Les jours passent et se ressemblent tous. Je me réveille en sursaut chaque matin, sortant d'horribles cauchemars rendant mes nuits épuisantes. Stéph le remarque bien, mes performances à l'entraînement s’en ressentent. Nous travaillons à la maîtrise de mes facultés tous les jours, et je dois dire qu'il m'agace de moins en moins. Il m'amuse même parfois. C’est un homme bien. Il était dans l’armée du gouvernement mais le jour où il a appris que Malorne projetait de bombarder les zones chaudes, Stéph à décider de déserter et prévenir la Résistance. Depuis il s’occupe des formations des pilotes et combattants ici. D’après lui Morgane est très occupée en ce moment et travaille à fond sur Némésis. J’aimerais bien comprendre pourquoi elle m’évite. Je l’ai croisée trois fois en cinq jours, elle fuit toujours prétextant qu'elle est pressée. Elle doit m'en vouloir pour ce baiser, mais elle ne me laisse même pas le temps de m'excuser. Malgré la fatigue je progresse énormément. Je maîtrise mes nouvelles aptitudes physiques à la perfection et je commence à appréhender mes sens. Je suis presque opérationnel, ce qui impressionne Stéph. Je serais bientôt prêt pour m'occuper de Niler.

Je suis à la cafétéria, en train de prendre mon petit déjeuner, entouré de plusieurs centaines de Résistants, tous en combinaison, grise ou noire. Je dois rejoindre Stéph pour mon sixième jour d’entraînement. Comme tous les matins, je cherche Morgane, mais elle n'est pas là. Tant pis, j’aurai essayé d’arranger les choses. Je vais pour ranger mon plateau lorsque mon communicateur émet un bruit. Un message de Morgane me demandant de la rejoindre dans son laboratoire. Enfin des nouvelles ! J’ai hâte de savoir ce qu’elle me veut et surtout de pouvoir discuter avec elle. Je m'y rends immédiatement.

Je frappe, la porte s'ouvre en coulissant et je rentre dans le petit laboratoire. Morgane vient tout de suite m’accueillir. Elle semble fatiguée. Elle me fait m'asseoir en face d'elle et me regarde avec un air sérieux. Qu’est-ce qui se passe ? J’avoue que son expression m’inquiète un peu.

- Je vais aller droit au but, on a pas le temps de tourner autour du pot. Tes résultats ne sont pas bons Cole, déclare-t-elle froidement. D’après tes analyses ton corps s’use plus vite qu’il ne devrait. Ton métabolisme est trop rapide.

- D’accord, je lui réponds un peu perdu. Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ?

- Némésis est en train de te tuer.

Décidément j’ai beaucoup de chance dans la vie moi. Mais de toute manière je n’ai pas prévu de vivre bien longtemps. Il me faut juste assez de temps pour tuer Niler.

- Combien de temps j’ai devant moi ?

- Six mois. Peut-être plus ou moins, c’est difficile à dire pour l’instant, répond-t-elle sans la moindre expression sur son visage, comme si elle me parlait de la météo. Je vais travailler d'arrache-pied et je trouverais un moyen de régler ce problème. C’est juste une complication.

Juste une complication ? Le retour de la Morgane froide... Je suis de nouveau un cobaye pour elle. Un six mois à vivre… ça ne m’inquiète pas plus que ça mais c’est court. Il va falloir que j’accélère les choses si je veux avoir une chance de venger Lana.

- Il faut se dépêcher si on veut renverser le gouvernement. C’est quoi la suite du plan.

Mon manque de réaction face à la nouvelle de ma mort imminente semble la perturber quelque peu. Elle me regarde un instant, troublée puis répond :

- Je vais pouvoir transformer d'autres soldats en Glaive, comme toi. On a choisi cent personnes avec un fort taux de compatibilité. Je procéderai aux injections dès ce soir, m’explique-t-elle. J'ai juste besoin de ton sang pour régler le problème lié au métabolisme.

Je lui tends mon bras en la regardant droit dans les yeux puis lui demande directement :

- Pourquoi tu m'évites ?

- Je ne t'évite pas, répond-t-elle en prenant une seringue qu'elle plante dans mon bras droit.

- Depuis que je t'ai embrassé je ne te vois plus. Pourquoi tu fuis ? On n’est pas des gamins Morgane. Tu ne m'as même pas laissé le temps de m'excuser. 

