Chapitre 23 : L’amante

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Je suis sur le pas de la porte de Carole mais je n’arrive pas à frapper, j’ai trop peur de faire ce que je dois faire. Je sais que ce que m’a dit ma mère hier est vrai. Pour la mission comme pour nos vies je dois mettre un terme à cette relation. J’ai rencontré Carole à la fac il y a trois ans alors que je faisais une conférence sur les virus et la manière dont on pouvait les utiliser pour guérir les maladies chez l’homme. Elle y enseigne les langues. Nous avons eu comme un coup de foudre. J’étais déjà avec Nick à l’époque mais je n’ai pas pu résister. On a pris un café puis on a fini chez elle et depuis on se voit aussi souvent que possible, en secret. Je l’aime vraiment, et c’est bien pour ça que je dois la quitter. Je veux la protéger. Je déteste cette société et cette religion qui nous empêche d’être nous-même et de nous aimer. J’aimerai parfois fuir en zone chaude avec Carole et ne plus jamais revenir… Mais ça serait égoïste, trop de gens dépendent de ma mission. Entre ma dispute avec maman et Nick hier, la prise de ma pilule ce matin et ma séparation imminente avec Carole ce soir, je dois avouer que j’ai connue des jours meilleurs. Je respire un grand coup, prends mon courage à deux mains et tape sur la porte. Mon coeur bat vite et ma respiration s'accélère. Carole m’ouvre. C’est une femme de taille moyenne avec des yeux d’un bleu magnifique et de longues boucle dorées. Elle est tellement belle... Son incroyable sourire illumine ma journée en me faisant oublier les horreurs de la veille et me brise le coeur en même temps. C’est peut-être la dernière fois que je le vois. Je rentre, elle ferme la porte et se jette sur moi. Elle me sert fort dans ses bras et j’en fais de même. Elle m’embrasse doucement. Ça m’avait tellement manqué. La douceur de sa peau, la chaleur de ses baisers. Quand je suis avec elle, tout le négatif disparaît. Elle me regarde et rigole.

- Tu m’avais manqué tu sais, me dit-elle en posant sa main sur ma joue.

- Toi aussi, je lui réponds avec un sourire.

- Viens, assieds-toi et dis-moi ce que je te sert.

- Je ne peux pas rester longtemps Caro, je dois te parler, je lui explique anxieuse.

En voyant mon air sérieux, la joie sur son visage se transforme en inquiétude.

- Ça va pas Mo ?

- Pas vraiment…

J’ai peur, je ne sais pas par où commencer. Je dois me lancer, je ne vais pas tourner autour du pot. De toute manière, je ne suis pas vraiment connue pour m’exprimer avec beaucoup de tact, alors autant être fidèle à moi-même.

- J’ai réfléchi et je crois qu’on devrait arrêter de se voir. Pour de bon cette fois.

- Qu’est-ce que tu racontes ? me demande-t-elle choquée. C’est à cause de Nick ?

- Il se doute de quelque chose et il finira par s’en rendre compte et là on sera foutue.

- Morgane, s’il faut que je le tue pour t’avoir je le ferai et je suis très sérieuse.

- Carole…

- Non vraiment réfléchis… Il prend de la PDB n’est-ce pas ? me questionne-t-elle en connaissant la réponse.

- Oui, comme beaucoup de gens pourquoi ?

- On lui en injecte une dose létale et on dit qu’il a fait une overdose, me propose-t-elle sérieusement.

Je sais qu’elle en serait capable. C’est pour ça que je ne lui ai jamais dit qu’il était violent avec moi, même si elle s’en doute avec les bleus que j’ai sur moi.

- Tu sais bien que c’est impossible, je lui dis désolée. On me soupçonnerait, ça attirerait l’attention sur moi et ça nous mettrait en danger.

- Il ne te mérite pas. C’est un putain de pro-gouvernement qui passe son temps à te prendre la tête parce qu’il a un complexe d'infériorité vis à vis de toi !

- Carole, quand bien même Nick disparaît, on ne pourrait pas vivre ensemble. On vivra chaque jour cachée avec la peur au ventre et le risque de se faire arrêter.

- Et alors ?! On le fait bien depuis trois ans ! On a eu des moments de doutes toi et moi mais on est toujours ensemble. Je sais que c’est risqué mais tu penses pas que j’en vaux la peine ? ajoute-t-elle, le visage triste.

