Chapitre 1 : En zone chaude

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Ville d'Antoros (Ancien Mexique) : Zone chaude d'Amérique

07 décembre 2121

05h40

Cole Jeydricks

Une secousse me réveille. Tout est sombre et silencieux autour de moi. Soudain, j'entends des détonations au loin qui viennent perturber le calme de la nuit. Je sors de mon lit précipitamment et regarde par ma fenêtre. À quelques kilomètres de moi, de hautes tours enflammées s'effondrent dans un crissement métallique effroyable, des centaines d'engins traversent le ciel à toute vitesse et les bombes qu'ils lâchent explosent de plus en plus bruyamment à mesure qu'ils se rapprochent. Je comprends et je panique instantanément. Ils arrivent…

Je cours à travers l'appartement, je dois trouver Lana pour la mettre en sécurité. J'arrive dans sa chambre mais elle n'y est pas. Je crie son nom comme un fou dans toutes les pièces de la maison mais aucune réponse. Mon cœur bat de plus en plus vite, je ne retrouve pas ma petite sœur et nous sommes sur le point d'être bombardés par les gouvernementaux. Le temps presse, je dois nous sortir de là mais où est-elle ? J'ai peur, respirer devient difficile et je n'arrive pas à réfléchir, tout s'embrouille dans ma tête. Tout à coup, une explosion toute proche fait trembler l'appartement si fort que j'en perds l'équilibre et me retrouve au sol. Les détonations sont de plus en plus impressionnantes, de plus en plus proches et je suis paralysé par la peur, incapable de me relever, je ne sais pas quoi faire. Je suis sur le point de hurler pour extérioriser ma colère quand, entre deux explosions, je l'entends qui crie mon nom. Sa voix provient de la chambre de nos parents.

Je cours la récupérer et la sort du placard où elle est cachée, pleurant, l'air terrifié. Je la prends dans mes bras et m'empresse de gagner la sortie de l'appartement avant qu'il ne soit trop tard. Nous arrivons dans le hall d'entrée mais nos parents sont devant la porte, nous empêchant de nous échapper. Ils ne bougent pas, regardent dans le vide et nous ignorent totalement. Je leur dis qu'il faut s'enfuir, qu'on va mourir si on ne fait rien mais ils ne semblent pas m'entendre. Je panique, leur hurle dessus et les supplie de réagir lorsqu'une explosion détruit la moitié de la pièce emportant mes parents dans un brasier et nous clouant au sol Lana et moi.

Tout brûle autour de nous. Les murs qui nous protégeaient s'écroulent et notre seule porte de sortie a été détruite. Je vois la ville en feu, bombardée par les avions gouvernementaux. Ils sont partout. Certains frôlent notre appartement dans un vacarme assourdissant, créant de puissantes rafales faisant vibrer chaque centimètre de mon corps. Le bâtiment risque de s'écrouler d'un instant à l'autre. Je serre ma petite sœur dans mes bras aussi fort que je le peux en la mettant dos au chaos, je ne veux pas qu'elle voie ça. Les explosions se rapprochent, c'est bientôt terminé. Un avion se dirige vers nous larguant un tas de bombes, il est à une centaine de mètres de Lana et moi. Je ne peux plus rien faire. Une cinquantaine de mètres, je vais mourir ici avec ma sœur. Il est juste au-dessus, j'ai échoué une bombe est larguée sur nos têtes. J'embrasse Lana une dernière fois. La bombe percute le sol à deux mètres de nous. Les flammes nous engloutissent, et je me réveille en sursaut.

