Prologue

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Lacren, capitale de Hilldevil.

Les habitants éteignaient tout doucement les lampes de leurs chaumières pendant que j'évitais soigneusement de me montrer à la lumière des réverbères. Je me faufilais ainsi à travers la pénombre derrière deux gardes. Et ces deux types allaient me le payer. Leur dégaine et leurs rires idiots m'indiquèrent qu'ils étaient un peu éméché. J'avais attendu qu'ils sortent de la taverne pour les suivre. Une rancœur puissante m'habitait les concernant. Plus encore, ma rage se fondait en un immense brasier qui ne demandait qu'à tout brûler. Mes jambes me semblaient lourdes, lourdes d'avoir autant attendu après eux. Mais enfin l'heure de la vengeance sonnait, et mes mains moites n'attendaient qu'à se mettre en action.

La longue cape qui virevoltait derrière ces deux hommes trahissait leur appartenance à la garde royale. Fébrile, je gardais mes yeux fixés sur eux. Tantôt me déplaçant dans le flot des citadins, tantôt me cachant derrière les déchets que les services municipaux n'avaient pas encore eu le temps de ramasser. Mais ces deux ivrognes étaient trop saouls et déblatéraient trop de blagues salaces que pour entendre, ou même remarquer, une gamine comme moi. C'était leur deuxième faux pas. Le premier étant celui d'avoir exécuté mes parents un mois plus tôt.

Cela faisait longtemps qu'ils étaient dans mon collimateur, mais jamais si belle occasion n'était apparue. Tous les deux seuls, et dans un état second, pareille chance ne se reproduirait pas. Cette fois-ci, je comptais bien mettre mes plans à exécution. Les picotements dans ma paume présageaient déjà une énergie qui ne demandait qu'à déferler sa haine. Ma haine.

Je fis tomber une caisse remplie de déchets sur les pavés humides de la ruelle sombre. Les deux éméchés tournèrent la tête dans ma direction alors que je m'avançais au milieu du chemin.

— Eh bien alors, petite ! Que fais-tu ici, toute seule ?

Le premier garde, plus petit en taille, tituba légèrement dans ma direction et continua :

— Ce n'est pas un endroit très sûr pour une petite fille comme toi.

Mes poings se serrèrent. Je sentais les battements de mon cœur pulser dans mes tempes. Le plus grand gloussa en poussant le premier sur le côté.

— C'est dommage, ironisa-t-il en s'approchant de moi.

Le plus petit fronça les sourcils.

— Hé, Alphonse ! Fais pas n'importe quoi...

Il retint son ami en lui prenant la manche. Un mètre seulement me séparait de ces ignobles humains. Un mètre. C'était largement suffisant. Un bref regard autour de moi m'assura que la voie fut libre. Personne dans les environs, la rue, en dehors de ces deux gardes, était vide.

Je fis rouler mes épaules pour dénouer les nœuds dans mon dos et je penchais la tête d'un côté et de l'autre pour terminer de me préparer. J'étais parée. J'inspirai profondément, puis levai mes mains, ouvrant mes paumes vers les deux badins. Les deux gardes se figèrent en réalisant les gestes que je fis, puis partagèrent un regard inquiet. Le premier rit nerveusement.

— Hé petite, ne nous fais plus peur comme ça, ce n'est vraiment pas dr...

Sa voix mourut dans un gargouillis grotesque alors qu'il se figeait puis se recroquevillait sur lui-même, tout comme son semblable qui gémissait.

Mourrez, pitoyables hommes !

— Vous avez tué mes parents ! C'est de votre faute, si je suis toute seule !

J'insistai sur ces deux derniers mots. Le premier garde leva la tête vers moi, le regard implorant. Ses lèvres articulèrent des mots sans qu'aucun son ne sortît de sa bouche. Je relâchai alors mes doigts, très légèrement, juste suffisant pour lui laisser l'occasion de s'exprimer et il put reprendre de l'air pour parler entre deux souffles rauques :

— Ce... C'est... le Roi... Ces ordres... Roi Marmael...

Mon visage resta de marbre, fixant ces deux êtres infâmes avec dégoût.

— Mais c'est vous qui avez tranché leur gorge. Vous ne méritez rien de plus que la mort.

Je fermai vivement le poing, avec force, mettant les deux hommes à terre, qui gesticulèrent en gémissant les premières secondes. Leurs voix se turent avant que leurs corps ne se crispent pour la dernière fois. Leurs cadavres encore chauds gisaient sur le sol. Je relâchais mes poings, laissant mes bras retomber le long de mon buste. J'inspirai et expirai fortement, récupérant mon souffle. La chaleur dans mes doigts m'électrisait encore. Pourtant, je ne ressentais pas le soulagement que j'attendais. Un grand vide seulement répondait à ma douleur, creusant encore les affres de mes peines. Ce n'était peut-être pas assez, pour combler le manque qu'avait laissé la mort de mes parents.

Mais je ne pouvais rester éternellement ici. Je me retournai pour partir. Au lieu de cela, mes pieds se plantèrent au sol en voyant une silhouette devant moi. Une femme à la chevelure d'ébène me fixait, habillée d'un long manteau noir à capuche qui cachait les traits de son visage.

J'ai été repérée !

Mon pouvoir avait amenuisé mes maigres forces, mais dans un dernier espoir, je levais les mains pour user de mes ultimes ressources sur cette femme. Plus rapide, mon adversaire fit une légère courbette de la main, et une énorme bourrasque de vent m'éjecta contre la maison en pierre. À moitié assommée, j'entendis à peine ses mots.

— N'essaie pas d'utiliser ton pouvoir contre moi.

Le cliquetis de ses chaussures s'approchait. Je tentais de reprendre mes esprits en fronçant les sourcils. Une douleur sourde me vrillait le crâne.

— Je suis de ton côté, expliqua-t-elle.

La dame tendit vers moi une main. Je la toisai depuis le sol, farouche, mais des voix au loin m'empêchèrent de réfléchir plus longtemps. Je ne désirais pas être attrapée ou tuée pour mon crime.

— Dépêche-toi, petite.

Je saisis sa main et elle m'aida directement à me lever. Nous nous dirigeâmes dans la direction opposée des bruits de conversations pour se mélanger aux quelques citadins de sortie en fin de soirée dans les rues avoisinantes. Elle m'emmena alors jusqu'au chapiteau du Bolérion, le cirque de passage dans la capitale.

— Je ne vais rien dire sur ce que tu as fait, petite. Je suis même prête à t'offrir une famille et un toit, le temps pour toi de grandir. Mais pour ça, tu vas devoir cacher qui tu es, et ne jamais plus utiliser tes pouvoirs... Aussi puissants soient-ils. Est-ce clair ?

J'avouai qu'après avoir tué deux hommes, avoir été à moitié assommée et avoir autant marché, mes jambes flageolaient légèrement, menaçant de m'écrouler d'un instant à l'autre. J'acquiesçai, n'ayant guère le choix ni le courage de contester. La dame sourit faiblement.

— Je m'appelle Fredra, et bienvenue au Bolérion, petite.

Elle sortit un collier de sa poche, et me le mit autour du cou.

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