New York, juste un rêve

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Chapitre 22

Je vis la scène au ralenti et sa phrase se répète en boucle dans ma tête. Mon cœur tape si fort qu'il résonne dans mes oreilles. Mon souffle est erratique et des frissons parcourent tout mon corps. Je suis complètement prise au dépourvu. Je ne m'y attendais pas du tout. Je dois répondre, je ne peux pas rester là sans rien dire, j'ouvre la bouche, mais je suis incapable de construire une phrase complète.

Miss Mystère :
"Je... c'est... Mathilde..."

Jeu, set, et, Mathilde ! Je suis vaincue par sa demande. La reine tombe à la renverse ! Elle me regarde avec inquiétude. S'il lui restait un semblant de sérénité, elle vient de prendre ses bagages et de déserter la place.

Mathilde :
"Ça va pas ?"

Je réalise dans quel état elle me perçoit et je culpabilise aussitôt !

(La pauvre, je lui en fais baver !)

Je hoche la tête pour lui signifier que je vais bien. Que je respire, au moins.

Mathilde :
"Si tu as besoin de temps pour réfléchir, je comprends..."

Je n'ai pas besoin de réfléchir à sa question et ce n'est pas ce que je suis en train de faire.

(Je suis juste décontenancée. Est-ce que je ne rêve pas... ?)

Une petite voix, au fond de moi, me chuchote que tout cela ne peut pas être réel. En réalité, je suis effrayée. J'ai peur que ce moment, magique, et si irréel, prenne fin quand je répondrai à sa demande. Pour l'instant, je suis mademoiselle Rivoli et cette femme incroyable, là, devant moi, me demande en mariage ! J'inspire profondément et plonge mon regard dans ses yeux.

Miss Mystère :
"Repose ta question."
Mathilde :
"Quoi ?"
Miss Mystère :
"Repose ta question, s'il te plaît."

Elle passe la langue sur ses lèvres et déglutit avec difficulté.

Mathilde :
"Mademoiselle Rivoli, veux-tu m'épouser ?"

Comme par un éclair dans un ciel orageux, mon esprit s'illumine en entendant à nouveau sa demande. Je ne rêve pas. Elle me demande en mariage. Moi. MOI ! Des larmes pointent au bord de mes cils, mes lèvres tremblent et des frissons parcourent mon dos.

(Oui ! oui ! oui !)

C'est comme si j'avais reçu un seau d'eau glacée en plein visage : j'ai envie de crier, mais j'ai le souffle coupé. Et là, d'un coup, tout ce que je retenais en moi sort enfin et je hurle ma réponse !

Miss Mystère :
"OUIIIII ! Je le veux ! Oui, oui, oui !"

Je vois le soulagement dans ses prunelles. Elle saisit ma main avec délicatesse. Son contact provoque une décharge électrique sur ma peau. Elle veut me passer la bague au doigt ! Tous mes membres se mettent à trembler. Je cligne des paupières plusieurs fois pour être sûre que je ne rêve toujours pas. Non, elle est bien là, devant moi. Je ne peux pas attendre une seconde de plus, avant de me jeter sur elle pour l'embrasser. Quand nos bouches s'unissent, je me sens planer sur un petit nuage. Topaze aboi comme pour la toute première fois.

Mathilde :
"Je t'aime."
Miss Mystère :
"Je t'aime encore plus."

Mon cœur explose sous l'effet de toutes les émotions dont je suis submergée. Et je sens qu'elle est dans le même état que moi. L'une comme l'autre, l'une contre l'autre, l’une à l'autre, désormais. Je ne veux plus jamais quitter ses lèvres. Nous n'avons pas cessé de nous embrasser depuis que j'ai dit oui. Je ne me suis jamais sentie aussi heureuse de toute ma vie ! J'ai l'impression de planer sur un petit nuage. Plus rien n'a d'importance, plus rien ne peut me nuire. Je savoure chaque millième de seconde de cet instant. Elle plaque ses mains sur ma chute de mes reins pour que nos corps soient en parfaite harmonie, l’une contre l'autre.

Mathilde :
"Je veux... t'épouser..."

Je continue de l'embrasser pendant qu'elle cherche à parler. Ses paroles sont entrecoupées par mes baisers parce qu'elle ne peut, elle non plus, se résoudre à interrompre notre étreinte. Nous nous embrassons de plus en plus jusqu'à ce qu'elle en oublie qu'elle était en train de me parler. Je la repousse légèrement, mais ses lèvres gonflées me donnent envie de replonger sur elle, vite... très vite.

Miss Mystère :
"Parle maintenant ou tais-toi à jamais."

Elle me donne un baiser plus chaste et prolonge sa déclaration.

Mathilde :
"Je veux que tu sois ma femme."

Son regard est chargé de détermination. Son front contre le mien, je respire son oxygène.

Miss Mystère :
"Oui..."
Mathilde :
"Je veux t'épouser de suite ! Je ne veux pas attendre."

Mon estomac se contracte et j'éclate de rire. Elle se retient de partager mon hilarité, mais ses fossettes apparaissent.

Mathilde :
"Qu'est-ce qui te fait rire ?"
Miss Mystère :
"Tu es pressé de consommer ton mariage ? C'est la lune de miel qui te rend si impatiente ?"

Elle pousse un léger grognement qui réveille le désir entre mes cuisses.

Mathilde :
"Te voir en porte-jarretelles est une perspective très, très alléchante."

Je glousse doucement contre elle, mais mon regard se fait plus sérieux.

Miss Mystère :
"T'es sérieuse ?"
Mathilde :
"Oui."

Elle se relève et m'aide à me redresser. Elle prend ma main, ornée de sa magnifique bague de fiançailles, entre ses paumes.

Mathilde :
"Je suis sérieuse. J'aimerais qu'on se marie au plus vite. La vie est trop courte. On sait jamais ce qui peut se passer."

Je déglutis en repensant aux derniers événements qui ont perturbé notre histoire. Elle a raison.

Mathilde :
"Tout ce qui nous est arrivé ces derniers temps, ça m'a fait réfléchir. Je sais ce qui compte pour moi maintenant : tu es ma seule priorité."
Miss Mystère :
"Tu es tout ce qui compte, pour moi aussi."

Dire ce que je ressens pour elle est tout à fait naturel, désormais. Je l'aime et je sais que c'est elle, la femme de ma vie.

Mathilde :
"Je suis peut-être égoïste, mais je ne veux que toi. Je me fous du reste. Mais si tu rêves d'une grande cérémonie..."

J'ai toujours rêvé d'un mariage de princesse, avec une robe blanche et sa longue traîne. Mais on n'est pas non plus obligé d'inviter la terre entière !

Miss Mystère :
"Je veux être ta femme. Je suis aussi pressée que toi."

Elle m'adresse un sourire ému. Ses yeux sont humides et je me retiens pour ne pas pleurer.

Mathilde :
"Alors, si tu es d'accord, on pourrait se marier dans une dizaine de jours."

(Dans dix jours...? Dans à peine dix jours, je deviendrai Madame Ortega ?!)

C'est un truc de dingue ! Je serai mariée dans moins de deux semaines. Elle y a dix minutes à peine, je ne savais même pas si je me marierais un jour ! Et dans quelques jours, je vais m'appeler madame Ortega !

(Miss Mystère Ortega ! Oh mon dieu ! Il va falloir, avant le mariage, que je lui dise que ce n'est pas mon vrai prénom !)

Miss Mystère :
"Je voudrais seulement que nos amis proches soient là, Lola, Colin. Et ton frère..."
Mathilde :
"Et grand-mère."
Miss Mystère :
"Bien sûr ! En petit comité avec nous. C'est tout ce qui compte."

Elle fait tournoyer la bague autour de mon doigt et son regard ténébreux s'empare de mes prunelles.

Mathilde :
"Mademoiselle Rivoli, vous allez faire de moi une femme heureuse."

Je ne peux m'empêcher de glousser, comme adolescente, pré pubère, sur le point de rencontrer son idole.

Miss Mystère :
"Tu n'as pas idée de ce dans quoi tu t'engages ! Je suis une emmerdeuse."
Mathilde :
"Je prends le risque."
Miss Mystère :
"C'est ce que j'aime chez toi : ton sens du sacrifice et ton courage !"

