Chapitre 15 : Les émotions

7 minutes de lecture

Je me réveille en sursaut, plein de sueur et aussi essoufflé que si j’avais fait un marathon. Encore un cauchemar. J'ai revécu la mort de Laylana, mais cette fois-ci, à la fin, personne ne m’empêchait de tuer Chris. Voilà les mauvais rêves qui recommencent, encore et toujours. Ils ne me quitteront jamais, je dois m'y faire. Le pire c’est que le retour à la réalité est aussi douloureux. Je prends la fiole de PDB et en respire une petite partie. Je suis instantanément calmé, je retrouve une respiration lente et régulière, la souffrance redevient supportable.

L'heure au plafond indique six heures quarante-deux. D'après le planning dans mon sac, la cafétéria ouvre à sept heures. Je me lève, je me sens parfaitement bien, comme hier, si j'ignore l'immense vide que Lana a laissé en moi… Ce que j’arrive à faire grâce à la poudre du bonheur. Je me brosse les dents, prend une douche et enfile une tenue de sport noir puis je me dirige vers la cafétéria. Je me repère grâce aux traits de couleur sur le sol. D'après les indications le blanc mène à l'infirmerie, le noir aux salles d’entraînement, le vert aux salles de conférences, le rouge aux hangars et le jaune mène à la cafétéria. Je croise de nombreux résistants dans les couloirs, tous habillés comme moi, mais personne ne fait attention à moi. Le complexe est gigantesque, il me faut presque dix minutes de marche pour rejoindre la cafétéria. Elle est immense. Il y a de grands écrans accrochés aux murs et pendus au plafond, comme de partout dans cette base d’ailleurs. Un grand îlot central plein de végétation vient ajouter une touche de verdure au milieu de tout ce beige. Il doit bien y avoir au moins mille places autour des grandes tables qui remplissent la cafétéria mais la salle paraît presque vide. Les quelques personnes présentes, toutes très calmes, sont assises en train de manger. Je repère Morgane toute seule avec un petit-déjeuner qu'elle touche à peine. Elle n'a pas l’air très en forme. Je m'assois en face d'elle et entame la conversation un peu gêné par mon comportement d’hier :

- Bonjour Morgane.

- Bonjour Cole, me répond-t-elle en feignant un sourire.

- Bien dormi ?

- Des cauchemars, comme toujours.

- On est deux alors… Je voulais m’excuser pour hier. J’étais pas dans mon état normal. Merci pour ton aide.

- Je comprends, n’en parlons plus, dit-elle tristement.

Je crois qu’elle n’a pas vraiment envie de revenir sur les événements de la veille. J’essaie donc d’éviter le sujet qui fâche :

- Comment tu te sens ici ?

- J'en sais rien, tout le monde me regarde de travers et c'est un grand changement après le confort de la haute zone, m’explique-t-elle perplexe. Mais au moins ici je peux être moi-même, puis je risque pas d’être arrêtée et torturée à chaque instant. Ça soulage.

- Je comprends... Comment c'était ? De vivre là-bas ?

- Pas tous les jours facile. Heureusement que j'avais ma mère, et une ou deux personnes que j'appréciais réellement.

- D'autres infiltrés ? je lui demande curieux

- Non, des voisins, des collègues, un ami. À par ma mère je ne connaissais pas d'autres infiltrés. Fox fait en sorte qu’on en sache le moins possible, m’explique Morgane. Pour éviter qu’on puisse balancer des noms si on se fait chopper.

- Logique. Tu étais vraiment ami avec des gens du haut peuple ? je lui demande étonné.

Elle me regarde surprise et quelque peu exaspérée.

- Bien-sûr. Il y des gens bons parmi les habitants du haut peuple.

- Ils ont tout ce qu'ils désirent pendant que des milliards de gens crèvent de faim et ils ne font rien pour changer les choses. Je trouve ça détestable, je lui avoue sérieusement, ce qui semble l’irriter.

- Cole... ils sont manipulés. On leur répète sans cesse que vous êtes de dangereux terroristes violents et assoiffés de sang. Puis tu penses vraiment qu’ils ont le choix ? Me demande-t-elle avant de reprendre sans me laisser répondre. S’ils disent quoi que ce soit qui va à l’encontre de ce que pense le gouvernement ils sont exilés en zone chaude ou emprisonnés. Crois-moi ils ne sont pas si heureux que ça. Ils ont le confort certes, mais ils sont contrôlés et censurés... Ils sont dans une sorte de prison dorée.

- Mais là-bas ils ne meurent pas de faim, ne sont pas humiliés et exploités. Tu as eu de la chance de vivre à Solaris.

- J'aurais préféré ta place Cole, rétorque-t-elle amère.

J’avoue que je prends cette remarque un peu mal. Elle n’a pas vu la misère des bidonvilles, l’injustice dans les usines gouvernementales, les maladies qui tuent des centaines de personnes, l’insécurité dans les rues, les exécutions publiques et j’en passe. Je garde mon calme tant bien que mal et lui demande sur la défensive :

- Et pourquoi ça ? Qu'est-ce que nous avons de plus ici que tu n’avais pas là-bas ?

