Chapitre 22 : Le Mari

9 minutes de lecture

Ville de Solaris (anciens États-unis) : Haute zone d’Amérique

27 août 2119 (2 ans plus tôt)

18h45

Morgane Baile

Je suis dans mon laboratoire avec ma mère, en train de travailler sur Némésis depuis neuf heures ce matin, je suis épuisée ! Mais je dois continuer, c’est trop important. Puis nous avons fait des avancées très encourageantes ces dernières semaines, nous sommes sur la bonne voie. Et pour être honnête je n’ai absolument pas envie de rentrer à la maison retrouver Nick. Il me fait peur... Je l’ai rencontré à la fac il y a quatre ans de cela. Nous étions dans la même classe. Il était beau, intelligent et gentil mais au bout de quelques mois, j'ai découvert qu’il était très pro-gouvernement, ce qui me dégoûtait profondément. J’aurai dû mettre fin à notre relation à ce moment-là mais d’après maman, avoir un homme dont le père était un grand politicien renforçait ma couverture. Je suis donc resté avec lui en faisant semblant d’être d’accord avec ses idées politiques extrêmes. J’ai pris sur moi, nous avons emménagé ensemble il y a deux ans et nous nous sommes mariés l’année dernière. J’ai cru mourir ce jour-là. Je dois donc rentrer chez moi et faire semblant d’aimer un homme que je méprise, et ceux, chaque jour de ma vie depuis. C’est de plus en plus insupportable. Il me traitait bien au début, mais je suis passée à un échelon supérieur au sien il y a quelques mois de cela et il ne l’a pas supporté. Il est devenu aigri puis violent et... Rentrer chez moi est désormais un cauchemar. J’aimerai pouvoir le quitter mais c’est impossible, une femme de mon âge se doit d’avoir un homme dans sa vie et ne peux pas prendre la décision de quitter son mari. Ça serait très mal vu.

J’ai assez travaillé pour aujourd’hui, j’ai le cerveau en compote je ne suis plus efficace. Je remballe mes affaires, ce que ma mère, qui semble aussi exténuée que moi, remarque tout de suite.

- Demain soir j’ai besoin de toi ma puce. La nouvelle version de Némésis sera prête vers vingt heures, il faudra faire le test animal, me prévient-t-elle, concentrée sur son microscope.

- Demain impossible, je dois voir Carole. Je m’en occuperai après-demain, ça peut attendre.

- Morgane… répond-t-elle exaspérée en me fixant. Ta priorité doit rester la mission.

- Oui, mais en l'occurrence il n’y a rien d’urgent. Je ne l’ai pas vu depuis plus d’une semaine, j’ai besoin de la voir. Ça m’aide à tenir.

Elle me regarde avec tristesse, ou pitié je ne sais pas. Maman n’a pas le meilleur instinct maternel au monde mais elle fait ce qu’elle peut et essaie de toujours être là pour moi. Elle n’a jamais vu ma relation avec Carole d’un bon oeil, ce qu’elle dit ensuite ne me surprend donc pas mais ne m'énerve pas moins pour autant :

- Tu sais que votre relation est dangereuse Morgane. Je sais que...

- Non tu ne sais rien maman ! je la coupe en m'emportant quelque peu. T’es pas à ma place tu sais pas ce que ça fait !

- J’aimerais que ça soit possible entre vous, mais si on vous découvre vous serez puni, tu le sais très bien.

- C’est vrai, j’admets en me calmant. Mais sans elle il ne me reste plus rien. Tu sais ce que j’endure chaque jour. Je dois torturer et tuer des gens innocents au travail et lorsque je rentre chez moi…

- Je sais ma fille et j’admire ta force. Mais tu sais que c’est nécessaire. Tu dois endurer tout ça sinon la mission risque de…

- La mission ?!

Ma mère sait ce que Nick me fait endurer et elle ose me demander de ne rien dire, de ne rien faire. Comment ose-t-elle ?! C’est ma mère ! Ma sécurité devrait être sa priorité, mais non ! Comme d’habitude, c’est la mission le plus important.

- Tu te rends compte de ce que tu es en train de dire ?! je lui demande à la fois choquée et énervée.

- Oui Morgane. C’est injuste mais c’est vrai. Et cette relation avec Carole risque de tout mettre en péril. La mission comme vos vies.

