Chapitre 6 : La vérité

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J’arrive à destination dix minutes plus tard, toujours nerveuse à l’idée de ce qui est sur le point d’arriver. J’entre dans un grand building blanc et présente ma montre au gardien qui monte la garde à l’accueil. Il la scanne puis m’autorise l’accès aux ascenseurs qui m’amènent au cent quarante-cinquième et dernier étage. Les portes s’ouvrent et dévoilent un long couloir blanc. Arrivé au bout je pose ma main sur un écran près d’une grande porte métallique qui coulisse lorsque le système reconnait mon empreinte. Ma mère m’accueille avec entrain dès mon arrivée dans notre laboratoire. C’est une petite rousse aux yeux marron que le temps commence à marquer.

- Enfin tu es là ! me dit-elle en me prenant dans ses bras. Tous nos efforts vont finir par payer. Ils ont un candidat presque totalement compatible.

- Combien ?

- Pratiquement quatre-vingt-dix pourcents ! me répond-t-elle avec un grand sourire.

Mon cœur s’accélère en entendant cela et je sens que mes yeux commencent à devenir humides. Enfin une véritable chance de réussir. Je lui réponds stupéfaite :

- On a jamais dépassé les soixante-dix pourcent auparavant…

- Je sais mais cette fois c’est la bonne. Tu le mérites, me congratule-t-elle radieuse avant de poursuivre en posant sa main sur ma joue. Je sais que ça n’a pas été facile pour toi. Ça fait dix ans que tu te sacrifies pour la cause. Je suis tellement fière de toi. Tu as pratiquement réussi Morgane.

- On a réussi ensemble. Tu as beaucoup sacrifié toi aussi. Joue pas les modestes, je lui réponds avec un grand sourire et les yeux sur le point de déborder.

- Tu as raison. Mais de nous deux c’est toi qui as fait le sale boulot. Combien de patients as-tu perdues pour en arriver là ? me demande-t-elle compatissante.

- De cobaye Maman. Ne soyons pas hypocrite, je réplique froidement en perdant mon grand sourire. Ils n’ont servi qu'à faire évoluer le virus. Ils étaient là pour servir de cobaye, pas pour être soignés... Ce n’étaient pas des patients.

- Je sais, tu as raison. Mais cette fois c’est terminé. C’est le bon.

- J’espère.

- C’est un résistant de la zone chaude d’Amérique. Comme nous, m’explique-t-elle en récupérant une tablette sur le bureau blanc près de nous. Cole Jeydricks, vingt-six ans, fils de Jessa et Rayan Jeydricks. Ils faisaient partie des premiers résistants. J’ai été amené à les croiser plusieurs fois, eux aussi faisaient partie des dirigeants de la Résistance. De base, Jessa était une politicienne et Rayan un ingénieur. Ils ont énormément fait avancer la cause. Ils sont morts en essayant de protéger la ville lors des bombardements, ajoute-t-elle en me donnant la tablette. Prends connaissance de son dossier et prépares le virus, il arrivera dans environ deux heures. En attendant je m’occupe de notre départ avec Fox. Tiens-moi au courant. Soit forte ma fille, on rentre bientôt à la maison, conclut ma mère en me serrant à nouveau dans ses bras.

- Enfin, je lui réponds en lui rendant son étreinte, soulagée. À tout à l’heure. 

- Soit prudente ma fille.

- Promis.

Elle s’en va, me laissant seule dans ce laboratoire qui me fait froid dans le dos. J’y ai vécu tellement de choses horribles. Ou pour être honnête, je devrais plutôt dire que j’y ai fait vivre des choses horribles, à des dizaines d'innocents, au nom de la science. Mais c’est bientôt terminé. Si ça ne fonctionne pas maintenant, ça ne fonctionnera jamais. Je sens mes entrailles se tordre et mon rythme cardiaque s’accélère en y pensant. J’essaie de rester calme, je respire profondément et je me mets au travail. Je n’ai plus le droit à l’erreur.

Je sors mon matériel et prépare l’ordinateur tout en repensant à tout ce qui c’est passé depuis ces dix dernières années de travail acharné. Avant la fin du soulèvement et la défaite de la Résistance, il y a dix ans, ma mère s’est vu confier une mission pour le moins difficile. La commandante Fox l’a impliqué dans l'opération Titan et chargé d’infiltrer le gouvernement afin d’utiliser leurs moyens quasi illimités pour développer Némésis, une sorte de virus capable de modifier et faire muter l’organisme humain. Pour résumer, elle devait trouver un moyen de créer des supers-soldats. Le gouvernement cherchant à tout prix un moyen de combattre efficacement les Monfulters, dépense sans compter pour faire avancer le projet. Bien-sûr, ma mère m’a amené avec elle. Nous avons dû quitter la zone chaude d'Amérique pour venir nous installer à Solaris, la capitale mondiale. Nous avons tout abandonné. Nos amis, notre famille, mon père… Je n’avais que dix-huit ans à l’époque. Dès la fin de mes études, ma mère m’a fait intégrer le projet et depuis je m’occupe des essais sur l’humain. Je reçois régulièrement des cobayes qui viennent des zones chaudes, et parfois, des gens de la hautes zones. Les citoyens déclarés impurs sont habituellement exilés, mais s’ils sont considérés comme trop importants, ils sont emprisonnés et contraints à travailler pour le gouvernement. S’ils refusent, ils sont envoyés ici. Le but étant d’éviter que des ingénieurs ne rejoignent les zones chaudes. Les Gouvernementalistes préfèrent les savoirs morts plutôt que de leur donner une chance d’aider le bas peuple à se rebeller de nouveau. C’est là que réside la faiblesse du gouvernement. Ils sont trop sûrs d’eux. Ils pensent que les résistants ne sont plus et laissent les zones chaudes sans surveillance en se concentrant uniquement sur les Monfulters. C’est cette faiblesse que nous exploitons depuis tant d’années.