Je suis en sueur dans mon lit, les bombardements ont cessé depuis bien longtemps et ni moi ni ma sœur ne sommes morts dans les flammes. Toujours les mêmes cauchemars, que j'essaie de refouler au plus profond de moi. Depuis dix ans je revis cette nuit à l'identique dans mon sommeil. Seule la fin est différente. En réalité, la nuit du bombardement, Lana et moi avons réussi à nous enfuir et atteindre le bunker de l'immeuble. Quant à nos parents, ils n'étaient même pas à la maison ce soir-là. J'ai l'habitude de ce genre de cauchemars désormais mais je dois avouer qu'ils me retournent toujours. Ils sont d'un réalisme troublant. Le seul moyen que j'ai trouvé pour m'empêcher de rêver c'est de me shooter. Ce qui n'est plus envisageable depuis bien longtemps. Je dois donc accepter le fait de me réveiller en sursaut chaque jour de ma putain de vie, et ça me fout une haine terrible. Je sers les poings pour essayer de contenir ma rage. Je prends mon coussin, le plaque sur mon visage et je hurle toute la colère que j'ai en moi. J'arrive à me calmer en respirant lentement et profondément quand je sens une atroce odeur de café. Ma sœur est accro à cette immonde liquide noir qui empeste dans la maison chaque matin. Mais je n'ai pas le cœur de retirer l'un de ses seuls plaisirs à une gamine de seize ans. Puis, pour être franc, ni moi ni personne ne peut la forcer à faire quoi que ce soit. Elle est aussi têtue que moi.

J'ai du mal à me lever aujourd'hui, la fatigue, sûrement dûe à ma journée d'hier, me cloue au lit. J'ai pourtant l'habitude des entraînements intensifs, mais cette fois ils cherchaient à recruter quelqu'un pour une mission spéciale. Le moins que l'on puisse dire, c'est que j'ai tout fait pour impressionner les recruteurs et aujourd'hui je le paye par mon incapacité à sortir du lit, et ce n'est pas l'odeur du café qui me va me motiver à le faire. La seule chose qui pourrait jouer contre moi c'est le comportement. Je n'en suis pas fière mais j’ai tendance à me battre au sein de la base. Même dans la Résistance il y a des connards et quand quelqu’un me cherche, il me trouve facilement je dois l'avouer. Puis je ne peux pas m'empêcher d'intervenir quand je suis face à une injustice, ça finira par me desservir un jour. Malgré cela j'ai mes chances, j'en suis sûr.

Je regarde le réveil et vois affiché cinq heures quarante. J'ai rendez-vous dans trente minutes pour une visioconférence avec la Commandante Fox. C'est elle qui commande l'armée des Résistants depuis le soulèvement d'il y a dix ans. D'après ce qu'on dit, elle est prête à tout pour détruire le gouvernement. Voilà qui nous fait un point commun. En même temps, je pense que personne ne porte le gouvernement dans son cœur dans les zones chaudes. Sauf peut-être les moins pauvres, qui travaillent dans les usines et les fermes gouvernementales. Et encore, ils travaillent douze heures par jour et gagnent tout juste de quoi nourrir et loger leur famille, quant aux enfants, c'est à peine s'ils sont payés. Jamais je n'ai laissé ma sœur y travailler, et moi, je n'y travaillerai plus jamais. Nos rations nous sont données par les révoltés. Ils nourrissent et fournissent un logement à tous ceux qui font partie du groupe, soit environ cinq millions de personnes. Ils ont leurs propres fermes et usines souterraines où tous les résistants travaillent à tour de rôle. Ils nous procurent aussi les générateurs et batteries électriques qui nous permettent de recharger nos véhicules et d'avoir quelques minutes d’électricité par jour, ainsi que les bonbonnes de gaz qui nous permettent de cuisiner et d’avoir l’eau chaude. Je ne sais pas d'où ils sortent tous ces moyens, mais l'organisation très stricte de Fox est très efficace. Elle a fait des Résistants une armée redoutable, du moins pour un groupe de rebelles. Un jour tous ces efforts paieront et nous aurons tous notre revanche sur le haut peuple et le gouvernement. J'avoue que d'une certaine manière j'admire cette femme. Sans elle, peut-être qu'après le soulèvement, les Résistants auraient tout bonnement disparu. Je sais que si elle demande à me rencontrer c'est soit parce que j'ai fait quelque chose de très grave, soit qu'elle a une mission de la plus haute importance à me confier. Vu comme j'ai dû éblouir les examinateurs durant l'entraînement d'hier, je pense plutôt qu'elle a une mission pour moi. En y pensant, je retrouve ma motivation et mon courage à sortir du lit.

