Pendant cette période

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Pendant cette période de l’école primaire j’avais, parmi mes camarades, un garçon prénommé Antoine, fils d’immigrés italiens, qui habitait l’une des maisons du hameau. Notre joyeux binôme, non content d’explorer les haies et les champs, se rendait souvent dans le mystère du vieux Monastère dont il tâchait d’explorer le moindre recoin. Nous entrions par une porte de dimension modeste, dans une envolée de plumes et une bordée de roucoulements. A l’évidence nous dérangions le peuple colombin qui se dispersait dans une manière de nuage cendré, rehaussé de touches cuivrées. C’était un peu comme un jeu, peut-être même l’expérimentation de notre juvénile puissance, nous étions plus forts que ces volatiles que nous mettions en émoi. Antoine avait la fougue de son jeune âge à laquelle se mêlait une naturelle audace attachée à l’exercice d’une vie rude. A l’époque, être fils d’immigrés voulait dire être la proie des quolibets de ses petits camarades et être considéré, en quelque sorte, comme un marginal si ce n’est un fils du vent sans foi ni loi, un sauvageon livré à ses propres pulsions.

Avec Antoine nous nous entendions bien. Je ne partageais nullement le vice rédhibitoire qu’il cultivait pour le goût du tabac. Il n’était pas rare qu’il se fît punir volontairement par le Maître d’Ecole pour une raison simple. Ce dernier jetait régulièrement, dans la cour, de longues cigarettes à peine fumées qu’il récupérait le temps que l’Instituteur mettait à fermer les volets. De la maison où j’habitais, parfois je m’amusais à l’observer. Il montait la côte qui conduisait aux ‘Ardrieux’, laissant s’échapper derrière lui de fins nuages de fumée. Toujours, sur lui, il portait un briquet de façon à ne pas être pris au dépourvu. Nous étions donc des Robinson Crusoé explorant leur île. Certes nos découvertes étaient plus que modestes, conformes qu’elles étaient à ce que livrent habituellement toutes les masures : vieilles bouteilles culottées de crasse, vieux journaux jaunis, cartons ondulés, planches, bûches de bois. Un jour parmi ces jours de modeste cueillette, à l’étage, dans un recoin de la pièce, un vieux pistolet à barillet, sans balles, heureusement pour nous. Le mécanisme fonctionnait et du fait de la trouvaille commune nous en avions un usage alterné. Je ne sais aujourd’hui ce que cette arme est devenue. Sans doute a-t-elle sombré dans un antique coffre, seule la mémoire en conserve l’inaltérable empreinte.

De la pièce du haut, nous dominions un vaste horizon, guetteurs au sommet de leur nid-de-pie, vigies heureuses auxquelles nul ne pouvait soustraire le vaste paysage apparaissant au-delà des croisées à meneaux. Ces souvenirs d’enfance sont précieux parce que inentamables, ils brillent tel un sémaphore dans la nuit. Aujourd’hui, à défaut de retrouver le passé, j’ai voulu revoir les ‘Ardrieux’ ou bien ce qu’il en demeure.

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