Chapitre 1 (1)

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Je lissais ma tunique écarlate une dernière fois avant de m'assoir devant mon miroir et vérifier que ma tenue était ajustée comme il le fallait. Je n'eus cependant pas le temps de m'attarder plus longtemps sur mon maquillage, la porte de ma roulotte s'ouvrant après un coup très bref sur le bois.

— Caprice, c'est à toi dans cinq minutes. Lansade est monté sur scène.

Je tournai la tête vers l'acrobate. Il venait de terminer son spectacle et me prévenait que mon tour arrivait. J'acquiesçai avec un sourire poli.

— Merci, Nim. Ça a été ?

— Parfait, le public est sympa.

Nim referma la porte sans s'attarder davantage. Nous savions que nous aurions l'occasion de reparler de ce spectacle, même si nous n'étions pas les plus proches amis. Il venait simplement me prévenir de ma prochaine entrée sur scène.

J'inspirai un grand coup et passai ma main brièvement dans mes cheveux sévèrement attachés. Inutile de m'apprêter plus que de raison, je quittai ma petite roulotte pour rejoindre le chapiteau aux lignes rouges et blanches du Bolérion. Il me restait dix minutes pour m'échauffer, la durée approximative du numéro de Lansade avec ses chevaux. Je secouai mes bras, sautillai sur place et m'étirai de long en large jusqu'au moment où les équidés sortirent en trombe des coulisses, suivis par leur cavalier à pied.

C'était mon tour. Quelques mots de la part de notre présentateur et je passais les rideaux, rejoignant la lumière des projecteurs. Je saluais le public, sourire factice aux lèvres. Mes bras agrippèrent les draps pendus au sommet du chapiteau. Je m'enroulai plusieurs fois dedans, exécutant quelques prouesses techniques tant en matière de souplesse que de tours rondements menés auxquels les spectateurs s'exclamaient à chaque semblant de chute. Le tissu aérien était désormais devenu ma vie.

Après des années à servir le Bolérion dans les rôles les plus moindres, Fredra avait finalement trouvé la discipline qui put me convenir. De l'ombre à la lumière, la petite fille que j'étais jadis, colérique et indisciplinée, était devenue une femme athlétique et rigoureuse, tourbillonnant gracieusement dans les tissus. Jamais, je n'avais oublié mes désirs de vengeance, jamais je n'avais oublié la solitude et la douleur qu'avait imposé mon statut d'orpheline, mais le Bolérion m'avait offert cette seconde chance, à laquelle je m'étais accrochée comme je m'accrochais aujourd'hui aux draps pourpres de mon enchaînement acrobatique. Et voici ce que devenait ma vie, un spectacle perpétuel.

Mon numéro prit fin sous l'acclamation vigoureuse du public et le reste de la troupe me rejoignit sur la piste pour un dernier salut. Je fus soulagée lorsqu'enfin je retrouvais la chaleur ténue de mon habitation pittoresque. Sous la lampe à huile, je troquais ma tunique de spectacle pour un peignoir en coton. Je me démaquillai à mon aise, à renfort de grands coups d'éponges sur mon visage, au-dessus de ma petite bassine d'eau, quand je fus interrompue par un énième coup à ma porte. Comme personne n'ouvrit, je répondis :

— Oui, entrez !

La tête de Lansade s'insinua entre le battant et la porte.

— Caprice, Fredra te demande dans son bureau.

J'arrêtai de me démaquiller et regardai mon collègue avec étonnement. Je me demandai bien la raison pour laquelle Fredra me réquisitionnait à cette heure-ci ?

— Je suis là dans dix minutes.

Mais Lansade resta figé sur place, me faisant froncer les sourcils.

— C'est urgent, tu dois y aller tout de suite.

Je soupirai fortement. Dans un cirque, il n'y avait jamais moyen d'être tranquille, ni même d'avoir un tant soi peu d'intimité. Cette roulotte, c'était un cadeau de Fredra pour mes bons et loyaux services offerts après tant d'années. Il était mon rempart, celui qui me séparait des autres saltimbanques et m'offrait un semblant de calme et d'apaisement... Sauf quand on venait m'y trouver pour des broutilles et poser un tas de questions, comme cela arrivait bien trop souvent.

— J'arrive…

J'essuyai brièvement mon visage avec une serviette et sortai de ma roulotte pour rejoindre la tente de ma supérieure. Celle-ci était toujours agréablement chauffée par un feu et de nombreuses bougies. En son centre, une table campait au milieu du bordel tentaculaire de Fredra. Nous avions beau être arrivés et installés depuis une semaine à Laulac, cela ne l'empêchait pas d'être terriblement bordélique. Les déménagements incessants du cirque tous les vingt jours n'étaient pas une raison valable pour tenir une tente rangée plus de quelques heures chez elle, un détail qui me démangeait la plupart du temps.

À la table, deux hommes se tenaient assis en face d'elle. L'un était plutôt petit, au long nez crochu, tandis que l'autre avait une stature plus forte et une moustache poivre et sel. Fredra, les mains jointes, m'accueillit d'un regard cordial.

— Bonsoir, Caprice…

— Bonsoir, répondis-je.

La patronne sourit et reporta son attention sur les deux invités, les introduisant à sa façon.

— Tiens-toi bien, ma petite. Ces deux hommes viennent tout droit du château du Roi Marmael.

Je haussai les sourcils à cette annonce, un peu surprise et incrédule. Leurs habits sobres, bien qu'élégants, ne présageaient pas leur appartenance à une quelconque garde royale. Je restais silencieuse et m'approchais de la table, les bras croisés sur mon peignoir.

— Vous êtes fort bien habillés pour des militaires.

Fredra imita une quinte de toux soudaine, me lançant des éclairs avec ses yeux bleus. J'avais fauté, mais je préférais mettre les pieds dans le plat plutôt que de tourner autour du pot pendant des heures.

— C'est que nous ne faisons pas partie de l'armée de Hilldevil, madame.

C'était le plus petit des deux qui m'avait répondu avec un air plus que gêné.

Arrivé à hauteur de la table, mon bassin s'accola au bord du meuble pour leur faire face. Je les détaillai avec un air un peu austère et méfiant.

— Eh bien, messieurs, qui êtes-vous alors ? Et que nous vaut votre détour jusqu'à nous ? Vous n'êtes pas uniquement venu pour le spectacle, j'imagine.

Le petit afficha un sourire pincé et se lança après un regard entendu avec son acolyte.

— Nous faisons partie du Conseil Restreint du Roi… Et, effectivement, même si votre spectacle était… spectaculaire. Nous avions un autre objectif en nous arrêtant ici.

Comme nous restions silencieuses, Fredra et moi, l'homme reprit.

— Nous… recherchons une femme. Une actrice, plutôt.

Je tiquai. Jamais je n'avais eu de talent quelconque en tant qu'actrice. Fredra se fourvoyait si elle pensait à moi pour cette... mission ?

— Vous faites fausse route, leur précisai-je.

— Caprice, est une fille très humble, reprit directement Fredra, ne comptez pas sur elle pour vous vanter ses talents. Mais je vous promets qu'elle est celle qu'il vous faut... En plus de convenir à votre description physique.

Les deux hommes se jetèrent un coup d'oeil, tandis que je me tournais vers Fredra avec de grands yeux. Pourquoi mentait-elle ?

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