Elle m'attire contre elle et mon coeur s'emballe."

Mathilde :
"Tu es faite pour moi, alors."
Miss Mystère :
"Non, c'est toi qui es faite pour moi !"

Le lendemain matin mon sentiment de plénitude n'a pas disparu. Je flotte encore à dix pieds au-dessus du sol... comme un chat fainéant, je m'étire de tout mon long, les bras tendus au-dessus de ma tête et les orteils en éventail. Elle est sortie il y a quelques minutes pour acheter de quoi prendre un bon petit-déjeuner. Elle me manque déjà. C'est stupide, je sais, j'ai envie de partager ma joie avec elle, et cela à chaque seconde. Elle n'est pas là et, en l'attendant, j'ai juste envie de faire part au monde entier de nos fiançailles. Les bras et les jambes, en position d'étoile de mer, je souris béatement en fixant le plafond. Je suis aux anges. Nul besoin de crier ma joie, elle est imprimée sur mon visage. Topaze ressent mes émotions, et remue la queue avec frénésie, au pied du lit. Par contre, je dois à tout prix l'annoncer à Lola ! Je ne peux pas garder cette bonne nouvelle pour moi plus longtemps ! Les tonalités résonnent dans mon oreille. Je suis excitée comme une puce !

Lola :
"Allô, ma belle, t'es matinale ! Comment ça se fait que tu m'appelles si tôt ?"

Je n'y vais pas par quatre chemins.

Miss Mystère :
"Mathilde m'a demandé en mariage. J'ai dit oui !"
Lola :
"Quoi ?! C'est pas vrai ! Vous allez vous marier ? Elle t'a demandé en mariage ? T'es pas en train de me faire marcher ?!"

Elle pose toutes ses questions à une vitesse folle ! Je crois qu'elle est sous le choc, encore plus que moi hier soir !

Miss Mystère :
"Oui, on va se marier ! Elle a demandé ma main ! Je te jure que je ne te fais pas marcher !"

Je lui réponds au même rythme qu'elle et nous éclatons de joie dans le combiné.

Miss Mystère :
"T'es la première à l'apprendre !"
Lola :
"Oh putain, j'arrive pas à le croire ! Mathilde, elle assure !"

J'éclate de rire, devant l'enthousiasme de mon amie.

Lola :
"Je suis trop heureuse pour toi ! Mathilde est une fille bien et tu mérites d’être heureuse."

Je suis émue par sa déclaration et les larmes me montent aux yeux.

(Bon sang, je suis vraiment trop émotive en ce moment...)

Miss Mystère :
"Merci. Toi aussi tu trouveras ton prince charmant. Tu le mérites encore plus."
Lola :
"Laisse-le où il est, pour l'instant. Je veux pas de prince, moi, je suis très bien comme ça. En attendant, c'est toi la princesse, comme le dit si bien ta fiancée."

Mon sourire s'élargit de plus belle. Mon rêve se matérialise au fur et à mesure que j'en discute avec ma meilleure amie.

Lola :
"Et il faut fêter ça, comme il se doit !"

Elle glousse comme une gamine.

Lola :
"Ce soir ?"
Miss Mystère :
"Ce soir ! Ok ! Bisous !"

Lorsque je raccroche, il me vient à l'esprit comme une évidence : c'est elle qui sera ma témoin. Qui d'autre, si ce n’est, elle ? Qui m'a soutenue tant de fois, et elle m'a pardonné, même quand elle n'aurait pas dû... Elle sera aux anges quand je lui demanderai d’être mon témoin. Je ne pense pas que Mathilde y trouvera un inconvénient. Je lui en parlerai à son retour. Je regarde mon écran de téléphone, avec l'envie de réitérer mon appel, mais quelque chose d'autre me turlupine. J'ai encore un dernier appel à passer, avant son retour. Je fais défiler mon doigt sur la liste de mes contacts. Je prends une profonde inspiration. Je crois qu'il est temps de l'appeler... À chaque nouveau bip j'ai l'intention de raccrocher.

(Allons, un peu de courage... !)

Je ne suis pas sûre de me rappeler le son de sa voix, mais, lorsqu'il décroche, je le reconnais tout de suite.

Bisy :
"Papa ?"

(Bon sang, ma gorge se noue déjà. Je m'étais promis de ne pas craquer.)

Je suis un peu anxieuse à l'idée de parler à mon père. Nous ne nous sommes pas appelés depuis longtemps, je ne sais pas comment lui parler. Notre lien est fragile, et plus le temps passe, plus il s'amenuise. Parfois, j'ai l'impression de parler à un étranger. J'imagine que l'amour peut s'effriter. Il n'a jamais pris la pleine mesure de son rôle. Encore moins quand maman a eu besoin de lui. Je me rends compte que mon amertume envers lui n'a pas disparu. Depuis la mort de maman, je lui en veux toujours. Terriblement. Il n'a pas été présent pour elle. Ni pour moi. Il a préféré sa vie d'aventurier à sa vie de famille. C'est un reproche dont je ne pourrai jamais me défaire. Quand j'ai déménagé à New York je voulais m'éloigner du chagrin qui m'assaillait, des souvenirs trop présents. J'avais besoin de faire le vide, de penser à autre chose. Au départ, je téléphonais à mon père peut-être une fois par mois, et puis j'ai commencé à espacer mes appels. Deux mois, trois mois, je ne compte plus... Je me suis rendu compte que son éloignement m'arrangeait. Mon père n'a pas essayé de combler la distance qui nous a séparés, peu à peu. Il n'appelait pas, je n'appelais pas. Et nous en sommes arrivés là, à ne pas nous être parlés depuis presque un an. Je regrette d'en être arrivé à ce point, parce que mon père est la seule famille qui te reste. J'ai la chance de l'avoir encore, même si ce n'est pas le père idéal. Je sais que je dois l'accepter tel qu'il est, parce que cet éloignement me fait souffrir.

Papa :
"Ça fait longtemps... Comment vas-tu ?"

(Pourquoi ne pas m'avoir appelée, si ça t'intéressait ?)

Bisy :
"Je t'appelle pour t'annoncer que..."

Je m'arrête et prends une grande inspiration. Le moment me paraît si étrange...

Bisy :
"Je vais me marier, papa."
Papa :
"Oh ! C'est merveilleux ! Qui est l'heureux élu ?"

À nouveau, ma gorge se noue. Qu'est-ce que ça change pour lui, de savoir "qui" j'ai choisi ? Il ne connaît personne de mon entourage…

Bisy :
"Elle s'appelle Mathilde. Elle travaille avec moi chez Carter Corp."
Papa :
"Carter Corp ?"

Je soupire et tente de ne pas craquer. Bien sûr, il ne sait pas où je travaille.

Bisy :
"Tu sais, je travaille dans une firme à New York. Au marketing, communication..."
Papa :
"Oh... Et tu t'y plais ?"
Bisy :
"Oui."

(Mon dieu, que cette conversation me paraît superficielle !)

Papa :
"Eh bien je suis très heureux pour toi. Je suis sûr que ce doit être une femme bien, sinon tu n'aurais pas accepté de l'épouser."
Bisy :
"Oui, c'est une femme très bien. La meilleure que je connais. Je ne suis pas habituée à t’en parler."

(Et si je peux envoyer un petit taquet, ce n'est pas plus mal.)

Silence à l'autre bout du fil : mon père accuse le coup.

Papa :
"Et quand aura lieu la cérémonie ?"
Bisy :
"Dans une dizaine de jours."
Papa :
"Oh ! Si tu veux bien de moi, je serai là."

(Je ne crois pas que ça dépende vraiment de moi...)

Mon père est si instable que je ne suis pas sûre qu'il arrive à tenir une promesse.

Bisy :
"J'aimerais beaucoup que tu sois là."

À nouveau, un silence pesant s'installe entre nous. J'entends mon père se racler la gorge.

Papa :
"Je te promets d’être là."

Ma gorge se serre, en entendant la belle promesse de mon père. Peut-être parce que j'ai envie d'y croire. Peut-être parce que j'ai envie de penser que mon père me fera passer avant ses occupations, pour une fois.