Bien-sûr qu’elle en vaut la peine… Mais il n’y a pas que nos vies à nous qui sont en jeu. J’ai trop de responsabilités sur mes épaules pour tout abandonner mais je ne peux pas lui dire. Je dois faire ce que j’ai à faire… J’ai l’impression que mon coeur se brise, mais la voir ainsi me donne envie de la serrer dans mes bras et de lui dire à quel point je l’aime mais je dois résister, ça rendrait les choses tellement plus complexes.

- Je veux pas qu’il t’arrive quoique ce soit Carole.

- Si tu m’aimes plus tu peux me le dire, déclare-t-elle les yeux humides et un peu sur la défensive.

- Tu sais que c’est faux, je lui réponds avec difficulté la gorge nouée.

Je ne dois pas craquer. Si je craque maintenant je vais être incapable de parler.

- Dans notre intérêt on doit s’arrêter là Carole… On n'a aucun avenir ensemble. Tu le sais. Dans moins d’un an un mari te sera affecté et...

- J’ai besoin de toi Morgane.

Et moi donc… Les larmes commencent à couler sur ces joues. Et merde pourquoi tu me fais ça Carole ! Je me retiens de m’effondrer mais je ne vais pas tenir longtemps.

- C’est terminé. Définitivement. Pardonne-moi, je la supplie en commençant à sentir ma joue droite devenir humide.

- Tu choisis d’abandonner et de me perdre. Tu ne m’aimes pas assez pour continuer et tout risquer. C’est ton droit. Il n’y a rien à pardonner.

Elle se dirige vers la porte, l’ouvre puis me fait signe de partir. Je passe la porte et arrivée sur le seuil je me retourne vers elle pour la regarder une dernière fois et déclare comme pour lui dire adieu :

- Je t’aime tu sais ?

- Oui, mais pas assez visiblement. Prends soin de toi Morgane, me répond-t-elle amèrement avant de me claquer la porte au nez.

C’est plus de trois ans de relation passionnelle qui partent en fumée. Trois ans d’une relation qui m’a sauvé la vie qui se termine. J’essaie de garder mon calme, j’entre dans l'ascenseur et dès que les portes se referment je m'effondre à genoux, en larmes et le cœur brisé. À cet instant j’aimerai mourir. Je viens de perdre la personne que j’aimais le plus au monde. Je ne suis même plus sûr que la mission en vaille le coup. Cette douleur est insupportable. Je ne veux plus jamais ressentir ça. Je ne veux plus jamais aimer. J’aurai dû rester ami avec elle. J’ai été bête. S’attacher c’est risquer une souffrance inutile. Je suis sur le point d’arriver au rez-de-chaussez mais impossible de me calmer. Je prends vite une seringue de PDB dans mon sac et me l’injecte directement dans l’avant-bras droit. Rapidement je récupère le contrôle et les larmes ainsi que la douleur disparaissent. Je me relève et essuie mes joues. Ça n’est qu’un traumatisme de plus.

Une demi-heure plus tard, j'arrive à l’appartement et comme à son habitude Nick est affalé sur le canapé.

- T’étais où si tard ? me demande-t-il sur un ton de reproche.

- Au travail Nick, je lui réponds calmement.

- Au travail ou en train de te faire sauter par un autre ?

Grave erreur mon grand c’est pas le moment de me faire chier. J’essaie de garder mon calme mais je sens qu'à tout moment je peux exploser.

- Laisse-moi tranquille. Fais comme si j’étais pas là.

Ma réponse ne semble pas lui plaire. Il se lève et me regarde avec de grands yeux tout en se rapprochant.

- Pardon ? Qu’est-ce que tu viens de dire ?

- Écoute moi bien, c'est vraiment pas le moment, alors me fais pas chier ! je rétorque, haineuse.

Il paraît choqué et bug un instant avant de répondre plein de mépris dans la voix :

- Comment oses-tu parler comme ça à ton homme ?! Pour qui tu te prends ?!

- Pour une femme qui a un meilleur poste que la petite bite qui lui sert de mari, je lui réponds calmement en le défiant du regard.

