Chapitre 14 : Sens dessus dessous

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La Ruche (Désert du Sahara) : Zone chaude d'Afrique

09 décembre 2121

19h34

Cole Jeydricks

Je reprends connaissance dans une sorte de lit d’hôpital entouré de plusieurs machines reliées à moi par des électrodes. Qu’est-ce qui c’est passé ? J’ai du mal à me souvenir, je ne sais pas exactement où je me trouve et je suis encore un peu dans le brouillard. Je remarque une personne avec des cheveux roux foncés assoupie à mon chevet. Il s’agit de Morgane. Elle est assise sur une chaise, la tête sur mon lit, profondément endormie. En la voyant tout me revient subitement. Ma rencontre avec Fox et l’opération Titan, mon arrestation au QG Gouvernementaliste, l’injection que Morgane m’a faite à Solaris, notre fuite et le sacrifice de sa mère puis notre arrivée dans le bunker souterrain principal de la Résistance… Et enfin le suicide de Lana juste avant que Morgane ne m’empêche de tuer Chris en m’injectant le virus Némésis. Dès que ce souvenir arrive dans ma tête, je sens mon coeur et ma respiration accélérer. Je commence à paniquer, je ferme les yeux et serre les poings très fort. Mes entrailles se nouent, je tente de refouler ce souvenir et de me calmer en maîtrisant mon souffle. Lana n’est peut-être pas morte après tout. Et si c’était une mise en scène du gouvernement ? Ou peut-être n’était-ce qu’un cauchemar ? Il reste peut-être de l’espoir. Il est fort possible que je me mente à moi-même mais ça m’aide à me calmer malgré la douleur morale.

Je me concentre autant que possible en essayant de ne pas penser à ma soeur lorsque je remarque que j'entends tous les sons qui m'entourent avec une précision surprenante. Le bip de l’électrocardiogramme, le souffle de la ventilation, la respiration de Morgane, les battements de son cœur et j'ai même l'impression d'entendre le sang qui circule dans ses veines. Comment est-ce possible ? Je suis stupéfait. La bonne nouvelle c’est que cette redécouverte de mes sens me permet d’oublier mes problèmes un instant. J’essaie maintenant de faire attention à mon odorat. Je sens plusieurs odeurs bien distinctes que je ne connais pas, comme si je n’avais jamais été capable de les remarquer auparavant. J’ouvre ensuite les yeux et passe à ma vision. Je vois des choses étranges, des vagues, des couleurs des détails étranges, j'ai l'impression de voir la poussière. Plus je me concentre, plus tout est détaillé. J’ai même le sentiment de détecter des déplacements à travers les murs beiges de la petite chambre dans laquelle je me trouve. Je remarque chaque changement de température sur ma peau et lorsque j’ouvre la bouche j’ai comme l’impression de goûter l’air. C'est déroutant, presque effrayant. J’essaie de garder mon calme, je ferme les yeux, respire fort jusqu'à ce que mes sens s'apaisent. Les sons, les odeurs, la température et les couleurs, tout redevient normal.

Je me ressaisis, j'enlève les électrodes sur mon torse. Je ne porte qu’une sorte de bas de survêtement gris, bien plus confortable que le costume blanc que j’avais en venant ici. Je me lève doucement sans réveiller Morgane. Je me sens très léger, comme si je pesais cinquante kilos de moins qu'habituellement, pourtant je ne suis pas plus maigre. J'ai plutôt l'impression d'être plus fort qu'avant, comme après une séance de sport lorsque mes muscles sont congestionnés. Je fais quelques pas dans la pièce pour trouver mon nouvel équilibre, et en moins de trois minutes je marche de nouveau normalement. Je me sens puissant, prêt à affronter n'importe quoi. Toutes mes nouvelles aptitudes sont sans aucun doute dues à la dernière injection de Morgane. Elle pourra sûrement m'aider à comprendre comment elles fonctionnent.

Je la réveille doucement. Elle ouvre les yeux puis sursaute dès qu'elle me voit. Elle semble épuisée.

- Cole ?! Depuis quand…

- À l'instant, je lui réponds sans la laisser poser sa question.

- Comment te sens-tu ? me demande-t-elle inquiète.