Bisy :
"J'espère que tu ne seras pas à l'autre bout du monde, cette fois."

Malaise au bout du fil.

Papa :
"Allez, tu recommences..."

Je n'aime pas le ton de sa remarque. Il me traite comme si j'étais une enfant gâtée qui resterait bloquée sur un événement révolu du passé.

Bisy :
"Je recommence quoi ... ? Qu'est-ce que tu connais de ma vie, papa ?"
Papa :
"Je ne connais que ce que tu veux bien partager avec moi."
Bisy :
"C'est trop facile !"

Un grognement lui échappe. Il y a fort à parier que notre échange va se terminer de cette façon. Comme d'habitude...

Papa :
"Tu peux m'appeler, toi aussi."

Oui, il a raison, je peux l'appeler.

Bisy :
"C'est ce que je fais aujourd'hui. À quand remonte ton dernier appel ... ? Tu te rends compte que si je n'appelais pas, on ne se parlerait ?"

C'est parti pour tour... Je sais que je me fais du mal, à chaque fois, mais je ne peux pas m'en empêcher, je lui en veux trop...

Papa :
"Laisse-moi une chance. Fais-moi confiance. Je serai là."

Je dois dire que je suis surprise. Je ne m'attendais pas à ce qu'il baisse la garde, pour une fois.

Bisy :
"D'accord."

Lorsque je raccroche, j'essuie mes larmes. Je ne me suis même pas aperçue que je pleurais. Je suis encore dans mon lit lorsque j'entends la clef dans la serrure de la porte d'entrée.

Mathilde :
"Je suis de retour avec des croissants tout chauds !"

Topaze jappe dans le couloir. Ses pas se rapprochent, accompagnés du bruit d'un sachet en papier.

Mathilde :
"Tu dors encore ? Tu devrais te réveiller, j'ai..."

Elle pousse la porte de ma chambre et ses sourcils se froncent, lorsqu'elle m'aperçoit. Toute la joie contenue dans sa voix disparaît pour laisser place à une profonde inquiétude.

Mathilde :
"Miss Mystère ?"

Je m'empresse d'essuyer les dernières larmes sur mes joues, mais un sanglot m'échappe à nouveau. Elle lâche le sachet de croissants qu'elle tenait dans les mains et se précipite sur moi. Je suis émue par sa réaction et je me force à sourire pour qu'elle ne se fasse pas des films. Elle est à fleur de peau, en ce moment. La moindre étincelle peut la mettre dans un état d'inquiétude extrême. Mais mon sourire factice n'est pas très efficace. Elle n'est pas dupe.

Mathilde :
"Qu'est-ce qui se passe ? C'est à propos du mariage ? Tu as peur ? Tu as changé d'avis ?"

Je ne peux m'empêcher d'émettre un léger rire amusé, mais, en même temps, je m'en veux de l'inquiéter pour rien.

Miss Mystère :
"Mais non, imbécile ! Pourquoi je changerais d'avis alors que tu me ramènes des croissants tout chauds au lit ? Tu es la femme parfaite."

Sauf que Topaze vient de se précipiter sur le sachet qui gît au sol.

(Mes croissants ! Sale bête !)

Miss Mystère :
"Peut-être pas si idéal que ça, finalement !"

Je rigole et elle récupère ce qu'il reste des viennoiseries... des miettes. Elle se rassied au bord du lit. Malgré le sourire que j'affiche, elle semble toujours inquiète.

Mathilde :
"Qu'est-ce qu'il y a princesse ... ? Pourquoi tu pleures ?"
Miss Mystère :
"C'est juste que... j'ai appelé mon père pour lui annoncer la nouvelle. Et... enfin... lui et moi, c'est compliqué, tu sais..."

Elle pousse un profond soupir. Elle semble profondément peinée de me voir si mal. Des sanglots obstruent à nouveau ma gorge et elle me prend dans ses bras. Je love mon visage au creux de son épaule. Son parfum me réconforte instantanément.

Mathilde :
"C'est bien que vous ayez parlé, tous les deux."
Miss Mystère :
"Je sais pas... Tu crois qu'il va venir ?"
Mathilde :
"J'en suis sûr. Tu comptes pour lui. Il est juste... maladroit."

Elle cherche avant tout mon bonheur. Je suis touchée qu'elle essaie d'arrondir les angles avec mon père.

Miss Mystère :
"Merci. Merci de m'aider."
Mathilde :
"Je suis là pour ça. Il te reste un de tes parents comme témoin de notre union. Dis-toi que c'est une chance."

Je retiens mon souffle. Elle n'aura pas cette chance-là. Quelle idiote je fais !

Mathilde :
"J'espère que je lui plairais."
Miss Mystère :
"Tu te fais du souci pour ça ?"`

(C'est trop chou ! Je ne pensais pas qu'elle craignait de ne pas plaire à ma famille.)

Mathilde :
"Je pas fait les choses dans les règles ? J'aurais peut-être dû lui demander ta main ou un truc dans le genre."

Je regarde ma fiancée, pas certaine de savoir si je dois rire ou pleurer.

Mathilde :
"Les parents, tout ça, comment ça marche, bref, c'est pas mon truc. J'ai pas vraiment l'habitude."

Je plonge ma main dans la sienne.

Miss Mystère :
"T'as pas de souci à te faire pour mon père. Il va t'adorer, puisque je t'adore, moi. Il y a un au truc dont je dois te parler."
Mathilde :
"Dis-moi tout mon amour."
Miss Mystère :
"Voilà, ce n’est pas facile à dire ni à entendre. Là tu vois, j’ai un peu l’impression de t’avoir trahie depuis le début !"

Son visage montre sa soudaine inquiétude. Elle s’approche de moi et je lui prend les mains.

Mathilde :
"Pourquoi dis-tu cela ? Tu me fais peur là…"

Elles se regardent au fond des yeux … qui lentement se mouillent de larmes. Entre deux sanglots...

Miss Mystère :
"Voilà… le jour de notre mariage… j’aimerai qu’on utilise mon vrai prénom… Bisy…"

J'éclate alors en lourds sanglots. Mathilde la prend dans ses bras tout en lui caressant le dos et les cheveux avec tendresse.
Bisy fini par se calmer, les deux femmes s’écartent et échangent un sourire, d’abord timide puis de plus en plus lumineux.

Mathilde :
"Pour quoi tu ne m’en as parlé avant espèce de bêta ?!"

Avec un pauvre sourire
Bisy :
"Je n’ai jamais aimé ce prénom, mais, si nous nous marions…"

Tout en déposant un baiser sur mes lèvres.

Mathilde :
"Bon allez… sèche tes larmes… Bisy… et puis sache, que si toi tu ne l’aimes pas ton prénom, moi, il me plaît bien."

Elle me sourit et semble reprendre de l'assurance. Il faut que je lui parle de Lola. Lui faire part de ma décision n'est pas qu'une formalité. Mathilde sera ravie. Elle adore Lola.

Bisy :
"En parlant de faire les choses dans les règles, il nous faut des témoins. J'ai pensé que Lola pourrait être la mienne."

Elle fronce les sourcils, l'air préoccupé. Pendant quelques secondes, je crains de devoir argumenter mon choix.

Bisy :
"T'as pas l'air ravi ?"

Elle écarquille les yeux et semble reprendre ses esprits

Mathilde :
"Hein ? Si ! Lola sera parfaite. C'est une super idée, princesse."

Je suis soulagée. J'aurais besoin d'elle à mes côtés.

Bisy :
"Qu'est-ce qu'il y a alors ? Pourquoi tu fais cette tête ?"
Mathilde :
Il me faut un témoin aussi. Et je sais pas qui choisir..."
Bisy :
"Tu penses à qui ?"
Mathilde :
"Daryl. Ou Colin."

(Évidemment ! Que je suis tarte !)

Je demeure silencieuse un moment et elle s'en aperçoit rapidement.

Mathilde :
"T'en penses quoi ?"

(Et mince ! Sujet glissant !)

Je me vois mal lui conseiller Daryl, après ce qui s'est passé... Je suis obligée de lui donner mon avis, de toute façon. Autant y aller franco.