Je prends une douche froide, me brosse les dents puis enfile ma combinaison d'entraînement noir. J'entre dans la cuisine et m'assois à table, face à Lana, où m'attend un bol d'insipides flocons d'avoine. Pas très appétissant mais c'est ça ou rien. Lana prépare mon déjeuner tous les matins. Elle a pris cette habitude depuis quelques années, sûrement une manière de me remercier de m'occuper d'elle depuis la mort de nos parents. Pour être franc j'ai parfois l'impression que c'est elle qui s'occupe de moi. Elle est concentrée sur son café, des cernes aussi foncées que ses longs cheveux se sont glissés sous ses yeux durant la nuit. Tout en mangeant j'entame la conversation avec cette adolescente qui parfois me rappelle un peu un tigre de mauvaise humeur, capable d'attaquer à la moindre opportunité.

- T'as l'air en forme ce matin, lui dis-je ironiquement.

- T'as vu ta tête ? réplique-t-elle sèchement.

Je ne peux m'empêcher de sourire devant cette provocation. C'est un jeu entre nous, on se lance des piques à longueur de journée. Mais rien à voir avec de la haine, c'est notre façon de se dire qu'on s'aime. Elle et moi avons toujours été très complices. C'est l'une des seules personnes qui arrive à me faire rire depuis les bombardements. C'est quelqu'un de bien, très généreuse et gentille. Enfin, si l'on creuse un peu et qu'on ne l'énerve pas. On est pareil elle et moi. Au fond on est plutôt cool sans vouloir nous jeter des fleurs...

- Nerveux ? me demande-t-elle dans les vapes.

- Un peu. Je te raconterai ce soir. Tu veux que je te dépose ?

- Non je chopperai une navette.

- T'es sûr ?

- Oui Cole, je suis sûr. J'ai plus douze ans, me répond-t-elle agacée.

- Malheureusement...

Je regarde l'horloge, six heures, je suis en retard. Je me lève, enfile ma veste en cuire noir et laisse le reste de mon petit-déjeuner à Lana, ça lui fera le plus grand bien, je la trouve un peu trop maigrichonne.

- Je dois filer. À plus, gamine, lui dis-je avec un clin d'œil provocateur.

- Hmm... À plus, l'ancien.

Je ferme la porte derrière moi, et quitte notre minuscule appartement. Nous avons le strict minimum pour vivre, quasiment aucun meuble et les murs sont tous d'un gris terne déprimant, mais je ne m'en plains pas, c'est déjà plus qu'une grande majorité des gens dans les zones chaudes. Nous avons la chance de ne pas vivre dans un bidonville.

Je dévale les escaliers rapidement, prends ma moto dans le mini local au pied de l'immeuble, et je file à toute vitesse pour rejoindre la base. Je traverse de grandes rues sinistres, propres aux zones chaudes. La ville est presque déserte. Les gens ne sortent que si nécessaire à cause des retombées radioactives présentes depuis les bombardements. Les gouvernementaux ont mis le minimum de moyens pour reconstruire les régions qu'ils ont détruites et nous louent des logements à peine décents. Tous les immeubles qui m'entourent sont identiques les uns aux autres. De grandes constructions de béton d'une cinquantaine d'étages sur lesquelles sont accrochés des écrans géants ne s'allumant que lorsque le gouverneur Malorne, le dirigeant du gouvernement, a un message à nous faire passer. Les villes construites pour le bas peuple sont pratiquement toutes les mêmes. Elles me font penser à de grands labyrinthes dans lesquels nous sommes tous coincés. Le soleil n'est pas encore totalement sorti qu'il fait déjà trop chaud. Pourtant les nuages radioactifs cachent le soleil la plupart du temps mais le réchauffement climatique continue à faire des ravages chez les pauvres. Les routes sont noires, d'un goudron très peu usé.

