Chapitre 1 (2)

6 minutes de lecture

Ma patronne continua à énumérer mes qualités, correspondant visiblement au portrait désiré.

— Sa jolie chevelure noire, son teint clair, humaine et une femme brillante, de surcroît ! Elle ne vous décevra pas, messieurs. 

J'avais envie de vomir, tant de chichi pour me décrire, alors que j'étais loin d'être humaine comme elle le certifiait. Le fragment d'or que Fredra m'avait incisé dans la hanche annulait tous mes pouvoirs. "Les colliers, c'est sympa, mais pour un élémentaire, ce n'est pas discret, tu seras vite repérée." Tel était le discours de Fredra, à mes quinze ans, quand elle avait récupéré le collier serti d'un or pur qu'elle m'avait donnée à mon arrivée au Bolérion. Au lieu de cela, mes très chers compagnons d'infortune m'avaient implanté un minuscule caillou d'or dans la hanche, ne laissant qu'une cicatrice bénigne sur mon corps. Bien plus discret, certes, mais bien plus difficile et douloureux à retirer le jour où je désirerais retrouver mes capacités d'élémentaire…

L'homme le plus imposant cessa de triturer sa moustache pour reprendre la parole.

— Bien, si Mme Dartois le dit… Nous allons lui faire confiance, et vous êtes de loin, par votre physique avenant, la plus qualifiée pour notre proposition. Je me présente donc, je suis le Duc de Bizefort. J'ai l'habitude de venir voir vos spectacles chaque année avec beaucoup de plaisir et d'émerveillement, mais cette année, c'est une autre raison qui m'a poussé à venir avec mon ami. Parce que nous avons un contrat à vous proposer, mademoiselle. Caprice, c'est bien cela ?

— Mon vrai prénom est Chellsara, le corrigeai-je. Caprice… est juste un nom de scène.

Je reposai mon attention sur les deux conseillers du roi. L'ami du duc s'éclaircit la gorge pour préciser.

— Mademoiselle Chellsara, nous sommes envoyés par le Roi lui-même. Notre proposition devrait vous plaire… et vous permettre de vivre très aisément tout le reste de votre vie.

Il se tut en m'observant, comme pour vérifier si je désirais en savoir plus. Malheureusement, mon confort de vie était le cadet de mes soucis. J'aspirais juste à me venger, peu importe ce qu'il m'en coûterait. Si je pouvais y survivre, nulle doute que je me contenterais de vivre en dehors du cirque, à la recherche d'une certaine quiétude et liberté, sans avoir de compte à rendre à personne. Mais je ne comptais certainement pas à quitter le Bolérion à la recherche d'un simple quotidien plus aisé. Je m'en moquais. Cependant, mes sourcils se haussèrent quand il fit référence au roi. Le monarque lui-même les avait envoyé ici ?

— Allons donc… crachez-moi le morceau, requis-je, un peu pressée de clore rapidement la discussion et retourner dormir.

— Avant de vous le dévoiler, nous devons avoir votre parole que ce qui sera dit ici, restera strictement confidentiel. Personne d'autre, en dehors de nous quatre, ne doit être mis au courant. Que vous acceptiez le contrat ou non. Le jurez-vous ? demanda le duc.

Je levais les mains comme pour m'innocenter.

— Je vous le jure.

Le duc de Bizefort poursuivit.

— Très bien. Sachez alors que la princesse Arfera a disparu depuis plus d'une semaine. Nous avons engagé nos meilleurs soldats à ses trousses, dès que nous l'avons appris, mais elle s'est comme volatilisée. Elle est introuvable, nous n'avons plus aucune trace d'elle depuis sa disparition…

Mes sourcils s'arquèrent en une expression dubitative.

— Le problème, détailla son ami, c'est que la princesse Arfera était promise au Lord Ordwig Ravenore, de l'Île de Serphie, avec lequel la couronne désirait faire une alliance. 

J'amenais mes doigts devant ma bouche, mes dents attrapant le bord de mes ongles. Je pensais comprendre où ils voulaient en venir, et peut-être je devinais sans peine la raison pour laquelle Fredra avait pensé à moi. La mort des membres de la famille royale était mon second souhait le plus cher, après avoir abattu les deux gardes coupables de la mort de mes parents, plus jeune. Me rapprocher d'eux était… une chance incroyable pour mettre mon ultime vengeance à exécution. 

— Vous souhaiteriez donc lui trouver une remplaçante ?

Pensive, je gardais un doigt dans ma bouche, mes yeux focalisés sur les conseillers. Ils hochèrent tous deux la tête.