Bisy :
"Je sais pas... Daryl est ton frère, mais tu es très proche de Colin..."

Elle réfléchit et acquiesce.

Mathilde :
"C'est ça. Avec mon frère c'est compliqué... Je sais pas dans quelle phase il sera à ce moment-là, et j'ai pas envie qu'il gâche la fête, tu vois..."

(Oh je vois très bien ! Déjà que j'appréhende sa réaction quand il apprendra pour notre mariage !)

Elle m'a déclaré ses sentiments et voilà que je vais épouser son frère... Je me sens franchement mal pour lui. Je ne changerais mon bonheur contre rien au monde, mais savoir que celui-ci causera de la peine à quelqu'un que j'aime beaucoup me brise le cœur. Peut-être que la seule chose que je peux faire pour ne pas amplifier sa peine, c'est empêcher Mathilde de le choisir comme témoin. Assister au mariage de la femme qu'on aime est une chose atroce, mais, en plus, être le garant de leur amour est d'une cruauté sans nom.

Bisy :
"Effectivement je sais pas si ton frère est le mieux placé pour être témoin de notre mariage."
Mathilde :
"Qu'est-ce qui te fait dire ça ?"
Bisy :
"Il est pas vraiment du genre romantique et j'ai un peu peur de ses réactions. Vous êtes pas toujours sur la même longueur d'onde, tous les deux..."
Mathilde :
"Je vais encore réfléchir, mais je crois que Colin fera un meilleur témoin."

(Je me sens mal d'être soulagée...)

Pourtant je suis convaincue que Daryl ne ferait pas d'esclandre, s'il était choisi comme témoin. Il se comporterait normalement, pour ne pas dévoiler ses sentiments aux yeux de sa sœur, c'est certain. Mais, à cause de l'affection que j'ai pour lui, je préfère qu'il n'ait pas à subir cette situation. Faire semblant n'est pas si naturel pour les Ortega. Ils sont trop francs, trop sincères et téméraires.

Mathilde :
"Mais je me sens mal pour mon frère. Il risque de me reprocher de pas le choisir, lui."
Bisy :
"Ne te tracasse pas avec ça. C'est toi qui décides. C'est ton mariage, t'as pas à culpabiliser pour lui."

(Si tu savais à quel point je culpabilise déjà pour nous deux !)

Mathilde :
"T'as raison. C'est notre moment à nous. Il faut que je profite et que j'arrête de penser aux autres..."
Bisy :
"Exactement !"
Mathilde :
"Et je devrais commencer tout de suite."

Je lève un sourcil, curieuse de comprendre ce qu'elle veut dire.

Bisy :
"Commencer quoi ?"

Elle s'avance comme une prédatrice vers moi, à quatre pattes, sur le lit. Je déglutis, devant son regard, enflammé.

Mathilde :
"Commencer à penser à moi, à nous et ce qui nous fait envie. Et là, tout de suite, tu sais ce qui me fait envie ?"
Bisy :
"Un croissant chaud ?"

Elle se met à rire aussi, en sachant pertinemment que je la charrie.

Mathilde :
"Un croissant chaud arrive pas à la hauteur de ce que je veux vraiment."

Elle pointe son index sur mes lèvres et je mordille tendrement la partie la plus charnue de son doigt.

Bisy :
"Et si je te disais non jusqu'à la nuit de noces ... ?"

Un clin d'œil prononcé souligne ma plaisanterie, mais elle semble apprécier cette proposition.

Mathilde :
"C'est une réflexion alléchante. Plus c'est long, plus c'est ... à ce qu'il paraît !"

Imaginer qu'elle arrive à faire abstinence pendant dix jours, me fait doucement rire. J'y crois pas une seule seconde.

Bisy :
"Tu parles sérieusement ?"
Mathilde :
"Oui, bien sûr."
Bisy :
"Sérieusement ? Je suis sûre de tenir jusqu'à ce soir, de toute façon. Surtout si je peux pas compenser par la bouffe !"

(Topaze, tu deviens mon pire ennemi à partir d'aujourd'hui... Mes croissants !)

Mathilde :
"Si on tient jusqu'à ce soir, il faudra prolonger jusqu'à demain, parce que j'ai un truc de prévu..."
Bisy :
"Tant mieux, je comptais passer la soirée avec Lola, pour lui parler de la bonne nouvelle."
Mathilde :
"Ok, parfait !"

(Parfait ? Abstinence validée ? Hors de question ! Où est passée ma bad girl torride ?)

Je l'agrippe par le cou et l'embrasse férocement.

Bisy :
"À bas les proverbes et les paris ridicules !"

Mes mains partent en exploration sur son fessier rebondi et musclé. Elle est chatouilleuse, contracte ses muscles, sous mes assauts de sensualité.

Bisy :
"Je te laisserai pas le choix ; tu es à moi."

Sa réaction ne se fait pas attendre. Nous sommes d'accord.

Mathilde :
"Qui t'a dit que je pourrais tenir plus de cinq minutes sans goûter à cette bouche..."

Sa langue passe sur mes lèvres avant de se délecter de notre baiser.

Mathilde :
"À cette langue..."

Elle plonge sa dégustation le long de mon cou.

Mathilde :
"À cette nuque..."

Ses mains froides glissent sous ma chemise de nuit. Je frémis d'impatience, en devinant la suite.

Mathilde :
"À ce corps de... Sérieux ! Ma future femme est sexy !"

J'éclate de rire, mais elle plonge un regard fiévreux sur moi, et je n'ai plus du tout envie de me marrer.

Bisy :
"Cesse de parler... Les cinq minutes vont bientôt se terminer."

Elle arque un sourcil amusé et plonge sous les draps, pour déguster les mets restants. …

Quand j'arrive au bar, j'aperçois Lola, un cocktail à la main. Je l'appelle aussitôt pour lui signifier ma présence. Elle pose son verre avec précipitation, manquant de s'étouffer avec son breuvage. Elle se jette dans mes bras et me coupe le souffle, tant son étreinte est dynamique !

Lola :
"Regardez-moi la future mariée ! J'en reviens pas !"

Son sourire flamboyant me va droit au cœur ! Elle est enthousiaste et heureuse pour moi. Tout le monde nous regarde avec des yeux ronds. En temps normal, je ne suis pas trop du genre à étaler ma vie privée aux yeux de tous. Mais là, j'ai envie de me pavaner et de crier à tous les clients que je vais me marier !

Bisy :
"Eh oui, c'est moi l'heureuse élue !"
Lola :
"Je t'attendais pour trinquer."

Elle avale cul sec son cocktail sous mes yeux ébahis. Elle repose son verre vide et hèle le serveur.

Lola :
"Champagne ! Il faut fêter ça comme il se doit."

J'approuve à cent pour cent en opinant du chef.

Lola :
"Montre !"

Je sais tout de suite à quoi elle fait allusion. Je tends ma main au-dessus de la table, encaissant dans mes doigts le rythme de la musique.

Lola :
"Putain ! Elle a assuré !"

Nos regards se croisent et nous éclatons de rire sans pouvoir nous arrêter.

Lola :
"Non, mais, sérieux ! C'est ouf ! Ma copine va se marier !"

L'euphorie sur laquelle je plane me fait monter les larmes aux yeux. Elle me saisit la main, pour détailler ma bague de fiançailles. Je la connais déjà par cœur. Depuis hier soir, je la détaille méticuleusement. Je pourrais la dessiner les yeux fermés... en fait, non, j'étais nulle en arts plastiques à l'école. En tout cas, elle est magnifique, discrète, mais travaillée avec soin. Elle reprend peu à peu son sérieux et me parle avec beaucoup de sincérité.

Lola :
"Je suis vraiment heureuse pour vous deux. Mathilde est quelqu'un de bien. Tu le mérites. Et c'est une sacrée veinarde de l'avoir."

C'est le bon moment pour lui faire part de ma décision. D'un côté, il y a la demande en mariage, gage de l'amour, et de l'autre la demande d'en être le témoin, gage de l'amitié.

Bisy :
"Je veux que tu sois mon témoin. Enfin si tu acceptes, bien sûr."