La majorité des gens n'ont pas les moyens d'avoir des véhicules et ceux qui en ont ne sortent que très rarement en raison de l'insécurité qui règne. Moi je tiens ma moto de mon père, et déjà à l'époque, c'était une preuve de richesse. Les routes sont donc très peu fréquentées. Les seuls à les utiliser sont les moins pauvres et les conducteurs des navettes qui emmènent les travailleurs jusqu'aux immenses fermes et usines du gouvernement qui polluent nos territoires au point de diffuser une horrible odeur de fumée dans toute la ville. Plus rarement, il m'arrive de croiser les 4x4 des gardiens, les soldats gouvernementaux. Ils viennent de temps en temps rappeler qui commande. J'avoue que quand je les croise, j'ai une forte envie de leur loger une balle dans le crâne. Oui je suis plutôt radical... Mais je sais très bien qu'ils me descendraient sur place, ou pire ils m'enverraient servir de cobaye dans leurs labos. Je n'ai plus vraiment peur de la mort en soi, mais je ne suis pas décidé à abandonner ma sœur. Pas qu'elle ne puisse pas se débrouiller sans moi, loin de là, c'est moi qui ne suis tout simplement pas prêt à être séparé d'elle. J'ai dix ans de plus qu'elle mais j'ai plus besoin d'elle qu'elle de moi. Elle donne un sens à ma vie. Mon objectif principal est de prendre soin d'elle.

Au bout d'une dizaine de minutes de trajet, j'arrive devant l'une des entrées de la base des Révoltés. C'est un immeuble comme les autres à un détail près, les ascenseurs sont reliés au réseau sous terrain où se trouvent nos immenses infrastructures, bien à l'abri des regards du gouvernement. C'est le seul endroit que je considère comme chez moi. Je gare ma moto dans le local près de l'entrée puis je pénètre dans le hall et appelle l'ascenseur. J'attends comme tous les matins cette machine qui me paraît toujours plus lente. Le voilà, les portes s'ouvrent, j'entre. Je compose un code avec le numéro des étages et l'ascenseur se met à descendre les cinquante mètres qui me séparent de la base.

Ces souterrains existaient déjà avant ma naissance. Il y en avait des centaines réparties dans la zone chaude. Aujourd'hui il n'en reste plus qu'une dizaine, mais bien-sûr officiellement il n'en reste aucun et ont tous été détruits par les Gouvernementaux lors du soulèvement. Ils sont aussi imposants que des villes et peuvent accueillir jusqu'à cinq-cent-mille personnes. On est bien mieux sous terre qu'au-dessus. Ici nous avons l'électricité et l'eau courante. Il y a des fermes, des usines, des dortoirs, des douches, des salles d'entraînement, de cours et de conférence. Nous avons tous des devoirs et des droits au sein de la Résistance. Le travail dans les usines et les fermes est obligatoire. Assister aux cours aussi, du moins jusqu'à seize ans. Participer aux entraînements militaires est facultatif, mais je n'en manque pas un, et sans me vanter, je fais partie des meilleurs. J'ai ça dans le sang. Mes parents et mes grands-parents paternels étaient des commandants de la Résistance.

Les portes s'ouvrent, dévoilant le grand hall beige habituellement noir de monde dont l'odeur me rappelle celle d'un garage souterrain. Mais à cette heure là tout le monde est occupé et il n'y a que moi. Tant mieux, j'aime la solitude. Je marche dans le complexe désert jusqu'à l'accueil où un grand homme chauve habillé d’une d'une tenue de combat grise arrive et me demande de le suivre. Je le laisse me guider à travers les larges couloirs de la base sans poser de questions jusqu'à une porte devant laquelle se trouve son sosie, en plus petit et maigre. Ils vérifient que je n'ai pas d'armes sur moi et me signalent que la commandante va me recevoir. J'entre et découvre une petite pièce sombre et presque vide dans laquelle une petite femme tirée à quatre épingles m'attend derrière un bureau métallique. Elle a de courts cheveux blanc, est plutôt mince et porte un tailleur gris foncé. Elle ne doit pas avoir plus de cinquante ans. La commandante Fox ?

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