Elle reste silencieuse, aspire mon sang et met la fiole dans un petit frigo. Elle se retourne vers moi, me regarde puis me répond enfin :

- Désolée si je t'ai donné l'impression de t'ignorer, ça n'était pas le cas. J'avais juste…

- Du travail, je finis pour elle.

- Exactement. Je devais trouver un moyen d’améliorer le virus, reprend-t-elle avec un sourire forcé.

- Je...

- Ah oui ! Fox t'attend dans son bureau… tout de suite. Va vite, ne la fais pas attendre, me dit-t-elle en se dirigeant vers la porte pour se débarrasser de moi. Si tu trouves pas, demande à ton communicateur. À plus tard, Cole.

Je sais qu'elle ne veut pas me parler. Ça m'énerve, je ne suis pas qu’un sujet d’expérience sans émotions ! Je pars donc sans un sourire pour rejoindre le bureau de Fox. Je demande à mon communicateur où il se trouve puis suis les instructions à la manière d’un GPS.

Je marche pendant au moins sept minutes dans le complexe ce qui me donne l'occasion de repenser à l'attitude détestable de Morgane. Comment peut-elle faire comme si rien ne s'était passé. Nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, mais nous avons vécu des choses difficiles. La mort de sa mère, celle de ma sœur. Comment peut-elle faire comme si on n'était de parfait inconnu ?!

J'arrive devant le bureau de Fox. Je prends dix secondes pour me calmer puis je frappe. La porte s'ouvre instantanément. J'entre, elle me demande de m'asseoir à son bureau, face à elle. Elle semble fidèle à elle-même. Souriante, calme, hypocrite.

- Cole, je suis heureuse de vous voir. Je suis désolée, j’aurai voulu pouvoir discuter avec vous avant mais j’ai été très prise ces derniers jours. Le gouvernement mène une chasse aux infiltrés, il a donc fallu essayer d’en sauver autant que possible, m’explique-t-elle, inquiète. Enfin, parlons plutôt de vous. Vous vous plaisez parmi nous j’espère.

- On ne peut pas vraiment dire que ça me change vraiment de l'ancien centre, je lui réponds sans sourire.

- Oui, c'est plus ou moins le même. En plus grand. C’est près d’un million de personnes qui vivent dans ce complexe. Pratiquement un cinquième de la Résistance.

- Je pensais qu'on était plus nombreux… Les gouvernementaux sont combien de milliards ?

- Peu importe. Avec le virus Némésis, nous avons toutes nos chances Cole. Et c'est grâce à vous. Nous vous devons beaucoup. Je n'ai jamais douté de vos capacités, déclare-t-elle avec son ton mielleux avant de reprendre avec pitié. Je… je suis désolée pour votre sœur. Je me sens coupable. J'aurais aimé pouvoir empêcher ça. 

Elle essaye de me manipuler. Je le sens très clairement. Je ne lui réponds pas et la laisse continuer :

- Son sacrifice, très courageux, ne sera pas vain. Nous renverserons le gouvernement Cole. Grâce à elle, et grâce à vous. Vous avez rempli votre mission avec succès. Si vous voulez vous pouvez prendre quelques jours de repos, je peux vous les accorder. Vous les avez amplement mérité et vous en avez sûrement bien besoin.

- Non ça ira. En quoi consiste la suite de ma mission ? je lui demande sans enthousiasme.

Devant tant de froideur son sourire faiblit légèrement. Elle voit que je ne marche pas dans son petit jeu. Ça la perturbe. Elle ne doit pas avoir l'habitude qu'on lui résiste. Je sais que Lana est morte entre autres à cause d'elle. Tous ses faux sourires me la rendent insupportable. Elle, que beaucoup admire, n'est en fait qu'une politique parmi tant d'autres. Elle retente de me mettre dans sa poche :

- L'empereur Malorne est un homme très manipulateur Cole...

- Comme tous les hommes politiques, je la coupe sèchement.

Elle perd son sourire, et semble un peu tendue. Ma remarque l’a touchée. Elle reprend en faisant l’effort de rester calme.

- Malorne est profondément mauvais. Nous devrions être tous égaux, et lui, il nous traite comme des déchets. Vous trouvez ça juste ?

- non, j’admets calmement.

- Alors pourquoi semblez-vous être contre moi Cole ?

- Je me méfie de ceux qui ont du pouvoir Commandante Fox.

