Chapitre 5 : Solaris

9 minutes de lecture

Ville de Solaris (anciens États-unis) : Haute zone d’Amérique

08 décembre 2121

07h28

Morgane Baile

Comme tous les matins le métro est bondé de gens en costumes et tailleurs de différentes couleurs selon leur fonction. Les noirs, qui représentent le haut de l'échelle sociale, sont des politiciens et religieux qui gouvernent le haut peuple. Viennent ensuite les blancs, comme moi, les personnes liées au domaine médical et scientifique ainsi que les ingénieurs et informaticiens. Puis arrivent les rouges, qui sont dans les arts, les médias et l'éducation, suivie des bleus, qui couvre les domaines de la comptabilité, la finance, et du droit ainsi que toutes les formes d'entrepreneuriat. Enfin, en bas de cette lourde pyramide hiérarchique, se trouvent les gris, dont les fonctions sont qualifiées "d'annexe". Autrement dit qui nécessitent peu d'études, comme les vendeurs, coiffeurs, chauffeurs, cuisiniers, nettoyeurs, etc. Mais ces derniers sont peu nombreux à cette heure-ci. Ils commencent plus tôt pour la plupart.

Presque personne ne parle, tout le monde regarde dans le vide, il n'y a pas un sourire et pratiquement aucun bruit si ce n'est un léger vrombissement électrique. Tout fonctionne avec des énergies propres, nous ne polluons pratiquement plus dans les hautes zones. Toutes nos usines polluantes sont implantées en zone chaude. Finalement, les problèmes sont toujours là, ils ont juste été déplacés, cachés de la vue des riches, chez les pauvres.

La quasi-totalité du métro est recouverte d’écrans, si bien qu'il m’est impossible de ne pas voir le présentateur qui nous étale son habituel discours de propagande. Le son est tellement fort que je ne peux pas ignorer ce qu'il raconte. Apparemment les Gouvernementalistes auraient de nouveau déjoué une cyberattaque des monfulters et ils seraient sur le point de trouver une arme capable de les arrêter. Au moins la partie sur l'arme est vraie. Comment je le sais ? Tout simplement parce que je travaille dessus. Le présentateur poursuit sur les attentats qui ont eut lieu la veille, à la frontière américaine. Soit-disant l'œuvre de rebelles du bas peuple qui auraient attaqué un QG du gouvernement. Sans doute un mensonge. En tout cas une chose est sûr, les Résistants n'ont jamais commis d'attentat. Et ça, je le sais car j'en suis une. Toutes ces inventions sont faites pour monter les riches contre les pauvres et utiliser la peur pour s'assurer du soutien du haut peuple. Les Gouvernementalistes sont bons en manipulation, ça il faut bien le reconnaître... Le présentateur enchaîne ensuite avec son habituel discours :

- Tout ce que nous faisons, nous le faisons aux noms de dieu. C'est eux qui nous ont envoyé les monfulters pour nous mettre en garde. Et nous avons réagi en conséquence. Nous avons réduit de soixante-dix pour-cent notre émission de CO2, la surpopulation n'est plus d'actualité dans les hautes zones et nous avons concentré tous les impures dans les zones chaudes. Tous ces progrès sont très encourageants, il faut poursuivre nos efforts ! Puisse-t-il nous guider.

Quelques fanatiques répètent la dernière phrase à la façon d'un mantra. Cette religion, qui de base en était trois différentes, compte énormément d'adeptes ici. Enfin... C'est pas comme si on avait le choix. Le présentateur conclut en congratulant le gouvernement qui travaille d'arrache-pied pour offrir au haut peuple un niveau de vie descent et ils nous remercient au nom du gouverneur Malorne pour tous nos efforts en ces temps de crises. En bref, un ramassis de conneries. S'ensuit une vidéo d'un homme d'une cinquantaine d'années aux cheveux grisonnants et à la carrure imposante. Le gouverneur Malorne. Comme tous les matins et tous les soirs, ils nous rabâchent les sept commandements des purs :

- Tu honoreras Dieu et ses représentants car telle est sa volonté, dit-il d'une voix grave, calme et monocorde.

Il est obligatoire d'aller prier au temple une fois par semaine et si on ne respecte pas les lois et les directives du gouvernement, on est considéré comme impure et exilé en zone chaude.

- Tu respecteras la création car telle est sa volonté.

D'où le fait que polluer soit considéré comme étant un péché grave. C'est bien la seule règle qui tient la route. La suite est assez abominable et misogyne.