Mon amie cligne des paupières plusieurs fois d'affilée. Ses prunelles s'humidifient et je sens l'émotion me submerger à mon tour.

Lola :
"C'est pas vrai ? Tu veux que je sois ton témoin ?"
Bisy :
"Ben oui, andouille ! Qui d'autre ? T'es la première à qui j'ai parlé de mon attirance pour Mathilde."
Lola :
"Et j'écoute tes blablas depuis le début... Je mérite une médaille !"

Les larmes se mêlent à nos rires. J'ai besoin de sceller cette demande par un gros câlin. Elle est surprise par mon geste d'affection, mais mon envie de discrétion est plus forte. Au creux de son épaule, je peux déverser mes émotions, à l'abri des regards. Elle s'écarte ensuite de moi, pour frapper ses paumes l'une contre l'autre.

Lola :
"Oh mon Dieu ! C'est donc moi qui ai l'honneur de préparer ton enterrement de vie de jeune fille !"

(Oh non, pas ça ! Et si je changeais d'avis pour mon témoin ?)

Elle jubile et son euphorie grandissante n'est pas près de me rassurer.

Bisy :
"Quel dommage ! En moins de deux semaines, t'auras pas le temps de préparer quoi que ce soit. Oublions tout ça !"
Lola :
"Tu rigoles ou quoi ? C'est un défi qui me tient à cœur. Je compte bien assumer mon rôle de témoin, ma chérie."

(Je suis foutue !)

Lola :
"J'hésite, entre un gogo danser, ou un gigolo ? Les deux, c'est mieux."
Bisy :
"J'aurai besoin de ton temps libre pour autre chose."
Lola :
"Crème chantilly ou chocolat fondu ?"

Il faut quelques secondes de réflexion à mon témoin, avant qu'elle réalise le sens de mes dernières paroles.

Lola :
"Oh mon Dieu ! Ta robe ? Il faut qu'on s'en occupe tout de suite !"

Elle se lève d'un bon, prétexte à en découdre avec le temps qui nous reste.

Bisy :
"Il fait nuit, ça m'étonnerait qu'on trouve un magasin ouvert !"
Lola :
"Je vais aller aux toilettes. Tous ces cocktails et cette excitation ont eu raison de ma vessie. Mais j'en ai pas fini avec toi, future Madame Ortega ! Bouge pas, je reviens !"

(Madame Ortega ! Madame Ortega !)

Je ne risque pas de bouger : "Madame Ortega" me cloue sur place et plonge dans mes pensées. Aucune hésitation : Bisy Ortega me va comme un gant. Oh oui !

Le lendemain soir, même après une journée de boulot, je suis toujours sur mon petit nuage. Cet état euphorique ne diminue pas lorsque je vois Mathilde. En bas du bureau, elle est adossée contre sa cylindrée. Ses cheveux en bataille et sa veste en cuir sur les épaules lui donnent un look absolument irrésistible. Sincèrement, il faudrait être aveugle pour ne pas se prendre son charme en pleine figure. Et dire que cette belle gosse est à moi. À MOI ! Ses yeux se posent sur moi, dès que je franchis les portes du hall. D'aussi loin qu'elle est, je la sens me déshabiller du regard. Elle n'y a qu'elle qui existe, à ce moment précis. Plus rien n'a d'importance. Je suis prisonnière de son regard. Et j'aime ça. Esclave de son aura, et ça me va. C'est fou ce qu'un simple regard peut être chargé de promesses lubriques... Je suis fière et heureuse d'être sa future femme. Plus rien ne me préoccupe, jusqu'à ce qu'elle m'annonce la raison de sa venue.

Mathilde :
"Je voudrais qu'on aille chez mon frère, pour lui annoncer."
Bisy :
"Tu lui as pas encore dit ?"
Mathilde :
"Non, j'attendais qu'on soit ensemble."
Bisy :
"D'accord."

Ma réponse n'est qu'un souffle à peine audible. Je ne peux rien dire d'autre, par peur d'éveiller ses soupçons. J'enfile le casque rapidement. J'aurais préféré faire l'impasse sur la situation. Je n'ai pas envie de voir en direct la réaction de Daryl, et surtout son regard sur moi en apprenant la nouvelle. J'ai peur de voir dans ses yeux toute la peine et la déception d'un amour qui lui sera toujours refusé. Est-ce que je pourrai supporter le sentiment de culpabilité qui tombera sur mes épaules ? J'aurais préféré égoïstement faire l'autruche pour ne pas affronter mes responsabilités... Quand j'enlève mon casque, dans la cour de son frère, elle remarque mon inquiétude.

Mathilde :
"Tout va bien, princesse ? T'es toute pâle."

Je feins de sourire, en secouant mes cheveux. Vaine tentative de la détourner de mon malaise.

Bisy :
"Oui, oui, ça va. C'est juste que... j'arrête pas de penser à Gabriel. Il n'a pas encore rendu sa décision pour ton poste et je m'inquiète pour toi."

(Ouf ! je ne sais pas d'où cette idée m'est venue, mais je remercie mon esprit pour sa réactivité.)

Elle m'embrasse sur le front. Ses doigts cheminent sur mon bras avec une douceur réconfortante.

Mathilde :
"T'es trop mignonne de penser à moi comme ça ! Mais est-ce que je m'inquiète, moi ?"

Je fais semblant de m'inquiéter. En vérité, c'est l'homme derrière les murs de cette villa qui me pose des soucis.

Bisy :
"Je sais pas, tu t'inquiètes pas ?"
Mathilde :
"J'ai d'autres choses à penser plus importantes à mes yeux. Du travail, il en manque pas à New-York."

Son frère apparaît sur la terrasse et une sensation très désagréable s'insinue dans mon cœur.

Daryl :
"Salut ! Que me vaut votre visite surprise ?"

Elle glisse ses doigts entre les miens et se retourne vers son frère, un sourire lumineux aux lèvres.

Mathilde :
"Une bonne nouvelle."

Je ne suis que l'ombre de moi-même. Mon cœur pique un sprint et une lame glacée lèche mon dos.

Daryl :
"Ah oui ? Des nouvelles de la police ?"
Mathilde :
"Mieux que ça !"

Il plonge son regard dans le mien. Je n'arrive plus à faire semblant que tout va bien. Je baisse les yeux vers le sol. Je ne peux supporter ni le regard de ma fiancée, ni celui de son frère. Je me sens sale, mauvaise, et un sentiment de honte m'enveloppe comme une couverture de survie. Il nous fait entrer chez lui et nous propose quelque chose à boire. Je saute sur l'occasion pour étancher ma gorge asséchée. En vain. Nous sommes tous les trois assis sur le sofa. La sentence va tomber...

Daryl :
"Alors ? Qu'est-ce que vous aviez à me dire ?"
Mathilde :
"Miss Mystère, ou plutôt devrais-je dire Bisy a accepté d’être ma femme. On se marie dans une dizaine de jours."

(Mon Dieu ! Et s'il se mettait à crier ? Et s'il s'opposait à notre mariage ? Et s'il dévoilait son secret à Mathilde ?)

Je me concentre sur le visage de son frère, car j'ai peur de tomber dans les pommes, tellement je me sens mal à l'aise. Mais Daryl ne cille pas une seule fois. Il affiche même un sourire franc à sa sœur.

Daryl :
"Félicitations ! C'est une bonne nouvelle."

Il se lève pour étreindre sa sœur. Il lui donne même quelques tapes dans le dos.

Daryl :
"Je suis content pour toi, sœurette. Tu as beaucoup de chance d'avoir rencontré Bisy. D'ailleurs pourquoi ce prénom ?"

Mathilde :
"C’est tout simple ça mère ne s’attendais pas du tout à être enceinte. Elle a fait un déni de grossesse. Ils ont dû choisir un prénom en urgence le jour de l’accouchement. En regardant le calendrier c’était la saint Bisy, donc, ils l’ont appelé Bisy."

Je suis tellement soulagée ! Il semble vraiment heureux pour sa sœur. Est-ce qu'il se serait fait une raison, à propos de nous ?
C'est ma future moitié qui nous sauve en déclarant...

