Chapitre 10 : Le plus important

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Lorsque j’arrive à la maison, il est presque vingt heures. Cole et Chris seront là dans moins d’une heure, je dois me dépêcher. Je lave mes vêtements plein de sang pour ne pas inquiéter cole puis file sous la douche pour me débarrasser de la crasse accumulée au cours de cette trop longue journée... Je fais couler l’eau quelques secondes pour qu’elle chauffe et me glisse sous le jet dès l’apparition de la vapeur. Le contact avec la chaleur me détend instantanément. Enfin ! Je peux souffler, décompresser et oublier cette horrible journée passée à trimer dans une rizière souterraine, encadrée par un putain de tirant. Je relâche toute pression et laisse mon esprit vagabonder. Je suis comme hypnotisée par le mélange d’eau et de sang qui s'écoule dans le siphon quand je réalise ce qui vient de se passer. J’éclate en sanglot sans pouvoir me contrôler. Je viens de frôler la mort… J’ai faillis mourir parce que j’ai aidé une femme qui se faisait agresser. Une femme devenue addict à la drogue pour supporter ces conditions de vie et obligée de se prostituer pour se nourrir elle et son enfant. Je crois que le pire dans tout ça, c’est que je ne réalise que maintenant à quel point c’est grave. Dans quel monde vit-on pour que toutes ces choses horribles deviennent habituelles ? J'ai protégé cette personne que je ne connais absolument pas parce que je ne réfléchis pas et que je me surestime. Mais quand bien même j’avais pris le temps de la réflexion et eu un regard objectif sur mes capacités physiques, je l’aurai défendu, c’était la meilleure chose à faire, c’est ce qui était juste et ce que Cole aurait fait.

Je respire un bon coup et me ressaisis. Ces larmes m’ont soulagé mais je n’ai plus de temps à perdre. Je me dépêche de finir ma douche avant d’épuiser notre stock d’eau du jour. Je vérifie si je ne suis pas blessé dans le miroir de notre minuscule salle de bain. Je m’en tire avec quelques bleus et une bosse sur le nez et derrière la tête, j’ai eu de la chance. Beaucoup de chance. Ceux qui m’ont fait ça en ont eu moins. Vu les bruits et la quantité de sang qu’il y avait, je suis presque sûr de leur avoir cassé le nez et quelques dents. Sans parler des coups de couteau que s’est pris le balafré. Les entraînements au combat que je prends à la base portent leurs fruits visiblement. On a le choix entre plusieurs secteurs de formation. Le combat, l’agriculture, la médecine, l’informatique et la construction. J’ai hésité entre le combat et la médecine. Pas besoin de dire lequel j’ai choisi… Si je fais partie des meilleures, c'est grâce à Cole. Il m'entraîne même sur nos jours de repos, il est plus que doué. Si je suis en vie aujourd’hui c’est parce qu’il est là. D’ailleurs je dois me dépêcher de tout préparer pour lui. J’enfile des vêtements secs et me mets au travail.

Je prends sous mon lit les ingrédients que j’ai volés tout au long de la semaine. Les œufs lorsque j’étais assigné au poulailler, la farine et le beurre quand je me suis introduite discrètement dans les cuisines et le lait au moment où j’étais censée m’occuper des vaches. Le chocolat par contre c’est Chris qui me l’a fourni. Les Gouvernementaux qui gèrent les fermes et usines font du trafic de tout un tas de choses qu’on galère à trouver dans les zones chaudes. Alcool, nourriture, arme, médicament… Si on a de quoi payer et qu’on sait à qui s’adresser on peut presque tout se procurer. Bien sûr les prix sont exorbitants…

Je me dépêche de mélanger les ingrédients puis je mets la pâte à gâteau dans le four. Pendant qu’il cuit, je prépare des pâtes à la bolognaise, le plat préféré de Cole. Si je cuisine de la viande c’est bien parce que c’est son anniversaire… Je suis en train d’égoutter les pâtes lorsque je sens une odeur de brûlé. Merde ! J’avais oublié le gâteau… Je le sors vite mais trop tard, le dessus est légèrement cramé. Qu’est-ce que je peux être crétine quand je m’y mets ! Même pas capable de faire un putain de gâteau au chocolat ! Je m’insulte de tous les noms quand quelqu’un toc à la porte, ça doit être Chris. Je lui ouvre avec un air dépité.