J’ai dépassé les limites mais mon dieu que c’est bon ! Son visage se décompose. Il m’attrape violemment par le bras et me traîne de force jusqu’à la chambre. Il me fait mal, je lui crie de me lâcher, je me débats autant que possible mais rien n’y fait, il est beaucoup trop fort.

- Je crois que tu as besoin d’une piqûre de rappel ! me dit-il en me jetant sur le lit

Il se met sur moi, m’empêchant de bouger.

- Laisse-moi connard !

Il se redresse et me gifle. Ma joue me lance violemment mais je ne me dégonfle pas. Pas cette fois mon vieux. Je lui donne un énorme coup de genoux dans les couilles puis attrape la lampe de chevet à côté de moi et le frappe à la tête avec avant qu’il n’ait le temps de réagir. Il tombe du lit, j’en profite pour courir direction la salle de bain mais il se relève vite et me cours après. Il est plus rapide, il va me rattraper. J’essaie d’être aussi rapide que possible mais il est presque sur mes talons. J’arrive dans la salle de bain, il va pour m’attraper mais je claque la porte sur lui et la verrouille juste avant qu’il ne puisse me toucher. Il frappe violemment dessus, me traite de tous les noms, il hurle à s’en arracher les poumons. Il se jette sur la porte, la faisant presque sortir de ses gonds. Elle ne va pas tenir longtemps. Je ne l’ai jamais vu aussi en colère, j’ai peur mais je ne me laisserai pas faire cette fois. Je fouille dans la pharmacie et me saisis de deux seringues de PDB. La porte commence à craquer. Je prépare les deux doses, les mains tremblantes, sachant qu’une seule devrait suffire à le tuer. Il sera là d’une seconde à l’autre. Je m’assois sur le lavabo, face à la porte, une seringue dans chaque main. Mon cœur bat très vite, je suis terrifiée mais l’adrénaline me permet d’agir plutôt que d’être tétanisée. Cette fois, c’est la dernière, enfoiré. La porte cède, il manque de tomber. Il est en rage. Il me regarde plein de haine, tel un animal.

- Viens qu’on en finisse pauvre merde ! je lui dis pleine de dégoût

Il fonce sur moi, m'attrape par le cou et me plaque au sol. J’ai le souffle coupé, il se met sur moi et me donne un coup de poing en pleine tête. Je vois floue à cause des larmes de douleurs et du sang chaud m’empêche de respirer par le nez. Il s'apprête à recommencer mais je lui plante les deux seringues dans le cœur.

- Ça fait quoi de se faire pénétrer sans consentement, sale porc ?! je lui rétorque emplie de colère en lui injectant la PDB.

Il réalise et s’éloigne de moi, terrifié, en observant les seringues qui viennent de tomber au sol.

- Qu’est-ce que tu m’as fait ? me demande-t-il horrifié.

- J’ai assisté au suicide de mon mari bien aimé…

Il tombe à genoux, suffoque puis commence à convulser. Je le regarde au sol en train de se tortiller comme un insecte et je ne fais rien. Je profite du spectacle. Une sorte de mousse sort de sa bouche, ses yeux sont blancs et tout son corps est secoué de spasmes. Il remue de plus en plus faiblement jusqu’à la mort. Il ne bouge plus. Le corps sans vie de mon mari repose sur le sol de notre couloir. J’ai fait ce que la société n’aurait jamais fait pour moi. J’ai rendu justice. Je suis soulagée et fière. Je me sens enfin libre.

Je vais remettre la chambre en ordre et faire disparaître tout signe de lutte. J’enlève les restes de la porte de la salle de bain, je prétexterai des travaux. Je nettoie le sang et me maquille pour enlever les traces de coups puis j’appelle les secours. Ça sonne. Je me prépare à avoir l’air désespérée.

- Urgences j’écoute ?

- Mon mari a fait une overdose ! Résidence de la lumière, faites vite ! je déclare en simulant la panique et des larmes.

- Il est conscient ?

- Non ! Il ne respire plus et le massage cardiaque n’y change rien !

- Ok j’envoie une équipe immédiatement !

J’attends le secours en regardant le cadavre de ce monstre qui m’a terrorisé pendant si longtemps. Il n’a plus l’air si dangereux maintenant. Je sais que Joachim sera fier de moi, mais maman, elle, dira sans doute que c’était un risque inconsidéré. Mais peu importe. J’ai fait ce qu’il fallait. J’ai été forte.

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