Un deuil particulier

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Peu de temps après les funérailles de son père, la veuve Bomarché remarqua des changements inquiétants dans l’attitude d’Evelyn.

Le lendemain de l’enterrement, l’adolescente se vêtit de haillons pleins de cendre. Elle refusa d’expliquer les raisons de ce nouveau choix vestimentaire, mais exigea qu’on l'apppelât désormais Cendrillon. Lorsque sa belle-mère refusa de lui donner ce nom dégradant, Evelyn la gifla.

Mme Bomarché comprit ce jour-là que la mauvaise éducation que son mari avait inculqué à Evelyn avait porté ses fruits.

Les jours qui suivirent, Cendrillon décida qu’on lui laisserait faire toutes les tâches ingrates de la maison. C’était à elle de faire la vaisselle, de passer le balai, de nettoyer et recoudre les habits. Mais si elle apercevait une de ses demi-sœurs en train de raccommoder un bas ou de faire la cuisine, Cendrillon laissait paraître sa vraie nature. Elle détruisait les plats et donnait des coups de balai à ses sœurs.

Les années passèrent. Désormais Anastasie et Javotte n’essayaient même plus d’adresser la parole à Cendrillon. Mme Bomarché, pourtant à la recherche du bien-être de tous, évitait le plus possible de se trouver dans la même pièce que la petite. Celle-ci se faisait passer pour une servante soumise et malheureuse, ce qui avait déjà entraîné Mme Bomarché dans des situations plutôt embarrassantes.

Une fois où elle avait souhaité entretenir des liens plus forts avec les autres grandes familles de la région, la veuve de M. Bomarché avait invité chez elle les Aloz et deux barons du comté voisin. Alors qu’ils allaient rentrer dans la villa, ils furent tous accueillis par une jeune fille maigre et pâle, les cheveux pleins de cendre et une lueur famélique dans le regard. Lorsque M. Aloz comprit que cette enfant était la petite Evelyn, il courut à grands pas jusqu’aux appartements de Mme Bomarché. Cette dernière eut beau tâcher d’expliquer la fantaisie de l’adolescente, personne ne crut un seul instant à son histoire. Ses invités lui crachèrent au visage avant d’inviter Cendrillon chez eux. La jeune fille accepta avec émotion, et quitta sa belle-mère sans même lui jeter un regard. Lorsqu’elle revint chez elle deux mois plus tard l’adolescente était magnifique, vêtue de robes de grands couturiers. Mme Bomarché et ses filles crurent qu’elle arrêterait enfin de les tourmenter. Néanmoins lorsque Javotte descendit se préparer un petit déjeuner, elle trouva Cendrillon, vêtue de haillons et déjà en plein travail.

La veille de sa majorité, Cendrillon apprit en épiant ses sœurs qu’un bal était organisé par le prince la semaine suivante et que toute jeune personne pourrait s’y présenter. Javotte hésita un moment à y aller, mais Anastasie lui rappela que les pots de peinture qu’elles avaient commandés arriverait le même jour. Comme elles avaient prévus de peindre toute la journée, Javotte ne pensa plus au bal.

Les jours suivants, les trois femmes remarquèrent un changement dans l’attitude de Cendrillon. Elle dormait à peine, ne se coiffait plus et se salissait de plus en plus. On avait l’impression qu’elle se roulait sur un sol crasseux toute la nuit. Jamais on ne l’aurait plus prise pour une jeune fille martyrisée, et personne ne comprenait les causes de cette replongée dans sa fausse soumission.

Le soir du bal, les sœurs peignaient avec leur matériel tout neuf lorsqu’elles abordèrent le sujet :

– Cendrillon m’inquiète. Je sens qu’elle prépare encore une fois quelque chose contre nous, devina Anastasie.

Sa  sœur déclara en posant ses pinceaux :

– Je vais voir ce qu’elle manigance. Tu viens ?

Anastasie haussa les épaules et continua de peindre : elle avait reçu assez de coups de balai pour le reste de sa vie. Mais Javotte ne renonça pas et descendit à la cave, là où logeait Cendrillon depuis la mort de son père.

Un quart d’heure plus tard Anastasie imaginait sa sœur étendue sans connaissance sur le sol froid lorsque Javotte reparut saine et sauve :

– Alors, t’a-t-elle répondu ?

– Je ne la trouve nulle part.

En effet, Cendrillon n’était plus à la villa. Elle se tenait devant les gardes du palais royal. Les deux hommes la regardèrent s’approcher avec méfiance. La jeune femme était couverte d’une robe bien trop petite pour elle que Cendrillon avait abîmée autant que possible la nuit précédente. Elle portait des sabots de paysans ; ses cheveux d’un gris sale pendaient sur ses épaules ; son visage était parsemé de cendre.

– Vous ne venez quand même pas pour le bal, ma p’tite dame ? demanda rudement le premier garde.

Le regard implorant qu’elle lui jeta le bouleversa. Elle avait les même yeux tristes que sa grand-mère Amélia qui lui manquait beaucoup.

– Passez par cette porte derrière moi, lui souffla-t-il. De là vous trouverez la cuisine, et on vous donnera à manger.

Sans hésitation Cendrillon suivit les conseils du garde sans perdre de temps. Arrivée à la cuisine, elle fit de son mieux pour passer inaperçue. Par bonheur, les cuisines du château ne respectaient aucune mesures d’hygiène et la plupart des employés étaient aussi sales qu’elle. Elle finit par atteindre la salle de bal.

La pièce était dix fois plus grande que ce qu’elle s’était imaginée. Treize lustres pendaient du plafond, révélant l’imposante masse des danseurs. Sur l’estrade, le prince dansait avec une femme jeune et charmante.

Le prince Basile baisa la main de la jeune danseuse. Il la regarda s’éloigner en se demandant avec qui danser la valse. Il n’aimait rien autant que cette danse-là, avec son rythme particulier. Le prince était certain que la personne avec laquelle il danserait la valse serait sa future femme.

C’est alors que des insultes, des exclamations de dégoût et d’horreur retentirent depuis l’entrée de la salle. Il aperçut depuis l’estrade des invités qui s’écartaient avec précipitation d’une jeune femme. Le prince comprit pourquoi.

Une mendiante marchait d’un pas faible et maladroit dans sa direction. Sa robe n’était qu’un immense chiffon sale, ses cheveux pleins de suie, son visage abîmé. Elle ne quittait pas le prince des yeux tandis qu’elle se dirigeait vers l’estrade. Inconsciemment, le prince la prit en pitié en partageant sa souffrance. Elle venait d’arriver à sa hauteur lorsque la mendiante trébucha. Instinctivement, il lui porta secours. Un bref instant il fut dégoûté par le contact de sa main avec le bras sale de la femme, mais son visage resta impassible. Le regard du prince s’attarda sur le visage de la jeune fille : ses yeux semblaient lui demander de l’aide. Sans réfléchir, le prince Basile demanda :

– Voulez vous bien m’accorder cette valse ?

Elle lui sourit ; c’est à ce moment là qu’il sut qu’elle serait sa femme.

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