- Tu aimes ce virus plus que ta propre fille… je rétorque en sentant ma gorge se nouer. Si papa était là...

Parler de lui me fait bizarre, c’est un sujet tabou et ça met maman en colère si bien qu’elle rétorque sans me laisser finir :

- Ne sois pas bête ! Si je te dis ça tu sais très bien que c’est pour ton bien, Morgane !

- Où pour celui de la mission plutôt, soit honnête.

Je l’ai blessé, je m’en rends compte à son expression mêlant tristesse et dégoût.

- C’était notre rêve avec ton père de faire tomber Malorne. Je l’ai sacrifié pour ça et tu sais à quel point je l’aimais. m’explique-t-elle émue. Alors oui, la mission est importante pour moi. Mais pas plus que ta sécurité ! Je ne veux pas que tu vives dans un monde où tu seras malheureuse toute ta vie. Et oui, le virus doit être une priorité. C’est ce qu’aurait voulu ton père.

- Lui n’aurait jamais laissé personne me faire ce que Nick me fait.

Son visage devient livide, elle semble bloquée, incapable de répondre. Je quitte le laboratoire en colère sans ajouter un mot.

Lorsque j’arrive à la maison Nick est sur le canapé devant la télévision. J’ai à peine le temps de retirer mes chaussures et poser mes affaires qu’il remarque que je suis sur les nerfs.

- Qu’est-ce qui va pas ? me demande-t-il d’un ton monocorde en restant concentré sur l’écran.

- Rien, beaucoup de travail, c’est tout, je lui réponds froidement.

Il me regarde et ne semble pas convaincu mais il n’insiste pas. Je vais enfiler des vêtements plus confortables et je prépare à manger. Notre appartement est immense, magnifique et équipé des dernières technologies. Nous vivons dans une haute tour dans l’un des meilleurs quartiers de la ville. Nous en avons largement les moyens.

Je mets un plat tout prêt au micro-onde et cinq minutes plus tard nous passons à table. L’ambiance est assez tendue, comme d’habitude. Il regarde son assiette, peu emballé par le repas.

- Tu pourrais cuisiner de temps en temps quand même… me dit-il, me donnant envie de lui jeter mon assiette à la gueule.

- J’ai pas vraiment le temps avec le boulot, je lui réponds en gardant mon calme.

- C’est vrai. Madame à un poste important. J’avais oublié. Tu n’en avais pas parlé depuis au moins vingt-quatre heures en même temps.

- Écoute Nick, il serait temps de digérer ta frustration et accepter que mon poste est plus important que le tiens.

Je vois ses yeux se remplir de colère. Il garde son calme mais je sens qu’il peut exploser à tout moment.

- Tu es une femme, Morgane. Reste à ta place. Cuisine et porte mes enfants, c’est tout ce qu’on te demande. D’ailleurs on va s’en occuper tout de suite.

Il se lève et me saisit par le poignet puis me traîne jusqu’à la chambre.

- Nick arrête ! Ce soir, je ne suis pas d’humeur ! je lui ordonne en essayant de me défaire de son emprise, en vain.

- D’humeur ? Ça n’est pas une question de plaisir Morgane, c’est notre devoir.

Arrivés dans la chambre, il me jette sur le lit et s’allonge sur moi pour me bloquer.

- Arrête tout de suite ! je crie en me débattant de toutes mes forces.