Mathilde :
"On veut faire ça en petit comité."
Daryl :
"Dommage, j'aurais pu vous avoir le meilleur rappeur du moment."
Mathilde :
"Je crois pas que Joe fasse dans les mariages."

Les deux ricanent. Je n'en reviens pas. Lorsque le regard de son frère se pose sur moi, je n'arrive pas à lire l'émotion qui le traverse. Quand il s'approche de moi, je ne sais pas trop quoi faire. Nos gestes sont un peu hésitants, mais il finit par m'étreindre chaleureusement. Il me semble qu'il murmure quelque chose à mon oreille, mais mon cœur bat tellement fort dans mes tempes que je ne saisis pas.

Daryl :
"Vous restez manger ? On doit fêter ça."

Le repas se passe normalement. Personne ne reparle du mariage. Je ne peux pas croire que ce soit pas le sujet principal. Si ma sœur jumelle se mariait, je ne parlerais que de ça. À moins, bien sûr, que, tout le tralala autour du mariage ne soit qu'un truc typiquement... Il se lève en direction de la terrasse pour aller prendre l'air. Je saute sur l'occasion.

Bisy :
"Je viens avec toi."

Je jette un coup d'œil rapide à Mathilde, pour m'assurer qu'elle ne trouve pas étrange ma soudaine envie de prendre l'air. J'ai peur qu'elle se doute de mon stratagème, mais elle me regarde pas. Elle est dans la lune, comme ça lui arrive souvent. Je dépose un baisersur le front de ma fiancée, défroisse ma jupe et me lance à la poursuite de son frère. Je n'ai pas beaucoup de temps pour obtenir des réponses, donc je vais devoir être directe.

Bisy :
"T'as rien dit à propos de notre mariage."

Il me toise un instant, sans rien dire.

Daryl :
"Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? T'es pas heureuse de te marier ?"

Sa voix est égale et son expression, indéchiffrable.

Bisy :
"Je suis comblée, oui."

C'est la stricte vérité, et il doit la connaître, même si elle doit être douloureuse pour lui. J'aime Mathilde, je l'ai toujours revendiqué.

Daryl :
"Alors je suis content pour toi."

Il a l'air sincère. Pourtant j'ai du mal à le croire.

Bisy :
"T'es pas obligé de faire semblant avec moi."

Il émet un léger rire et hausse les épaules avec nonchalance.

Daryl :
"Je te cache rien... Ce que je t'ai dit l'autre jour, c'était vrai. Mais si t'es heureuse, c'est tout ce qui compte."

Je suis profondément émue par ses propos. M'aime-t-il au point de vouloir mon bonheur avant le sien ? Ou n'est-ce qu'un mensonge supplémentaire ?

Bisy :
"J'aurais préféré que les choses se passent autrement. J'ai jamais souhaité te faire du mal."

Il pousse un soupir qui me déchire le cœur, même s'il est discret.

Daryl :
"Et moi j'aurais aimé être celui qui t'aurait aimé ... ma sœur a beaucoup de chance. J'espère seulement que cette idiote le réalise."

Il a bien des travers, mais c'est un homme sincère. Il dit la vérité, et ses paroles sont toujours courageuses. Encore une fois, il me prouve sa bonté. Celle qu'il cherche toujours à cacher. Il est heureux pour ma fiancée.

Daryl :
"Hey ! Fais pas cette tête. Tu vas te marier !"

Il m'adresse un sourire en coin et penche la tête en arrière, pour profiter de l'air frais du soir.

Daryl :
"Mon imbécile de sœur à décrocher le pompon. Qu'elle en profite, avant que je me venge !"

Il lève les yeux au ciel et commence à se marrer.

Bisy :
"Te venger ?"
Daryl :
"Attends que je m'occupe de son enterrement de vie de jeune fille ! Elle va en baver, je te le promets."

(Oh merde...)

Il s'imagine être son témoin. Comment lui dire la vérité ? Après toute l'ambiguïté de nos liens, je pensais qu'il ne voudrait jamais être le témoin de sa sœur à notre mariage ! Mais je me suis plantée en beauté !

Daryl :
"Y a un autre problème ?
Bisy :
"Je suis désolée, mais je crois qu'elle n'a pas encore choisi son témoin..."

Ses épaules s'affaissent et j'aperçois les angles de sa mâchoire se contracter.

Bisy :
"C'est qu'avec vos antécédents, elle a du mal à ..."

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase. Il passe à côté de moi sans me répondre. Les sourcils froncés et les lèvres pincées, il regagne le salon.

(Et merde, je crois que j'ai perdu une occasion de me taire !)

Je m'empresse de le suivre dans le salon. Je le vois s'asseoir avec désinvolture. Il place l'index sur sa lèvre supérieure et toise sa sœur.

Daryl :
"Et sinon, t'as choisi ton témoin ?"

Elle m'adresse un regard furtif, mais n'a pas vraiment le temps de comprendre mon "désolée" silencieux. Son frère la fixe avec insistance, donc elle ne peut que lui répondre immédiatement. Elle se montre gênée un instant, puis redresse les épaules pour assumer son choix.

Mathilde :
"J'ai pensé à Colin."

Il sourit avec fierté. Je sens poindre une colère imminente dans ses épaules tendues.

Daryl :
"Super."

Je n'ai pas envie qu'ils se disputent et gâchent la soirée.

Bisy :
"Elle a fait son choix après y avoir longuement réfléchi."
Mathilde :
"Laisse tomber, princesse. Il est pire qu'un enfant gâté."

Il lâche un ricanement mauvais.

Daryl :
"Ça m'aurait étonné que tu choisisses ton frangin ! Toujours cette vieille rancune, hein ... ?"

Si elle était sur la réserve, jusque-là, la réplique de son frère agit sur lui comme une détonation.Elle penche la tête sur le côté, fronce les sourcils. Une étincelle furieuse éclaire ses pupilles.

Mathilde :
"T'insinue quoi, au juste ? J'ai des bonnes raisons pour avoir choisi Colin. Tu penses quoi ? Que t'es mieux placé que lui ?"
Daryl :
"Donc t'as choisi ! T'es pas obligé de me ménager, sœurette. Si tu veux choisir cette tête de mort comme témoin et pas ton frère, c'est ton choix."
Mathilde :
"Peut-être que si t'avais été un vrai frangin avec moi, je t'aurais choisi comme témoin."

La dernière chose à faire, quand ces deux-là se foutent sur la gueule, c'est de chercher à les raisonner. Ils sont plus têtus que des mules !

Bisy :
"Vous allez vraiment vous pourrir la gueule, alors qu'on parle de notre mariage ... ?"
Daryl :
"Non, t'as raison. Ma frangine est une putain d'ingrate. Qu'est-ce que ça peut me foutre après tout."
Mathilde :
"Une ingrate ? Putain, mais, va te faire foutre !"

Elle balance les mains en l'air, et fais mine de se lever. Je la retiens, en posant ma main sur son genou.

Daryl :
"Les liens du sang, ça te dit rien ? Après tout ce que j'ai fait pour toi..."
Mathilde :
"Ah ouais, j'oubliais tout ce que t'as fait pour moi ... Embrasser ma future femme par exemple !"

Il lève les bras au ciel.

Daryl :
"Voiiiiiiilà, on y arrive ! Bravo sœurette ! et sinon... Tu vas me le reprocher toute ta vie ?"
Mathilde :
"C'est toi qui as remis ça sur le tapis, en parlant de rancune. J'essaie de t'accorder ma confiance, mais t'en parles encore !"

J'ai besoin de boire un coup, pour tenter de calmer mes tensions. Je n'ai rien d'autre à faire, de toute façon. Personne ne m'écoute. À croire que je suis transparente. Je crains le pire, si la conversation se prolonge au sujet de ma personne.

Mathilde :
"T'en reparles sans arrêt, comme si embrasser ma fiancée était toujours dans ton esprit ? Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux ma femme ?"

(Oh putain ! Je vais crever sur place.)

Les deux jumeaux sont clairement sous tension. Si je les laisse faire, ils vont finir par se taper dessus.

Bisy :
"Bon, ça va les batailles de testostérone et d'œstrogène, ça suffit maintenant !"
Daryl :
T'as peur qu'on se mette sur la gueule ? T'inquiètes, ça serait pas la première ni la dernière fois."