- Ça va vraiment bien, j'ai jamais étais aussi en forme physiquement.

- Je suis désolé pour ta sœur Cole. Je comprends ce que…

- Je sais Morgane, je la coupe sèchement pour changer de sujet.

Le seul fait d’en parler suffit à me faire un mal de chien. Je ne vais jamais revoir ma sœur… Je chasse vite ces pensés de ma tête, les enterre au plus profond de moi et reprend la conversation pour faire diversion :

- Et toi ça va ?

- Ça va Cole, ne t'en fais pas pour moi, me dit-elle avec un petit sourire forcé.

Elle dit ça mais je sais qu'elle ment. Elle va mal, je ne sais pas comment l'expliquer mais je le ressens. Le fait que j’entende son rythme cardiaque s’emballer y est peut-être pour quelque chose. Elle change de sujet à son tour pour ne pas que je remarque son mensonge :

- Tu te sens différent depuis que je t'ai injecté Némésis ?

- Totalement oui... j'ai les idées plus claires, j’ai une meilleure maîtrise de moi, et je me sens vraiment plus fort, je lui explique calmement. Et mes sens aussi, ils sont... différents, c'est assez déstabilisant. Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer.

- C'est normal, nous passerons des tests demain pour comprendre exactement tout ce qui a changé chez toi, et vérifier si tu es en bonne santé.

- J'ai dormi longtemps ?

- Plus de dix heures. On ne savait vraiment pas si tu te réveillerais… J’ai l’impression qu’on a réussi Cole, me dit-elle avec un sourire radieux. Je dois aller faire mon rapport sur ton état… et puis dormir surtout. Tu devrais essayer de te reposer également. Je vais t'emmener dans ta chambre, suis-moi.

Nous quittons l'infirmerie et nous traversons les grands couloirs beiges du bunker. C’est un vrai labyrinthe. J’ai l’impression que le trajet dure une éternité, la base est vraiment immense. J’ai le temps de me renseigner sur l'état de santé de Chris. Parler de lui me fait du mal et me met en colère à la fois. C’est compliqué de gérer toutes ces émotions mais j’ai besoin de savoir que je ne l’ai pas tué. Je ne le porte pas dans mon cœur actuellement mais je ne lui souhaite pas la mort. Plus, du moins. Morgane me rassure, il va bien, il s’est fait soigner et s’en tire avec une minerve, le nez fracturé et quelques ecchymoses. Je sens qu'elle est inquiète sur ce que je suis capable de lui faire mais je la rassure. Je lui dis sincèrement que le tuer n'est plus du tout dans mes projets. Ma rage s’est apaisée, même si je ne veux absolument pas le voir pour l’instant.

Nous arrivons dans ma chambre. Elle est minuscule, il y a une toute petite télévision, une mini salle de bain et un lit une place. Je remarque qu’il y a un sac de voyage sur le lit.

- Qu’est-ce que c’est ? je demande à Morgane.

- Quelques vêtements, des documents sur le fonctionnement de la base et des affaires que ton ami Chris à ramener d’Antoros pour toi. D’après ce que j’ai compris, il a prévenu la Résistance dès qu’il s’est rendu compte qu’elle s'était enfui, m’explique Morgane avec un regard triste.

Je ne lui réponds pas. Peu importe qu’il ait prévenu ou non la Résistance, il a laissé Lana s’enfuir et maintenant elle est morte. Et merde ! Je ne peux pas avoir cinq minutes de paix, il faut toujours que quelque chose vienne me rappeler la mort de ma sœur. Je sers les dents de rage et contient ma colère. Je tourne le dos à Morgane et ouvre le sac. Un tas de fringues de sport, des sous-vêtements, des chaussures, des papiers et une sorte de petit cadre photo. Je le reconnais. Je le sors et l’observe quelques secondes. Mon cœur se brise et mes yeux débordent. Des larmes coulent sur mes joues sans que je ne puisse rien contrôler. Il s’agit d’une photo de Lana et moi avec nos parents le jour de sa naissance. Elle me l’avait offerte à mon dernier anniversaire. J’essaie de ne pas craquer, j’y emploie toutes mes forces. Je me retiens de fondre en larme, j’ai envie de m’écrouler au sol, je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. L’injection de Morgane semblerait presque agréable à côté de la douleur que la disparition de Lana provoque en moi.