Le plus difficile au final a été de voir tous ces gens servir de cobaye. En fait, non. Encore une fois il faut dire les choses telles qu’elles sont. Le plus difficile a été de torturer et tuer tous ces gens. J’ai parfois l’impression de devenir un monstre si bien que je ne sais plus si je fais partie des gentils ou des méchants. Heureusement, ma mère est d’un soutien sans faille. Elle peut être dure, mais elle sait toujours comment m’aider.

J’ai un jour fait l’erreur de trop m’attacher à l’un de mes cobaye. Ce fut la dernière fois. Depuis, je leur parle le moins possible, je reste distante et prends un maximum de recul. Mais honnêtement, ça reste douloureux. Pour supporter tout ça je n’ai trouvé qu’une seule chose. La PDB. La poudre du bonheur. Une drogue bien évidemment interdite. J’essaie d’en prendre le moins possible, et j’y arrive de mieux en mieux, mais j’ai toujours un stock prêt dans mon laboratoire en cas de crise.

J’ai pratiquement terminé mes préparations, je suis dans les temps. J’ai hâte de quitter Solaris, de ne plus avoir à mentir sans cesse, à prétendre être une personne que je ne suis pas et ne plus avoir à torturer et tuer des gens, bien souvent innocents. Je serai bientôt libre. Il y a quelques personnes que j'apprécie, mais à part Joachim, personne ne me manquera vraiment. Joachim… Je réalise que je ne le reverrai sûrement jamais. Je dois lui dire au revoir.

Je m'assois à mon bureau, ouvre mon ordinateur personnel et je commence à me filmer :

- Salut Jo. Si je t’envoie cette vidéo c’est parce que... je dois disparaître, j’explique avec un petit rire nerveux.

Je réfléchis… je ne sais pas trop par où commencer il y aurait temps à dire et j’ai si peu de temps.

- J’aurai aimé te dire au-revoir de vive voix mais le temps me manque alors, t’auras une vidéo un peu ridicule à la place, dis-je en rigolant. Je ne peux pas te dire pourquoi je pars ni où je vais mais sache que la seule chose qui va me manquer à Solaris c’est toi.

Je sens ma gorge se nouer et les larmes monter.

- Tu as été mon seul véritable ami ici et je dois te remercier pour ça. Tu es l’une des personnes les plus courageuses et altruistes que je connaisse. Tu as été là quand ça n’allait pas, quand ma relation avec Nick est devenue insupportable. Tu es le seul à avoir réagi en apprenant ce qu’il me faisait subir. Et pour ça je ne te remercierai jamais assez. Je suis sûr que tu lui aurais cassé la gueule si je t’en avais pas dissuadé, j’ajoute en riant, ce qui vient contraster les larmes qui commencent à couler sur mes joues.

- Tu es fou et c’est ce que j’aime chez toi. Tu dis toujours ce que tu penses et tu as toujours su comment me faire rire. Et tu es bien le seul. Et me voilà en train de pleurer en parlant toute seule ! Je parie que tu dois bien te marrer !

Je rigole tout en pleurant. La scène doit être assez ridicule.

- En vrai je sais que toi aussi tu dois pleurer derrière ton écran. Ton éternel sourire et tes sarcasmes cachent un cœur sensible, je le sais, je lui confie avec un clin d'œil. Et sache que j’admire ta force et ta capacité à garder ce sourire en toute circonstance. Tu es une personne exceptionnelle. Ne change jamais. Désolé de partir comme ça mais je n’ai pas le choix. Encore merci pour tout Jo et j’espère qu’on se reverra... Prends soin de toi.

Je force un dernier sourire noyé dans les larmes et coupe la vidéo. Je suis trop émotive aujourd’hui. Dire adieu à Joachim me brise le cœur. Je suis partagé entre la joie d’être libéré de mon fardeau et le chagrin de quitter mon meilleur ami. Mais les choses doivent-être ainsi. J'enregistre la vidéo sur un serveur sécurisé que Jo a créé spécialement pour que l’on puisse parler entre nous, sans être espionné par qui que ce soit. Je la programme pour qu’elle s'envoie demain matin.

Je respire un bon coup et me remet au travail. Tout doit être prêt avant l’arrivée de Cole.

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