelle de Leaurélia, éprouve, comme sa sœur, un pincement au cœur en quittant Lhiréa et Leaurélia. Elle éprouve du remords en abandonnant ainsi sa planète.

C’est irrationnel, car, avec leurs interfaces bioniques, Lhiréa & Lhiréou ressentent toutes leurs émotions de façon croisées. Elles peuvent prendre des décisions ensemble, comme si elles étaient côte à côte. Les vaisseaux de Réa sont fin prêts au départ et une navette attend Lhiréou pour les rejoindre en orbite. Lhiréa & Lhiréou s’enlacent comme jamais elles ne l’ont fait, comme si elles pressentent, inconsciemment, une séparation définitive.

Lhiréa regarde la navette disparaître dans le crépuscule désormais artificiel de Leaurélia. Lhiréou va s’aventurer dans une nouvelle lumière. Elle espère secrètement qu’elle ne changera pas trop celle qui est, depuis sa naissance, la moitié d’elle-même.

— Tu es en moi, ma sœur, comme je suis en toi ! La voix de Lhiréou retentit dans ses oreilles. Grâce à leurs interfaces, elle perçoit l’angoisse de Lhiréa

— Rien de ce qui se produira ne nous sera étranger, tu es en moi, tu vivras tout avec moi et pourras le faire vivre aux Gardiennes de la Vie.

Lhiréa n’aperçoit déjà plus la navette. Elle doit aborder le vaisseau de Réa. Lhiréou fait l’expérience visuelle de l’invisibilité des vaisseaux des Stellaires. Devant elle, le vide spatial, sa navette en orbite au-dessus de Leaurélia dont elle perçoit l’Aiguille Géante qui étincelle dans la pénombre de la nuit naissante. Cette montagne gigantesque transperce l’atmosphère de Leaurélia, elle est à l’origine de tous leurs mythes.

Une alerte sonore lui indique l’approche imminente de la position du vaisseau spatial de Réa, mais rien de visible dans l’espace, soudain la beauté des nuages de Leaurélia fait place à la soute du vaisseau. Elle vient de s’ouvrir pour laisser pénétrer la navette. Dés l’ouverture du sas l’hymne célébrant l’Aiguille Géante et sa légende retentit. Elle a fait naître l’aventure spatiale des Leauréliens.

Chanté par Réa, son fils Réan, ainsi que les trois équipages des vaisseaux, rassemblés pour l’occasion, Lhiréou l’écoute pratiquement au garde à vous.

— C’est trop d’honneur que vous me faites, chers frères Stellaires.

— C’est de notre devoir. C’est un immense plaisir de recevoir une fille de Miléria à notre bord.

— Vous connaissiez parfaitement nos vaisseaux, mais laissez-moi le plaisir de vous le faire découvrir.

— J’ai déjà pu constater l’efficacité du champ d’invisibilité, c’est tout simplement extraordinaire ! Réa, la navette n’aurait pas affichée votre position, il aurait été impossible de vous localiser,

— C’est la base de notre sécurité. Mais quittons cette soute et suivez-moi au poste de pilotage.

Les vaisseaux des Leauréliens s’inspirent fortement de leur environnement marin. Ils ont la forme d’une goutte d’eau allongée et légèrement aplatie. Sur la partie la plus arrondie, se trouve le poste de commande des vaisseaux. En pénétrant dans celui-ci, Lhiréou est prise d'un bref instant de vertige. Devant elle et à 180 degrés, sans aucune gêne visuelle, Leaurélia défile à ses pieds.

— Je connais pourtant le procédé des murs écrans, mais je dois l'avouer, c’est très impressionnant.

L’espace s'offre à son regard comme s'il n’y avait aucun mur.

— Réa, puis-je vous demander une faveur ?

— Vos souhaits sont des ordres. Que pourrions-nous refuser à une Gardienne de la Vie ?

— Pourriez-vous m’installer un poste d’observation face à cette immense baie ?

— Vous n’aurez aucun repère !

— Merci de votre sollicitude, Réa, mais c’est mon souhait de me plonger complètement dans l’espace,

— Nous allons partir. La distance à parcourir nous prendra quelques jours, cela nous laisse le temps d’installer votre poste d’observation. Il vous permettra d’admirer les planètes que nous allons découvrir.

Les trois vaisseaux Leauréliens, commandés par Réa, franchissent la distance entre la frontière de l’héliopause du Soleil Jaune et les premières planètes géantes du système, en moins de trois jours.

Située à plusieurs heures lumière du soleil jaune, Lhiréou est fascinée par cette géante gazeuse entourée de milliards de petits anneaux de pierres et de glaces qui semblent n’en faire que deux à l’œil nu.

Plus de dix satellites accompagnent la planète. Certains approchent la taille de Leaurélia. Réa avec son vaisseau survole cette immense planète à la demande de Lhiréou. Le spectacle des Anneaux qui défilent devant le vaisseau, possède un effet hypnotique. Elle ne peut en détacher son regard.

— Lhiréou ! Nous devons continuer vers la troisième planète, il reste à parcourir environ la même distance que nous avons déjà réalisée.

— C’est vous, Réa, le Commandant et maître d’équipage, j’obéis à vos ordres.

— Vous comprendrez, Lhiréou, que je n’ai pas pour habitude de commander une Gardienne de la Vie.

— Je sais Réa, mais je ne suis que votre hôte à bord.