Elle s'est levée et il a suivi le mouvement. Les deux se toisent, à seulement quelques centimètres l'un de l'autre.

Mathilde :
"Hein, mon frère ? C'est ma femme que tu veux ?"

Mon cœur bat la chamade. Le ton est monté trop haut, les esprits s'échauffent. J'ai peur que les événements tournent mal.

Daryl :
"Rien à voir avec Bisy ! Tu délires ... !"
Mathilde :
"Alors pourquoi tu la ramènes tout le temps ? Tu pouvais pas seulement être heureux pour moi, hein ? Faut que tu foutes ta merde !"

Elle rassemble ses affaires et m'attrape par la main.

Mathilde :
"Je suis venu partager ma joie avec toi et tu gâches tout. Je regrette pas mon choix. Colin est heureux pour moi, lui."

Un sentiment de tristesse m'envahit. J'ai autant de peine pour ces deux-là.

Mathilde :
"Viens, on se barre !"

Je la rejoins rapidement, sans avoir pris le temps de lui dire au revoir.

Bisy :
"Il est vexé, c'est tout. Laisse-lui le temps de comprendre ton choix."
Mathilde :
"Je m'en tape ! Qu'il soit content ou pas, ça changera rien."

Nous repartons, le cœur lourd... Nous rentrons à l'appartement en silence. Je n'ose pas aborder le sujet avec elle. J'attends de voir si elle veut m'en parler. Intérieurement, je prie pour qu'elle me confie ses ressentiments, à propos de cette soirée.

(C'est ce que font les couples mariés, non ?)

La communication est le ciment du couple, il paraît. Nous avons du boulot de ce côté-là, avec elle ! Elle me rejoint dans le lit. Elle s'installe et écarte ses bras pour que je puisse me blottir contre elle. Son parfum boisé est un excellent remède contre mes préoccupations. Elle me permet de m'évader dans un monde de tendresse et de réconfort. Je pose un baiser sur sa poitrine nue et relevé la tête vers son visage. Elle m'adresse un regard plein de tendresse et pousse un profond soupir.

Mathilde :
"Je déteste cette façon qu'il a de tout gâcher. Je déteste aussi ma façon de toujours attendre autre chose de lui."

(Elle me parle de ce qu'elle ressent ? Je me suis endormie ? Je rêve déjà ?)

Mathilde :
"Mais je dois me rendre à l'évidence, il fout toujours la merde !"

Je suis un peu gênée. Si Daryl a réagi comme cela, c'est évidemment de ma faute. Mais je me vois mal lui expliquer...

Bisy :
"Je suis désolée... Mais il ne faut pas lui en vouloir. Essaie de le comprendre un peu."

Elle est étrangement calme. Ses doigts caressent mes cheveux avec douceur.

Bisy :
"Tu sais bien que votre relation est compliquée. Mais tu sais aussi que vous tenez l'une à l'autre, malgré tout."

Je me souviens très bien de son état, pendant que son frère était inconscient à l'hôpital. Je sais très bien qu'elle aime son frère.

Bisy :
"Tu le connais, non ? Il est juste vexé que tu l'aies pas choisi comme témoin. Alors il s'est emporté comme un connard suffisant."
Mathilde :
"Mouais... Au moins il m'a prouvé que j'ai eu raison de pas le choisir. C'est mon frère, merde ! Il aurait pu se montrer heureux pour moi."

J'en veux à Daryl d'avoir provoqué une dispute entre eux deux. Lui reprocher son choix de témoin n'est pas qu'un faux prétexte. En vérité, c'est mon choix d'épouser Mathilde qui contrarie son frère. Aurait-il réellement souhaité être le témoin de sa sœur ? J'en doute !

Mathilde :
"Si c'était lui qui m'avait annoncé son mariage, j'aurais été heureuse pour lui. Malgré notre passé, nos querelles, nos conneries..."
Bisy :
"Vous fonctionnez pas pareil... Ton frère est ce qu'il est. Il faut que tu le prennes dans son entier."
Mathilde :
"Je suis pas sûr d'en avoir encore envie, à force."
Bisy :
"Bien sûr que si ! Parce que, si c'était pas le cas, cette dispute entre vous te toucherait pas autant."
Mathilde :
"Mon frère est trop imprévisible. Je sais jamais si je peux compter sur lui ou pas."

Difficile de dire le contraire. Et encore elle sait pas tout...

Bisy :
"C'est sûr..."
Mathilde :
"Il risque de foudre le bordel, le jour du mariage. J'ai pas envie qu'il gâche notre journée."

Je m'inquiète. Nous nous marions dans moins de dix jours. Il faut que ces deux-là se réconcilient, sinon ils le regretteront.

Bisy :
"Tu comptes pas rester brouillé avec lui, quand même ?"
Mathilde :
"Non, j'ai vraiment envie qu'il vienne à mon mariage. C'est mon frère, aussi con qu'il soit."

Je pousse un soupir de soulagement, malgré le sentiment de culpabilité qui m'envahît. La tristesse me ronge et je ne sais plus quoi dire pour l'apaiser. Cette conversation tourne entrons. Elle a besoin de redescendre.

Bisy :
"On devrait dormir. La nuit porte conseil."
Mathilde :
"T'as raison."

Elle m’embrasse sur le front et me recouvre avec le drap.

Mathilde
"Bonne nuit princesse. Je t'aime."

Mon cœur bat à tout rompre. Plus que quelques mètres, et je sortirai de la voiture pour venir pour devenir Madame Ortega. C'est aujourd'hui que je me marie. C'est aujourd'hui !!!! Plus que quelques mètres... Je dois dire que je ne pensais pas qu'il était possible d'organiser un mariage en si peu de temps ! Sans l'aide de ma meilleure amie Lola, tout cela n'aurait pas été possible : trouver ma robe, la salle de réception, le traiteur... Cette fille est mon bon génie.

Bisy :
"Merci. Merci pour tout."

Je lui adresse un regard chargé d'émotions. Je sens que les larmes menacent de couler.

Lola :
"Tu plaisantes ! Je suis tellement heureuse pour vous !"

Nous nous sourions comme deux amies pour qui les mots deviennent superflus. Je peine à contenir le tissu de ma robe, dans le petit habitacle de la voiture de mon amie. Et j'en rigole nerveusement. Mais débarquer dans la Lamborghini de Daryl ne faisait pas partie de mes options.

Lola :
"Il va falloir y aller, ma belle !"

L'église apparaît devant mes yeux émus.

Bisy :
"Putain, je stresse, ça y est !"

Elle rigole doucement et pose une main sur la mienne.

Lola :
"T'inquiète pas, tu es magnifique ! Elle n'aura d'yeux que pour sa future femme."

(Sa future femme... Ces quelques mots résonnent en moi comme une douce mélodie.)

La graine du doute germe dans mon esprit. Et si tout cela va trop vite ? Est-ce que nous n'aurions pas dû attendre un peu ... J'en suis là de mes réflexions lorsqu'un évènement vient faire exploser ma bulle. Une voiture fonce droit sur nous ! Lola est obligée de braquer pour l'éviter !

Lola :
"Hey ! Mais il est taré, celui-là !!!"

Mon cœur fait un bon parce que je reconnais la voiture. C'est celle de... César ! Ce n'est pas possible ! Il est en prison ! Lui et tout son gang ! Comment ... Je n'ai pas le temps de poursuivre mes interrogations que des types balaises sortent de la voiture avec des armes !

(Mon Dieu, non !)

Des coups de feu retentissent. Ils tirent ! Ils tirent sur le parvis de l'église ! Lola et moi hurlons si fort que j'ai l'impression que mes tympans vont exploser ! Pitié, pas encore ! Lorsque les coups de feu s'arrêtent enfin, j'entends la voiture rugir comme une bête enragée et s'éloigner.

Bisy :
"Tout va bien ?"
Lola :
"Oui... Je crois..."

Lorsque je redresse le nez, je vois deux silhouettes étendues sur le sol, devant la porte de l'église... Je ne réfléchis pas et je sors de la voiture, le plus vite possible ! Je me prends les pieds dans ma robe, trébuche et m'étale par terre. Je ne sens pas la douleur des graviers qui égratignent ma peau. Je ne sens que celle qui broie ma poitrine.

