La traque

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Le désert des Murmures s'étendait à perte de vue et le Manieur de Rêves s'y enfonçait toujours, à la poursuite du prince d'Ortanne.

Dans un carillon sans fin, les amples dunes d'ambre qui parsemaient l'horizon se décomposaient et se dispersaient au gré des étouffantes bourrasques. Voilà trois jours que Gartt suivait les traces laissées par le prince et son escorte. Trois jours interminables, trois jours éreintants. Guetter pour anticiper, puis se courber et ressentir. Et, de nouveau, observer et deviner la voie empruntée par sa proie.

Son dos le lançait à force de se baisser, et ses muscles courbaturés réclamaient du repos. Un repos qu'il ne pouvait décemment pas s'accorder dans l'immédiat. La mission primait sur ses besoins personnels. Du temps pour récupérer, il en aurait à souhait lorsque le cadavre du prince giserait à ses pieds.

Parvenu au sommet d'un monticule instable et claironnant, le Manieur de Rêves s'agenouilla. Il ôta de ses yeux les épaisses lunettes en verre d'oscurine, avant de les remonter sur son front hâlé. Aussitôt, l'éclat du sable ambré lui parut à la fois plus agressif et plus net. Gartt se déganta la main droite puis saisit une poignée de grains. Dans sa paume, le sable tinta, comme les fragments d'une bouteille brisée.

En l'approchant de ses yeux experts, Gartt découvrit la lueur singulière qu'il recherchait : une petite flamme qui scintillait fébrilement au cœur des gravillons d'ambre. Celle-ci s'animait sous l'impulsion de vibrations bien particulières, engendrées par le passage d'une masse conséquente. En d'autres termes, elle trahissait celui que le Manieur de Rêves traquait, en illuminant son itinéraire.

Gartt se pencha davantage et avança le sable jusqu'à ses oreilles, afin de percevoir les murmures qui donnaient leur nom au désert. Les cris distendus qui émanaient des pierres s'étaient rapprochés depuis sa dernière étude. Ils devenaient davantage distincts. Presque compréhensibles. Gartt talonnait sa cible. Encore une nuit à cette allure, et il rattraperait sa future victime.

D'une seconde écoute, l'homme distingua la provenance des murmures. Le prince continuait vers l'ouest, tout en s'orientant subtilement vers le nord. Gartt sourit sous son foulard beige. Un sourire mauvais. Un sourire de prédateur.

"Ainsi, c'est la Miridie que tu as choisie pour te réfugier, jeune prince. Malheureusement pour toi, tu ne quitteras jamais ce maudit désert."

Gartt relâcha le sable, qui glissa lentement entre ses doigts avant de regagner l'amoncellement chatoyant. S'appuyant sur ses genoux, il se redressa. Tel un coup de poignard, la douleur de l'effort répété se logea dans le bas de son dos. L'homme s'étira les muscles dolents tout en grognant, avant de se masser délicatement.

"Par Vakaa Kón, les longues chasses ne m'apparaissent plus aussi aisées qu'avant. Allez, en route, veillard."

Il resserra la ceinture de son long manteau, dont la teinte brune et claire lui aurait permis de se dissimuler dans un désert ordinaire. Aux creux des plaines ensablées qui environnaient Ortanne, le Manieur de Rêves serait passé incognito. Il n'avait pas envisagé que sa traque le mènerait jusqu'au cœur des Murmures et de leur chatoiement ambré.

Gartt reprit sa route. La chaleur le gagnait et lui arrachait de lourdes gouttes de sueur. Il les sentait serpenter le long de son échine. Il aurait pu, d'un simple coup de dague, se délester de cet inconfort sensitif. Toutefois, il préférait ne pas alerter le prince, qui aurait tôt fait d'alerter ses gardes. Gartt ne dégainerait qu'une seule fois parmi les Murmures, et ce serait pour priver le prince d'Ortanne de sa vie.

Arrivé au bout de la dune qu'il traversait, l'homme se laissa glisser le long de la douce pente. Ses hautes bottes de cuir noir firent cliqueter les centaines de billes jaunes qu'elles frottèrent. De près, le bruit paraissait assourdissant. Mais, perdu dans le concert éternel des Murmures, sa glissade passa inaperçue.

Gartt continua vers le nord-ouest jusqu'au soleil couchant, tentant tant bien que mal de s'abriter sous sa capuche, son foulard et ses lourdes lunettes. Dans l'après-midi, il avait bu les ultimes gouttes d'eau de sa troisième et dernière outre. Le soir tombé, arpentant le désert devenu mauve sous le regard de la lune, il regretta de ne pas en avoir conservé pour les minutes qui précéderaient l'affrontement. Il espérait que ses opposants aient maintenu un meilleur rationnement que le sien. Ainsi, il pourrait profiter de leurs ressources pour le chemin de retour.

Dans le pire des cas, une fois le prince mort, il trancherait sa soif jusqu'à dénicher une source d'eau potable. Il l'avait déjà fait. L'important, c'était de ne pas demeurer trop longtemps séparé de cette sensation. Le risque était grand, mais le prendre n'était pas insensé.

Dans le creux de deux dunes aux pâles reflets violets, le Manieur de Rêves décela la lueur qu'il pourchassait depuis trois jours. Après s'être agenouillé, il analysa le terrain. Dans les grains de sable, les flammèches dansaient ardemment.

"Je te tiens", déclara Gartt avec un sourire satisfait. Il se remit sur ses pieds et grimpa au sommet de la dune adjacente. Il se fit le plus précautionneux possible pour ne pas agiter les gravillons mauves. Enfin, depuis cette surélévation, il aperçut sa proie.

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