- Sachez que je me bats pour la même cause que vous. N'oubliez pas que nous sommes dans le même camp, me répond-t-elle sur la défensive.

- Je l’espère.

- Vous en douté ?

- Je ne sais pas… J’ai récemment appris que le cataclysme serait en réalité non pas l'œuvre des Monfulters mais du gouvernement. Vous le saviez ? je lui demande en connaissant la réponse.

Elle commence à monter en pression, elle le cache très bien mais grâce à mes sens surdéveloppés je remarque que son rythme cardiaque augmente quelque peu et elle semble avoir du mal à déglutir.

- J’ai entendu ces rumeurs, oui.

- Alors pourquoi ne pas les transmettre à tous les Résistants ? C’est une information qui pourrait impacter l’image de Malorne si elle était rendue publique.

- Cole, réfléchissez un peu. D’après vous il serait judicieux de diffuser une information qui, en plus d’être incertaine, rendrait notre ennemi si dangereux et effrayant que plus personne ne voudrait prendre le risque de le combattre ? me questionne-t-elle en aillant de plus en plus de mal à contenir sa colère.

Sur ce coup elle n’a pas entièrement tort. Elle reprend plus calmement sans me laisser répondre :

- Ne me reprochez pas des choses si vous-même n’êtes pas tout blanc.

- De quoi parlez-vous ?

- Si le gouvernement a pu entrer en contact avec nous c’est parce que vous avez commis une erreur agent Jeydricks.

Elle parle de l’oreillette que j’avais sur moi et que j’ai oublié de détruire avant de me faire arrêter par les gardiens. Comment ai-je pu être aussi stupide. Elle vise juste j’ai fait une grave erreur. Elle doit remarquer que sa remarque m’a touché car elle se calme instantanément et retrouve son air compatissant.

- Cole… Dans tous les cas, ils finiront par nous retrouver. Avec ou sans cette oreillette. Mais ils peuvent le faire plus rapidement maintenant qu’ils l’ont. Il faut qu’on agisse vite. Nous n’avons pas de temps à perdre en nous faisant tous les reproches du monde. Ce qui est fait est fait, m’explique-t-elle calmement. Que puis-je faire pour gagner votre confiance ?

- Me permettre de tuer le commandant Niler moi-même.

Elle réfléchit un instant avant de me répondre sérieusement :

- Je ferai tout ce que je peux pour que vous puissiez vous venger, agent Jeydricks. Soyez en certain. Les choses vont bientôt s'accélérer. Je vais réfléchir à votre prochaine mission., me rassure-t-elle. En attendant vous pouvez retourner vous entraîner. Seul. Votre coach Stéphane doit aider à préparer le matériel pour les futurs glaives et Morgane, elle, s'occupe de transformer les soldats… Grâce à vous, ne l'oubliez pas.

Ses dernières paroles me semblent pleines de mauvaises intentions, mais je ne comprends pas pourquoi.

- Vous pouvez y aller, encore merci pour tout.

Je me lève et quitte le bureau de Fox, direction la salle A1. Je réfléchis plus que ce que je m’entraîne. Même si nous gagnons… c'est elle qui viendra à gouverner. Je crains le pire. J’ai peur de remplacer un tirant par un autre. Quant à Morgane, elle s'éloigne de moi et c'est ma seule véritable allié ici. Je dois lui parler dès que possible. Je vais manger, puis me coucher.

Je tourne en rond pendant des heures dans ma propre tête. Fox, Niler, Morgane et Lana m'envahissent l'esprit. Si ma sœur était là, j'aurais quelqu'un à qui parler, mais elle n'est pas là et ne le sera plus jamais. Je le sais et l’accepte. C’est pas comme si j’avais le choix de toute manière. Dès que je pense à elle, je souffre énormément. Elle me manque tellement... J'ai toujours été proche de ma sœur, malgré nos dix ans d’écart. Sauf à sa naissance. Je la voyais comme une bouche à nourrir en plus alors que mes parents n'avaient pas assez d'argent pour m'acheter une console. Quel con j'étais ! Une console ! Aujourd'hui on a du mal à s'offrir un steak et moi je rêvais d'une console ! C'est pitoyable, mais c'était normal. J'ai fini par accepter Lana, et c'est devenu mon souffre-douleur. On ne cessait de lui faire faire n'importe quoi avec Trainte. Mais on la protégeait toujours. Plus elle grandissait, plus nous étions complices. Kaly aussi aimait beaucoup Lana. Elle était exaspérée par notre immaturité à Trainte et moi. Mais ça ne l'empêchait pas de nous suivre ! Les choses ont tellement changé. Mes parents sont morts et enterrés, Trainte et Kaly ont disparu dans les bombardements, et Lana vient de se sacrifier. Le temps où les enfants pleuraient pour une console est révolu. Et c'est d'une tristesse infinie. J'ai tout perdu, mais d'un côté je suis soulagé. J'en ai honte, mais la mort de mes proches m'a libéré. Peu importe ce que je fais ou ce qui m'arrive, ça ne leur retombera pas dessus. Je vais rétablir une justice dans ce monde, comme Lana me l'a demandé. Je n'ai plus rien à perdre désormais, et c'est ce qui me rend dangereux.