- Ok, donc odeur de brûlé plus ta tête. Laisse-moi deviner. T’as fait cramer le gâteau ? me demande Chris sur le pas de la porte en se moquant.

- Oui… Entre et tais-toi s’il te plait, je lui réponds désespérée.

Il s’approche du plan de travail et regarde mon gâteau avec pitié.

- C’est vrai qu’il est sacrément moche ce gâteau, me dit-il en riant.

- Je vais gratter le cramé et tu verras il sera bon ! Maintenant va t'asseoir je m’occupe de tout.

Il prend place à la table à manger.

- C’est cool que tu aies pu venir sans Cole. Qui c’est qui t’as déposé ? je lui demande en mettant la table.

- C’est Karen. Qui veux-tu que ça soit ?

- Ça devient sérieux entre vous ?

- Non, malheureusement, me répond-il l’air un peu triste.

- Chris… arrête de la fréquenter, tu vois bien que ça te mène à rien. Elle te fait espérer depuis des mois. Tu resteras juste un plan cul pour elle. Tu mérites tellement mieux, je lui dis compatissante. Ça m’arrache la bouche de le dire mais t’es plutôt mignon et cool, tu peux avoir qui tu veux.

- Mouais. Mais t’oublies une chose importante, réplique-t-il gravement.

- Quoi donc ?

- Je suis aussi extrêmement fort et intelligent, me répond-t-il sur un air faussement sérieux. Et drôle, musclé et sexy…

- Oui c’est bon on a compris le blond, je lui dis avec un sourire en levant les yeux au ciel.

Chris a toujours le chic pour me faire rire. Depuis que je suis petite, il fait comme partie de la famille. Il loge à la base mais vient souvent chez nous. Quand il est là c’est comme si le soleil sortait après une journée nuageuse. C’est un gars super, sur qui on peut compter. Mais lorsqu’on en vient à parler d’un sujet sérieux, surtout si ce sujet le concerne, il se cache toujours derrière son humour.

- Tien gamine, regarde ce que j'ai apporté ! me dit Chris en sortant une bouteille de vin de son sac à dos.

- Génial ! T’as eu ça où ?

- C’est le gars qui m’a fourni le chocolat qui m’a cédé cette bouteille à moitié prix pour me remercier de ma fidélité ! Ah, et tiens la bougie que tu m’avais demandé !

Soudain j’entends les clefs dans la serrure de la porte d’entrée. Il est là ! J’allume vite la bougie à l'aide de la gazinière et la plante sur le gâteau. La porte s’ouvre dévoilant Cole.

- Surprise ! nous nous exclamons en coeur avec Chris, lui brandissant sa bouteille de rouge, et moi mon gâteau brûlé.

Un immense sourire vient se poser sur le visage de mon frère qui referme la porte derrière lui.

- Bon anniversaire vieux débris ! je lui dis pour le taquiner en l'enlaçant.

- Joyeux anniversaire vieux ! réplique Chris à son tour en lui présentant la bouteille de vin.

- Vous êtes foux, c'est trop gentil ! s’exclame Cole en rigolant. Comment t’as fait pour avoir une bouteille de vin grand malade ?!

- Et on a aussi du gâteau au chocolat ! je lui fais remarquer, heureuse de le voir si souriant.

- Et un gâteau au chocolat mais comment c’est possible ?! nous demande mon grand frère étonné.

- Disons qu’entre mes connaissances bien placées et certaines des facultés de ta sœur on a réussi à réunir tous les ingrédients assez facilement… lui explique le blond.

- Ok si je traduis bien vous avez eu tout ça au marché noir ou en volant à la base ?

- Mmmm c’est plus ou moins ça oui, je lui réponds en feignant un air coupable. Mais qu’importe ! Souffle ta bougie ! j’ajoute avec un large sourire en présentant le gâteau face à son visage.

Il s’apprête à souffler ses bougies quand, j’ignore pourquoi, son air joyeux se transforme en air perplexe.

- Attends une seconde Lana, c’est toi qui as fait ce gâteau ? demande-t-il très sérieusement.

- Bah oui pourquoi ? je réponds inquiète.

- T’as vu sa gueule ! Il est vraiment pas beau ! me dit-il en faisant semblant d’être outré. Si c’est un gâteau en mon honneur, je sais pas vraiment comment le prendre !

- Oh tais-toi et souffle ! Je lui ordonne, hilare.