Il me gifle violemment ce qui me calme instantanément. Ma joue me lance et semble devenir de plus en plus chaude. Je le hais. J’aimerai pouvoir le tuer mais si je tente quoi que ce soit c’est sans doute lui que me réglera mon compte. Et je sais que personne ne m’aidera, c’est courant qu’une femme soit battue dans notre société. Je n’ai pas mon mot à dire. J’ai peur, je suis en colère et rempli de dégoût. Je le regarde droit dans les yeux. Il se sent fort et important. C’est la seule manière qu’il a de nous rappeler, à lui comme à moi, qu’il m’est supérieur quoi qu’il en soit, car je suis une femme et que c’est un homme. Je retiens mes larmes et me promets de me venger un jour. Je tuerai ce sale porc. Mais maintenant je me laisse faire pour éviter qu’il ne me blesse aussi physiquement. Je n’ai pas le choix. Il baisse mon pantalon et entre en moi, me donnant envie de hurler et de la frapper, mais je n’en fais rien. Je me retiens de pleurer et de me débattre, je souffre autant physiquement que mentalement mais je ne craque pas. J’ai la haine, il me dégoute, je me dégoute et j’ai honte. Honte de me laisser faire, honte d’avoir peur, honte d’être la victime. Je suis tellement frustrée de rester là, à ne rien faire, et en même temps je suis pétrifiée. Je regarde le plafond avec colère, les boyaux tordus par la haine, en priant pour que ça se termine vite. Au bout d’un moment, c'est comme si je n’étais plus dans mon corps. Comme si je ne vivais pas cette horreur. Comme si je n’étais qu’une simple spectatrice incapable d’intervenir. C’est tout ce que j’ai trouvé pour rendre ça plus... supportable. Quelques minutes plus tard, qui me semble paraître une éternité, il se retire et s’allonge de l’autre côté du lit sans un mot. Je ne bouge pas et reste allongé sur le dos, vidé de toute énergie. Dès qu’il s’endort je me rends dans la salle de bain, les jambes tremblantes et le corps entier endolori. Je m'effondre au sol, en larmes dès que j’entre dans la pièce. Je craque totalement, j’ai du mal à respirer, j’ai une forte nausée. Je vais vite vers les toilettes et vomi toutes mes tripes dedans. Je veux mourir, je veux le tuer ! Je me sens sale, impur ! Je vais sous la douche toute en hyperventilant et en pleurant de manière incontrôlable. Je me frotte chaque centimètre de mon corps avec des litres de savon, comme pour faire disparaître la honte, le dégoût et la culpabilité que je ressens. Comme si ça pouvait m’empêcher de porter son enfant. C’est ma faute j’aurai pas dû l'énerver, ou j’aurai dû me débattre plus, je ne sais pas. Je pleure jusqu'à être épuisé puis je sors. Je ne dois pas prendre de PDB, je dois résister... Je vais chercher mon communicateur, retourne m’enfermer dans la salle de bain et téléphone à Joachim. Lui seul pourra m’aider. Il décroche après quelques sonneries.

- Hey Mo ! Je te manque déjà ? me demande-t-il en rigolant.

Je ne réponds pas, j’ai du mal à sortir un son. J’ai peur de me remettre à pleurer.

- Mo ? Tout va bien ? me demande-t-il inquiet.

- Non, je lui réponds la gorge serrée. Il a recommencé, Jo…

- Je viens te chercher, je vais le tuer, Morgane ! déclare-t-il en colère.

- Non surtout pas !

- Ça peut pas continuer comme ça ! Il doit payer !

- J’ai pas besoin de ça. Ça va nous attirer des ennuis.

- Viens dormir chez moi alors, me propose-t-il en se calmant. Il faut faire quelque chose tu peux pas rester comme ça… Je peux le pirater, le faire arrêter d’une manière ou d’une autre, on peut trouver une solution.

- Ça va aggraver la situation, me faire perdre mon poste et te mettre en danger, ça m’aidera pas. On ne peut rien faire, son père est trop important. Ça va aller t’inquiète pas.

- Mais Mo…

- Je t’appelle pas pour ça Jo.

- Ok… Dis-moi ce que je peux faire pour toi.

- J’ai besoin d’une pilule contraceptive, je lui dis au bord des larmes.

- T’en fais pas, demain matin j’irai voir mon contact il doit lui en rester.

- Merci Jo. J’ai l’impression que t’es le seul sur qui je peux compter.

- C’est normal. Et ne t'inquiètes pas, je suis là. Tu as besoin d’autre chose ?

- Non c’est bon, je lui réponds plus calmement. À demain.

- A demain Mo…

Je raccroche et me regarde dans le miroir au-dessus du lavabo. Je me déteste. Je frappe dans mon reflet de toutes mes forces, le fêlant et m'égratignant la main au passage. Je regarde mon visage qui semble désormais brisé et je sens les larmes qui remontent. J’ouvre le miroir, prends une seringue de PDB et m’en injecte un quart dans le bras. Je ne pourrais pas aller mieux sans, et ça me déçoit encore plus de moi-même. Je me sens comme une merde. Très vite le produit fait effet et je ne ressens plus aucune émotion négative. Je suis soulagée et légère. Je vais me coucher à côté de cet homme qui, je me le jure à moi-même, paiera pour ce qu’il me fait.

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