Je repense toute la soirée à ces moments passés avec mes parents, Trainte, Kaly Lana. Ils me manquent énormément ce soir. Je n’ai plus personne je n’ai jamais été aussi seul. Je repense à eux plus que jamais, et je m'endors le cœur serré.

Je suis dans une sorte de néant blanc. Je sais que ce n'est pas la réalité, je suis sûrement dans un de mes cauchemars, encore. Que va-t-il m'arriver cette fois ? Une voix familière m'appelle derrière. Je me retourne et vois Laylana avec un grand sourire sur les lèvres. Finalement je ne rêve peut-être pas, je suis peut-être mort moi aussi. Je n'arrive pas à mettre mes idées au clair, je ne sais pas quoi dire, comme toujours je suis perdu. Elle brise le silence :

- Je suis désolée tu sais, me dit-elle d' une voix douce et extrêmement reposante. Ma mort ne doit pas être un obstacle à notre révolution. Tu dois continuer à te battre. Et pas uniquement pour te venger.

- Pourquoi ? Pour qui Lana ? Il ne me reste personne.

- Pour le monde, pour le bas peuple, pour Morgane et Chris, pour que mon sacrifice ne soit pas vain, et surtout pour toi Cole.

- Je ne suis pas mort alors ?

- Non, pas encore, tout dépend.

- Comment ça ?

- Tout dépend de si tu décides de te battre, ou d'abandonner.

- Et si j'abandonne, qu'est ce qui m'attend ?

- Je ne le sais pas plus que toi Cole, nous sommes dans ton rêve.

- Alors tout ça n'est pas réel ?

- Pour toi ça l'est.

- Et si je reste pour me battre, que va-t-il se passer ?

- La souffrance, la mort, la douleur, des sacrifices, et la victoire, ou la défaite.

- Tu m'aides bien là…

- Nous ne sommes pas capables de connaître l'avenir avec exactitude Cole.

- Qu'est-ce que je dois faire ? Dis-moi.

- Tu sais, au fond tu es en train de parler avec toi-même là… alors quoi que je dise ça vient de toi, consciemment ou pas.

- Dis toujours… ça pourrait… m'éclairer.

- Tu es dévasté par ma mort, tu as mal, tu n'en peux plus de toutes ces choses horribles qui se passent autour de toi. Tu aimerais en finir avec tout ça. Mais tu as une haine immense en toi, un désir ardent de justice et de liberté. Tu veux te battre encore plus que tu ne veux abandonner. Tu as encore de l'espoir au fond...

Elle a raison, je le ressens maintenant, cette envie de rester, bien plus puissante que mon envie de partir.

- Tu as raison, je veux me battre, j’admets calmement.

- Bien-sûre que j'ai raison… S'il te plaît, n'en veut pas à Chris pour tout ça, il n'y est pour rien. Tu le sais. Il faut que tu arrêtes d’être en colère.

- C’est plus facile d’être en colère que d’affronter la peine, mais j’essaierais de lui parler, je lui réponds sans vraiment y croire.

- Méfie-toi de tes alliés Cole.

- Quoi ? je lui demande perplexe.

Mais à cet instant je me réveille, sans qu'elle puisse me donner de réponse. Je n’avais pas rêvé depuis une éternité. Étrangement je me sens soulagé, apaisé, comme si j’avais pris de la PDB. Je me sens en paix. Lana a raison. J’ai un tas de raisons de me battre. Je profite de ce sentiment que je n’avais pas ressenti depuis longtemps pour me rendormir paisiblement.