- Si je fais le voeux que ma soeur arrête de voler ça va marcher tu crois ? me demande-t-il avec des grands yeux accusateurs pour m’embêter.

- Souffle ! lui dis-je en imitant son regard.

Il souffle enfin sur sa bougie, Chris l’applaudit et moi je pose le gâteau sur la table avant de lui sauter au coup.

- Merci pour tout, c’est génial, nous dit Cole, mais tu seras quand même puni demain, rêve pas la cleptomane, me dit-il d’un ton désinvolte tout en me rendant mon étreinte.

- Tu veux me punir comment ? C’est pas comme si j’avais grand-chose ! je lui rétorque espiègle.

- Elle marque un point, remarque Chris sérieusement.

Je sais que mon frère me fera la morale demain, mais le jeu en vaut la chandelle. Nous rigolons, nous mangeons et nous buvons jusqu'à tard dans la nuit. Nous n’en avons pas l’habitude si bien que la bouteille de vin suffit à nous rendre bien pompettes. C’est pour ces moments là que je vis. Il ne manquerait plus que ma petite amie soit là et tout serait parfait. Bientôt je sais que ça sera possible. Voir Cole heureux me remplit de joie. Il est la personne que j’aime le plus au monde. Ma famille, que ce soit celle qui m’a été donnée avec Cole, ou celle que j’ai choisie avec Chris et Linne, est le plus beau cadeau que m’ait donné la vie. Merde, le cadeau ! J’ai failli oublier ! Je leur demande de m’excuser et vais chercher le petit paquet que j’ai caché sous mon lit. Je le pose sur la table devant Cole.

- Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-il surpris.

- Ouvre-le, je lui réponds.

- Tu l’as pas volé ça au moins ? ajoute-t-il en rigolant

- Non, ouvre le je te dis ! lui dis-je impatiemment

- Lana, le paquet est aussi moche que le gâteau, si t’as quelque chose contre moi dis…

- Oh mais t’es lourd quand t’es bourrés ! Ouvre le maintenant ou je le reprends ! Je le menace sans le laisser finir sa phrase.

- Ok pardon ! J’arrête, je l’ouvre ! Dis cole l’air innocent.

Il retire le papier puis ouvre la petite boîte en carton que j’ai fabriqué. Il regarde dedans et voit tout de suite la photo de nous deux avec nos parents prise le jour de ma naissance. Il ne réagit pas. Quelques secondes gênantes passent.

- Cole ? Ça te plait pas ? je lui demande nerveuse

Il relève la tête les yeux humides.

- Si c’est parfait, répond-t-il presque en chuchotant.

Cole a beaucoup plus souffert que moi de la mort de nos parents. Et une partie de lui leur en veux d’être aller se battre contre les Gouvernementaliste plutôt que d’être resté avec nous. Je savais que ce cadeau le toucherait, mais pas à ce point. J’essaie de me retenir de lâcher une larme, en vain. Je suis un peu troublée, j’ai rarement vu Cole comme ça.

- Tu l’as trouvé où ? me demande mon frère.

- Dans la cave quand on a fait du tri l’autre jour… Je pensais pas que ça te ferait de la peine je suis désolée, je lui explique ému.

- T’es bête, me dit-il en riant.

Il se lève et me sert fort dans ses bras.

- Je suis pas triste, au contraire. Tu pouvais pas trouver un meilleur cadeau. Je le savais pas à l’époque, mais crois-moi, ta naissance a été le plus beau jour de ma vie. Je t’aime.

- Moi aussi je t’aime, Cole.

- Bah voilà, on a pas l’air con tous les trois à pleurer… intervient Chris au bord des larmes.

Nous rigolons et cole surenchérit en se dirigeant vers Chris :

- Soit pas jaloux le blond ! Et profite, je suis bourré alors c’est tournée générale de calin !

Il se jette sur Chris pour l’enlacer, le faisant tomber à terre. J’explose de rire alors que ces deux guignoles sont au sol, Cole forçant Chris à accepter son étreinte.

- Cole on peut pas faire ça devant ta soeur elle va être traumatisée ! hurle Chris en se débattant.

Finalement, cette journée est peut-être l’une des meilleures de toute ma vie. Ici survivre n’est pas facile, certes, mais tant qu’on pourra compter les uns sur les autres on aura une chance d’être heureux. C’est ça le plus important.

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