— Cela est exact. Voilà la raison pour laquelle nous sommes venus… Nous avons besoin d'une personne apte à jouer ce rôle pour le bien du peuple de Hilldevil, et même du continent tout entier de Laulac.

Je soupirai. Le peuple de Laulac, ces humains au-dessus de tout, et surtout au-dessus des élémentaires brimés par leurs lois abusives. Plus de magie autorisée, nous devions nous cacher, car le simple fait de respirer était de trop pour ces humains. La guerre de Dix Ans nous avait tout pris, et je devrais les aider. 

— Je suis une simple roturière, je ne vois pas en quoi je pourrais intéresser le Roi de Serphie…

Je me décalais de la table, pour me redresser et partir, mais Fredra empoigna mon bras pour m'en empêcher.

— Vous vous méprenez mademoiselle… L'idée c'est de… vous faire passer pour la princesse Arfera. 

Je m'immobilisai, les yeux ronds. 

— Et le jour où on la retrouve ?

Les hommes semblèrent hésitants. 

— Au plus le temps passe, au plus les chances de la trouver s'amenuisent… expliqua le duc. Mais si d'ici deux semaines, elle n'est toujours pas rentrée, nous passerions à côté d'une belle alliance avec la Serphie.

— Et si vous vous faites passer pour Arfera, poursuivit l'autre, et que vous vous mariez avec le lord. La vraie Arfera sera reniée pour de bon. Elle ne pourra jamais récupérer sa place, même si elle réapparaît des années plus tard. Vous avez notre parole et celle du roi.

J'étais songeuse. Mon silence motiva le dernier conseiller à continuer.

—  Le roi compte beaucoup sur cette alliance pour l'avenir de son pays, et même celui de Laulac. 

— Et pourquoi donc ? m'intéressai-je.

— Parce que… c'est la course au charbon. L'île de Serphie est le premier producteur au monde et presque 90% du charbon que nous utilisons vient de leurs mines.

Un objectif commercial, compris-je. Les machines et les outils utilisant ce combustible étaient en plein essort sur le continent, en plus de chauffer les chaumières. Des rails de trains apparaissaient un peu partout dans les villes et mêmes les campagnes, les usines pullulaient dans les plus grandes métropoles. Laulac était dans la phase ascendante de l'industrialisation.

— Vous voulez avoir la main mise sur le marché…

Je ne devais pas avoir fait beaucoup de politique pour savoir où il voulait en venir avec cette alliance. Je ne comprenais juste pas la raison pour laquelle l'exploitation du charbon semblait soudainement si importante pour le Roi de Hilldevil.

  — Donc... Si je résume bien, vous voudriez que je devienne la fille présumée du Roi Marmael, pour me marier avec le Roi Ravenore en Serphie ? Vous ne pensez pas qu'il serait assez physionomiste pour ne pas reconnaître la vraie princesse ?

Le duc de Bizefort sourit pour la première fois, comme s'il s'était attendu à cette question et en avait déjà préparé la réponse.

  — Non, c'est là que nous sommes chanceux dans notre malchance… Le lord Ordwig Ravenore ne quitte jamais son île et rares sont ceux qui lui rendent visite en dehors des commerçants. Depuis que l'île de Serphie s'est retirée de la guerre au décès de son père, le roi Braslaf Ravenore, le pays s'est quelque peu refermé sur lui-même…

 Je me tus, indécise. Cette histoire ne me disait rien qui vaille. Je jetai un œil vers Fredra, qui sembla comprendre mon hésitation.

— Bien messieurs… Après avoir exposé votre proposition bien alléchante, je pense que notre Caprice aura peut-être besoin d'un petit temps de réflexion… N'est-ce pas ?

J'acquiesçai. Les conseillers remuèrent sur leur chaise pour s'apprêter.

— Nous pouvons le comprendre, déclara le premier, nous vous laisserons le temps de réfléchir. Mais si nous n'avons aucune nouvelle de vous d'ici deux jours, nous rechercherons probablement une autre jeune fille. J'espère que vous nous comprenez aussi.

— Bien entendu, certifia Fredra avec un grand sourire. Nous vous souhaitons une agréable soirée, messieurs. Au plaisir de vous revoir au Bolérion.

Les deux hommes se levèrent. Le duc me fit face avant de s'en aller.

— Si vous acceptez… Venez au palais et demandez à voir Mme Wisela.

Je baissai la tête, et après leur poignée de mains, ils quittèrent la tente de Fredra.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maioral ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0