- Tu vérifieras qu'il y a toujours un homme au-dessus de la femme pour la guider car telle est sa volonté. Tu resteras lié à vie à ton époux car telle est sa volonté. Tu t’assureras d’engendrer un descendant car telle est sa volonté.

On a le droit et surtout le devoir d'avoir un enfant par personne. Pour en avoir plus, il faut en faire la demande. Le gouvernement redistribue le droit de descendance des personnes qui n'ont pas pu ou ne peuvent pas en avoir. Et si un citoyen refuse d’enfanter ou dépasse le nombre de descendants autorisé, il est déclaré impure et exilé, comme les personnes stérile. Encore une belle connerie.

- Tu confieras ton enfant aux représentants de Dieu car telle est sa volonté.

Tous les enfants, après une période d'allaitement, sont pris à leur mère et élevés par des religieux dans des temples. Ils savent nous donner envie d'avoir des enfants... Et le clou du spectacle :

- Tu combattras les impures car telle est sa volonté.

Où comment pousser les gens à la délation. Le gouverneur poursuit en invitant les volontaires à s'engager dans l'armée dont il fait l'éloge, encore et encore. Ces vidéos me paraissent interminables, si bien que je ne leur prête plus grande attention, comme beaucoup de gens qui vivent ici d’ailleurs.

En moins de quinze minutes de trajet je me retrouve au centre-ville. Le métro va à plus de trois-cents kilomètre-heure et pourtant on ne ressent pas une seule secousse. Je quitte la rame et me fraie un chemin tant bien que mal à travers la foule. Je déteste être dans cette marée humaine. Je me sens oppressé et j’ai du mal à respirer. J’essaie de me concentrer sur l’architecture du métro pour ne plus y penser. Les souterrains sont magnifiques, d'un marbre blanc immaculé, parcouru de grandes colonnes et de grandes arches comme dans un ancien temple, à la différence qu'il n'y a pas d'écrans tous les vingt mètres dans un ancien temple... Je marche depuis cinq bonnes minutes lorsque j'atteins enfin les immenses escalators qui permettent l'accès à la surface.

Le soleil commence à se lever derrière les immenses gratte-ciels qui m'entourent. Ils sont tous recouverts de vitres teintées de différentes couleurs en fonction de leur appartenance, comme le peuple. Régulièrement les bâtiments deviennent des écrans géants et diffusent des spots publicitaires et des messages de propagande du gouvernement. Les rues sont larges, il y a de nombreux arbres et des fontaines un peu partout. Les villes de la haute zone sont magnifiques. La seule ombre au tableau c'est le vaisseau des Monfulters qui plane au-dessus de notre tête et que l'on voit passer régulièrement. Ça inquiète tout le monde. On ne sait pas ce qu'ils nous veulent exactement. Le gouvernement à décider de faire d'eux la menace numéro 1 afin de manipuler les foules. Je n'arrive pas à croire que la planète est dirigée par une secte de malades mentaux.

Je suis arrachée à mes pensées par une petite dame qui me heurte en passant. Il y a du monde à cette heure-ci. Beaucoup de piétons mais très peu de voitures. Elles ne sont pas autorisées dans l'hyper centre, sauf permis spécial. Je croise de nombreuses patrouille de gardiens, un nom plus marketing pour dire militaire. Ils portent des armures noires et rouges ne laissant même pas voir leur visage. Ils ressemblent presque à des robots. Ils sont très respectés ici.

Je marche jusqu'à une grande place baignée dans la lumière du soleil levant, remplie de terrasses de cafés, bars et restaurants en tout genre. Je cherche Joachim dans la foule. On prend le petit déjeuner ici pratiquement tous les matins depuis plus de sept ans. Je suis sur le point de lui téléphoner quand je le repère, assis à la terrasse d'un de nos restaurants préférés. C'est un grand homme mate de peau, les yeux bleus, une silhouette fine, la trentaine, coiffé d'une queue de cheval blanche et vêtu d'un costume de la même couleur. C'est un génie de l'informatique. Nous collaborons parfois dans le cadre du travail, et c'est d’ailleurs comme ça que nous nous sommes rencontrés. Le courant est vite passé. C'est l'une des seules personnes que je considère comme un proche, avec ma mère bien entendu. La plupart des gens que je fréquente sont juste des connaissances qui me servent à renforcer ma couverture. Jo, contrairement à la majorité des citoyens du haut peuple, fait partie de ceux qui arrive à voir le gouvernement tel qu'il est vraiment. Un regroupement de menteurs et de manipulateurs fanatiques. Je le rejoins et m'assois en face de lui.