- Il y a un problème Cole ? me demande Morgane.

Elle a sans doute remarqué que je cachais mes larmes. Je respire un coup, essuie mes joues et me retourne vers elle.

- Donne-moi quelques tubes de PDB s’il te plait.

- Cole… C’est pas la solution tu le...

- Morgane… je la coupe avec un regard alarmant. S’il te plait j’en ai besoin et maintenant.

- Il faut que tu acceptes la douleur. Tu dois lui faire face. La drogue ne fera que retarder ta souffrance, tu le sais bien.

- T’es mal placée pour me donner des leçons là-dessus.

Elle reste sans voix après ma remarque. J’y suis peut-être allé un peu fort mais ça urge. Je ne veux pas m'effondrer et seule une trace de poudre du bonheur peut m’aider actuellement. Je reprends plus calmement :

- Je peux pas faire face à tout ça sans aide Morgane. Je t’en prie juste une ou deux fioles.

- Écoute Cole, en théorie le virus Némésis va t’aider à gérer tout ça. Tu ressentiras toujours de la peine, de la douleur, de la colère, mais il t’aidera à guérir plus facilement, physiquement comme psychiquement, m’explique-t-elle. Ton cerveau s’auto-soignera et…

- Si tu m’en donnes pas je te dénoncerai et ils te prendront tout ton stock. Je suis désolé mais tu me laisses pas le choix, je la menace en m’emportant malgré moi.

- Tu me fais du chantage ? Tu veux vraiment tomber si bas ? me demande-t-elle avec un regard mêlant pitié et reproche.

- Morgane, il faut que tu m’aides, sinon comptes pas sur moi pour collaborer avec Némésis. J’ai pas le choix.

Elle réfléchit un instant avant de répondre :

- On a toujours le choix. J’ai peut-être choisi d’être lâche et de tomber là-dedans mais toi t’as eu la force d’en sortir et maintenant tu veux replonger ? T’es vraiment aussi faible que ça ?

Je ne réponds pas, j’essaie de ne pas exploser, de contenir ma rancœur, je contracte chaque centimètre de mon corps tandis que Morgane me fixe, les yeux plein d’espoir. Elle comprend ce que signifie mon absence de réponse. Elle se met à fouiller frénétiquement dans ses poches, énervée, puis en sort une fiole de poudre brillante rose claire. Elle me la donne puis quitte ma chambre sans un mot, en colère.

Je comprends sa réaction, je ne me reconnais pas moi-même et je me déteste d’agir ainsi, d’être aussi faible, mais c’est une situation d’urgence. Je sens que je suis sur le point de craquer. Je ferme la porte de ma chambre puis regarde le contenu de la fiole, me souvenant du point auquel cette drogue m’a fait du mal. Du point auquel j’en ai peur. Mais je ne peux pas faire face à la mort de Lana. Elle était ma raison de vivre. Pourquoi rester sur terre sans elle ? Je n’ai plus la force de me battre. Je suis sur le point de fondre en larmes alors j’arrête de réfléchir, j’ouvre la fiole et snif le quart du contenu. J’inspire profondément puis expire doucement. En moins de dix secondes j’ai comme l’impression d’être soulagé d’un énorme poids. Je me sens léger, comme si je flottais. J’ai des fourmis dans les mains et une profonde sensation de bien-être et de sécurité m’envahit. Je sais qu’elle est factice, mais je me sens tellement mieux que ça m’est égale. Je n’ai plus de colère en moi, plus de haine, plus de souffrance. Je n’ai plus envie de mourir.

Après avoir pris connaissance des documents présents dans le sac de voyage, je m'allonge sur le lit sans chercher à m'endormir. Je ne ressens aucune fatigue. Je profite de cet instant de répit pour réfléchir. Que va-t-il arriver maintenant ? Je pense au futur avec une certaine appréhension et une légère impatience. Je pense à mes parents, à Trainte, Kaly, à Chris et Lana. Je me remémore les bons souvenirs comme pour en profiter de nouveau. J’ai enterré tout le négatif, j’ai l’impression d’être enfin en paix. J’accepterai la mort de Lana un autre jour.

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