Son regard devient plus rigide et sa voix légèrement plus agressive et tremblante. Elle essaie de contenir sa colère.

- Tu ne peux pas imaginer toutes les horreurs que j'ai étais obliger de faire là-bas Cole. 

Son cœur bat vite et sa respiration accélère. Il y a beaucoup d’émotion dans sa voix. Elle a réellement souffert. Je le ressens. Comme une sorte de sixième sens. Je ne peux pas vraiment l'expliquer. Je suis peut-être un peu trop dur avec Morgane. Après tout je ne sais pas quelles épreuves elle a traversé pour en arriver là. Elle reprend en retrouvant son calme :

- Enfin peu importe. On va pas jouer à qui a la plus grosse version vie de merde. C’est pas un concours.

Je n'insiste pas pour qu'elle approfondisse le sujet, elle n'en a absolument pas envie.

- Oui, tu as raison, j’ajoute conciliant avant de changer de sujet. Et à propos du virus ? Comment ça va se passer ?

- Je vais te faire passer une série de tests, puis nous les analyserons. Si tout se passe bien, je vais transformer cent soldats choisis par Fox. Puis elle nous communiquera la suite de la mission en temps voulu.

- Très bien, on commence quand ?

- Dans vingt minutes, salle d’entraînement A1, si tu te sens d’attaque.

Je suis sur le point de répondre lorsque je vois Chris, le visage tuméfié, arriver derrière Morgane. Il porte une minerve et a un pansement recouvre son nez. Les images de la mort de Lana remontent en même temps que la peine et la haine que j’ai au fond de moi. Je sers les poings et les dents et essaye de garder mon calme. Je ne dois pas le frapper, mais j'en ai une immense envie. Morgane se retourne et le voit. Elle me regarde et me demande si tout va bien. Je lui assure qu'il ne risque rien et que je la rejoins dans la salle d’entraînement dès que possible. Elle acquiesce et s'en va. Chris s'assoit à sa place. Il a vraiment mauvaise mine. J’ai honte de lui avoir fait ça mais je le hais toujours. C'est mal je sais, mais je ne peux pas m'en empêcher.

- Je suis désolé… J'aurais dû être plus vigilant. Elle était enfermée dans sa chambre depuis longtemps, elle ne répondait pas mais je voulais la laisser digérer tout ça, me raconte-t-il la voix chargée d’émotion. J'ai fini par m'inquiéter, j'ai défoncé sa porte. Elle s'était enfuie par la fenêtre. J'ai tout de suite compris, j'ai filé à la base et j'ai exigé qu'on m'aide à la retrouver, poursuit-t-il en essayant de ne pas craquer. Fox m'as dit que c'était trop tard, qu’elle ne pouvait plus rien faire. Elle m'a emmené jusqu'ici, elle voulait que je t'explique tout moi-même. 

Ces yeux commencent à se remplir de larmes. Je n’ai jamais vu Chris dans un tel état. Je ne le reconnais pas.

- Je l'aimais tu sais, elle était comme ma famille, vous étiez tous les deux ma famille. 

Ses paroles me détruisent. Ma sœur est morte... la personne que j'aimais le plus au monde est morte. Chris n'est peut-être pas responsable, mais il aurait pu empêcher ça. Et Fox, elle n'a rien fait non plus, elle avait promis que les résistants feraient ce qu'ils pourraient pour qu'elle s'en sorte durant mon absence… Elle a menti. Le peu d'admiration qu'il me restait pour elle vient de disparaître tandis que mon envie de tuer Chris, elle, revient. J’essaie de ne pas exploser mais je ne tiendrais pas longtemps. Je ne peux plus le voir, je dois lui faire comprendre. C'est mieux pour lui comme pour moi.

- Je suis désolé Chris mais tu me la rappelles trop. Reste loin de moi.

Je l’abandonne sans lui donner plus d'explications. Je m’éloigne aussi vite que possible, je ne veux pas craquer devant Chris, je ne sais pas de quoi je suis capable. Je suis en colère contre lui et en même temps le voir dans cet état me brise le cœur. Je m’en veux de le détester. Et Fox... elle n’a pas essayé de sauver Lana. Je la hais pour ça, même si je sais qu’elle n’aurait sans doute rien pu faire. La honte, la peine, la colère… ça fait trop à gérer. J’ai du mal à respirer, mes entrailles bouillonnent, mon cœur essaie de sortir de ma poitrine. Je vais m'effondrer. Je rejoins vite un couloir désert et me dépêche de prendre une dose de PDB avant d’exploser. Je suis immédiatement soulagé. Les émotions négatives s’en vont, me donnant l’impression d’être plus léger. Je continue mon chemin à l’aide des marques au sol, direction la salle A1.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maxime Gauthier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0