- Salut Jo !

- Salut Mo ! me répond-il en me rendant mon sourire. Comment ça va ce matin dans notre belle prison dorée ?

- Et bien écoute, un peu plus chaudement chaque jour.

- Y'a que nous pour nous rendre compte que leurs efforts écologiques à deux balles c'est des conneries ?

- Franchement, je pense que ça serait encore pire sans tout ça, je lui réponds sans conviction.

- Ça quoi Mo ? Tout ce qui pollue est délocalisé dans les zones chaudes c'est tout. On déplace juste la merde, on la nettoie pas.

Je sais très bien qu'il a raison mais je ne peux pas le lui dire, surtout en public. Si je dis quoi que ce soit contre le gouvernement je pourrais être découverte et arrêtée. Et je n'ose même pas imaginer ce qu'ils me feraient. De plus, je ne veux pas mettre Jo en danger. Je rêverais de pouvoir tout lui dire, être enfin moi-même avec quelqu'un d'autre que ma mère, mais c'est impossible. Je poursuis à voix basse :

- Jo, dis pas ça si fort, si on nous entend on risque d'avoir des problèmes.

- On n’est pas tout seul à penser comme ça, Mo. Dieu merci tout le monde ne trouve pas ça normal les quotas d'enfants par personnes, l'interdiction de toute forme de contraception, les couvres feux, les impôts démesurés, le fait de bannir dans les zones chaudes tous les non-croyants, les homosexuels, les pauvres et les opposants au gouvernement et...

- Jo, j'ai compris c'est bon ! je le coupe brusquement. On en parlera en privé tu veux ? J'ai pas envie que mon seul ami finisse exilé. T'es sur les nerfs ce matin toi... Parle-moi plutôt de qui tu sais. Ça avance ? je lui demande pour changer de sujet.

- Tony ? Trop con. Il avait trop peur qu'on se fasse griller, il a préféré qu'on arrête tout. Puis entre nous, c'était un mauvais coup, donc je perds pas grand-chose, me dit-il avec un clin d'œil.

- T'es con ! Je comprends mieux ton humeur massacrante.

Je ne peux pas m'empêcher de rire en lui disant mais je sais bien que la situation est plutôt triste. Il fait bonne figure mais ça le touche. J'aimerais lui dire que je le comprends, qu'il n'est pas seul, que j'ai déjà vécu cette situation, mais c'est impossible. C'est tellement frustrant.

- Voilà, dès qu'on n’est pas hypocrite on est con ! Je dis la vérité c'est tout, répond-il en rigolant. Et toi ? Après ce connard de Nick faudrait peut-être te trouver quelqu'un. Ne serait-ce que pour t'amuser ! Puis sinon tu finiras par te faire assigner un mari de force...

Nick, mon ex-fiancé, n'était qu'une couverture. Entendre son nom me fait perdre toute trace de sourire. Je suis resté avec lui quatre ans et je l'ai toujours méprisé. Il était tellement pro-gouvernement... C'était un cauchemar. Je n'ai pas versé une larme lorsqu'il est mort, il y a deux ans de cela. Du moins pas sincèrement. Et si je ne trouve pas un mari avant mes trente-trois ans, le gouvernement m'en imposera un pour que je puisse faire mon devoir de procréatrice. Cette société me dégoûte. Heureusement je n'ai que vingt-huit ans. J'ai encore du temps devant moi.

- J'ai pas la tête à ça avec tout ce qu'il se passe au boulot, je lui réponds sincèrement.

- Je sais que ça doit être très dur. Si besoin de parler... me dit-il très sérieux

- Je sais. Merci Jo, mais j'ai pas le droit d'en parler, je lui explique la gorge nouée tout en consultant le menu sur la table tactile. On ferait mieux de commander avant que...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que mon téléphone sonne. Je regarde sur ma montre. C'est maman. J'appuie dessus, ce qui active instantanément l'implant que j'ai dans l'oreille :

- Salut Maman.

- Morgane, rejoins-moi vite au labo, c'est urgent, me dit-elle pressée.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? je lui demande inquiète.

- C'est le moment qu'on attendait.

En entendant ces mots, mon cœur tente de sortir de ma poitrine.

- J'arrive tout de suite.

Je raccroche, m'excuse auprès de Joachim et retourne prendre le métro direction le laboratoire.

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