Chapitre 3

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J’ouvre la barrière de sécurité qui permet d’accéder à l’immense parking devant l’usine. Pierre, un colosse de deux mètres en charge de la sécurité sur le site, me fait signe de passer. J’abaisse la vitre côté conducteur.

— Tu en as une mine affreuse ce matin, se moque Pierre en souriant.

— Je n’ai pas eu un sommeil très réparateur, disons ça.

Il croise ses bras. Je crois que mes jambes sont plus fines que ses biceps !

— Bon, détends-toi ce week-end et récupère. Tu as prévu quoi ?

Je grimace, les mains serrées sur le volant. Une voiture arrive derrière moi.

— J’ai pris mon lundi pour voir une amie. Sinon, rien de particulier pour samedi et dimanche.

Un léger coup de klaxon retentit. Par réflexe, je regarde dans mon rétroviseur. Pierre, lui, continue de me fixer sans porter attention au salarié mécontent qui tente de rentrer lui aussi.

— Tu ferais bien de sortir un peu plus, ça te ferait du bien. Je sais que tu as du mal à oublier, mais ça fait un an maintenant. Après, ton week-end n’est pas totalement perdu. Mardi matin tu me raconteras tout, d’accord ?

J’acquiesce avec un petit sourire en coin et roule en direction du parking. Un pique d’adrénaline me saisit. J’inspire une grande bouffée d’air frais.

Les souvenirs s’emmêlent une nouvelle fois. Je regarde ma montre. Six heures cinquante.

Non, n’y pense plus et repose-toi.

Une fois garé, je ferme les yeux en attendant sept heures, puis je les rouvre difficilement une poignée de secondes plus tard. Une silhouette cogne à ma vitre. Je sors de mon véhicule et reconnais ma sauveteuse.

— Si je n’étais pas passée devant ta voiture, tu aurais certainement dormi jusqu’à dix heures !

Je m’étire un grand coup et compare mon état pitoyable aux cheveux soyeux de Nathalie. Elle paraît toujours impeccable, même quand le malheur la pourchasse. Elle porte un legging qui épouse parfaitement ses formes durement acquises à la salle de sport. Son haut est simple, mais mis en valeur par une chaîne en or discrète. À côté, j’ai un vieux jean de travail et un t-shirt blanc uni avec des taches blanches sous les aisselles. Pas très vendeur.

— Oui, merci. J’ai failli louper notre café, c’est pour ça que tu m’as réveillé !

Lorsque je m’approche, une douce odeur de fraise émane de ses cheveux. Elle les replace derrière son dos.

— J’avoue, je n’aime pas prendre un café toute seule, dit-elle en rigolant.

— Je suis certains que tu aurais trouvé un remplaçant assez facilement, Nat.

Elle rougit et écourte la conversation.

— On y va ?

Antoine, tu aurais dû réfléchir avant de parler.

Nous entrons à l’intérieur de l’usine. Des grands couloirs mènent à plusieurs bureaux enfermés dans la même pièce. Entre ces espaces, plusieurs ateliers s’agglutinent. De l’usinage, aux tests des composants, du montage et un local de maintenance. Derrière cette zone se trouve plusieurs salles de pauses.

— Tu aurais dû réagir ce jour-là.

— Pardon ?

Nathalie me dévisage et fronce ses sourcils.

— Je n’ai rien dit. Tu es sûr que tu as bien dormi Antoine ?

J’ai pourtant cru que quelqu’un avait parlé. La voix a presque agressé mes oreilles. Je ne suis pas capable de dire d’où elle venait.

— J’ai dû me tromper, excuse-moi. Allons prendre ce café, ça me réveillera !

Je prends un double cappuccino, tandis que Nathalie demande à la machine un café latté noisette.

Pour amorcer la discussion et dissiper la gêne qui s’est insérée entre nous, je lui lance :

— Tu sais, je crois que la machine la plus productive de la boîte c’est celle qui nous sert des cafés !

Elle pouffe, puis rétorque :

— C’est sûr que ta machine doit moins tourner que celle-ci !

J’ai un poste d’opérateur dans la société. Nous sommes seulement une vingtaine dans l’entreprise à faire de la reprise de pièces et composants, pourtant notre groupe est indispensable à sa survie pécuniaire. Grâce à notre équipe, toutes les petites erreurs commises lors de l’assemblage peuvent être rattrapées, ce qui sauve des milliers voire des millions d’euros tous les mois.

Cet avantage nous permet de ne pas être trop surveillé par un chef et nous offre une liberté qu’aucun autre service ne possède. Cependant, lors d’une opération délicate, la concentration et la réflexion sont les clés qui permettent d’usiner des assemblages complexes.

— La mienne rapporte quand même plus !

Nathalie tourne sa tête en direction des salariés qui arrivent pour envahir les salles de pauses. J’ajoute :

— Tu as raison. Elle fonctionne plus que ma machine, dis-je sur un ton humoristique.

Elle se tourne à nouveau vers moi. Ses yeux s’arrondissent.

— Je peux te poser une question ? me demande-t-elle subitement.

Je n’étais pas préparé à ce changement d’ambiance si brutal. Le sérieux qui émane d’elle me donne froid dans le dos. Mon cœur se serre.

— Vas-y.

— Pourquoi tu ne me parles jamais de ton passé ?

Soudain, le visage de Victor s’affiche à la place du minois de Nathalie. Il m’oppresse. Une voix s’insère dans ma tête, tellement vivante. Je chancelle et perçois un brouhaha lorsque je tombe de ma chaise. Des mains m’agrippent les bras. Des mots sont prononcés. Un rappel du diable. Des souvenirs démoniaques surgissent et m’envahissent.

— Réponds-lui. Assume ce que tu as fait !

La voix disparaît et le calme reprend peu à peu possession de mon corps.

Un picotement surgit dans ma mâchoire. Nathalie me secoue par les épaules.

— Hé, Antoine ! Tu étais parti où ?

Mon esprit est embrumé. Je ne suis jamais tombé. Toujours avec ma tasse dans les mains. Assis sur ma chaise. Et Nathalie qui m’observe, effrayée par la situation. Elle ajoute, me poussant à croire que je viens de rêver :

— Je t’ai simplement demandé pour rigoler si tu souhaitais une paille avec ton café, pas besoin de me faire une crise cardiaque pour si peu !

Antoine, la journée risque d’être longue. Tu ferais bien de terminer ton café et d’aller travailler.

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