Bisy :
"Mathildeeeee !!!"

Je me précipite sur le corps inanimé de ma bien-aimée !

Bisy :
"Non ! Non ! Non !"

Je m'écroule sur les genoux et tente de la secouer. Mes mains sont en sang ! Mathilde ne bouge pas ! Elle ne bouge plus !

Bisy :
"Me laisse pas... T'as pas le droit !"

Je suffoque ! Je manque d'oxygène ! L'agnosie est telle que je vais perdre connaissance !

???
"Bisy ! Hey ! Calme-toi, ma puce !"
Bisy :
"Me laisse pas Mathilde ! Mon Dieu ! Me laisse pas !"
Mathilde :
"Hey ! Princesse ! Je suis là !"

Je cligne plusieurs fois des yeux, encore sous le choc. Mon cœur bat à un rythme effréné ! Sa silhouette se dessine devant moi, dans l'obscurité de ma chambre. Je reprends peu à peu mon souffle lorsque je comprends que je viens de cauchemarder. Je me sens à la fois rassurée et ridicule.

Mathilde :
"C'était juste un mauvais rêve.... Calme-toi..."

Elle pose une main contre ma joue et m'attire contre elle. Je pose ma tête contre sa poitrine et je respire son odeur. Elle caresse doucement mes cheveux, pendant que je l'enlace comme si elle allait partir.

Mathilde :
"Je vais nulle part, princesse. Je suis là."

Les battements de mon cœur sont encore rapides, mais ils se calment doucement. Je déteste ce genre de rêve, tout semblait si réel ! Elle dépose un baiser sur mon crâne. Peu à peu je retrouve mon calme. Je ferme les yeux et sombre à nouveau dans le sommeil...

Le lendemain matin, au bureau, Gabriel demande à toute notre équipe de se réunir. Il convoque rarement tous les salariés en même temps. Qu'est-ce qu'il va bien vouloir annoncer ? Est-ce qu'il s'agit de Mathilde ? Depuis ma nuit mouvementée, j'ai tendance à psychoter et, à imaginer le pire... Est-ce que mon inconscient est en train de me prévenir que ma vie se prépare à être un véritable fiasco ? Ou est-ce que c'est juste ma plus grande peur ? Lorsqu’ il arrive dans l'open space, son regard se pose sur moi.

Gabriel :
"Bonjour à toutes et à tous."

Il se cale contre un bureau et pose les paumes de ses mains contre la tranche du meuble. Il prend un ton très professionnel.

Gabriel :
"Si je vous ai demandé de vous réunir, c'était pour vous faire part du départ de Mathilde. Elle quitte l'équipe."

C'est encore un de mes rêves, c'est ça ? Après le coup du mariage qui vire au drame, voilà que ma vie professionnelle prend l'eau, elle aussi. Bien joué, inconscient, mais, cette fois, tu ne m'auras pas ! Je suis perdue dans mes pensées. Je ne sais pas combien de temps j'ai voyagé dans mon esprit.

Gabriel :
"Nous serons contraints de remanier quelques binômes, en attendant le recrutement d'une personne qualifiée."

(Vu que je n'ai prévenu personne dans l'équipe que j'avais changé de prénom, je reste sur "Miss Mystère" )

Miss Mystère :
"Une personne qualifiée ?"

Les mots m'ont échappé. Les compétences de Mathilde sont indéniables. Tous les regards se tournent vers moi, pendant un court silence. Je déglutis sans rien ajouter. Le regard noir de mon manager est un rappel à l'ordre qui me frappe en face.

Gabriel :
"Tu veux intervenir ?"

Je suis gênée par la curiosité de plus en plus grande de l'assistance, face à cet échange entre lui et moi. Je risque probablement une mise à pied pour insubordination, si je pousse un coup de gueule en réunion, mais peu importe.

Miss Mystère :
"Oui. Une personne qualifiée comme Mathilde pour la remplacer, je trouve ça amusant."
Gabriel :
"Tu trouveras encore plus amusant de savoir qu'il y a beaucoup de personnes qualifiées qui attendent une place chez Carter Corp. ..."

Je ne peux pas me permettre de perdre mon travail, moi aussi. Là, tout de suite, le silence est mon meilleur allié. Il se racle la gorge et poursuit son discours.

Gabriel :
"Pour l'instant, reprenez votre travail normalement. Je vous tiendrai au courant des modalités à venir. Vous pouvez disposer."

(Normalement ? Quelle hypocrisie !)

Tout le monde se lève pour regagner son poste. Je me précipite vers mon bureau, avant de perdre le contrôle face à lui. Mais il m'interpelle.

Gabriel :
"Une minute s'il te plaît."

Je m'immobilise et pousse un profond soupir, avant de me retourner.

Gabriel :
"C'était une décision difficile à prendre, mais il le fallait, pour le business."

(Le business ! Le mal de notre siècle. À force de ne penser qu'à la rentabilité, on oublie d'être humain.)

Il se sent obligé de se justifier. C'est qu'il ne sent pas totalement tranquille, après avoir pris sa décision.

Gabriel :
"Tu le sais comme moi, elle est devenue ingérable, ces derniers temps."

Difficile de lui dire le contraire. Mais elle n'était pas la seule à laisser ses problèmes personnels déborder sur son travail. Moi aussi, j'ai eu des moments d'égarement. Il a toujours été compréhensif. Mais avec elle, c'est différent ? Je suis en colère ! Est-ce que Mathilde disait vrai, à propos des intentions de Gabriel à mon égard ? Il reprend vite son assurance, comme il sait si bien le faire. Il se redresse et m'adresse une accolade.

Gabriel :
"Je sais que tu aimais collaborer avec elle, mais ton travail sera meilleur sans elle."

(Vraiment ... ?)

C'est sous-estimer la source de motivation que représentait Mathilde au bureau. Au-delà d'une petite amie extraordinaire, il prive le service d'une collègue en or.

Gabriel :
"Tu te feras vite à son absence."

Je ne supporte plus son air supérieur. Je n'ai pas à me faire à son absence comme il le pense.

Miss Mystère :
"Nous allons nous marier."

C'est sorti, tout seul. Comme on lâche une bombe. Plusieurs regards indiscrets se sont tournés vers nous. J'aurais aimé un : "Merci pour ce beau cadeau de mariage", mais je m'abstiens. Sa réaction est impayable. Il est complètement sonné par la nouvelle. Son air ahuri me réjouit. Pensait-il qu'il suffirait de virer Mathilde de Carter Corp., pour l'éloigner de ma vie ? Ou peut-être qu'il se sent bien minable, maintenant !

Gabriel :
"Je... Eh bien... Félicitations."

Une fois n'est pas coutume, il en bafouille. Je pourrais me sentir puissante, ou satisfaite, de l'avoir mis en difficulté après son beau discours. Mais ce n'est pas le cas. Je fixe mon manager avec amertume.

Miss Mystère :
"Je ne crois pas que les félicitations soient de mise. Perdre son emploi a tendance à gâcher la fête."

Je ne lui laisse pas le temps de reprendre et rejoins mon box sans me retourner.

À la pause déjeuner, je me suis un peu calmée. Je profite du soleil new-yorkais sur la terrasse d'un café. J'ai eu ma fiancée au téléphone. Elle a su me rassurer, au sujet de son licenciement. Elle l'a appris le matin même et elle voulait me l'annoncer ce soir. Elle s'y attendait et elle ne regrette absolument pas d'avoir dit ses quatre vérités à Gabriel. Elle était même un peu amusée par le côté très officiel de l'annonce de notre manager. Pour elle ce licenciement est une bonne chose. Elle va lui permettre de commencer une nouvelle vie. Je trouve cette décision courageuse et je ne peux que l'encourager, puisque je fais toujours partie de ce changement. C'est une façon pour elle de tirer un trait sur le passé et d'aller de l'avant. La vie est trop courte pour être obligé de la subir. Maintenant, nous sommes fixés sur son sort. Ce n'est plus une équation inconnue, contrairement à sa relation avec son frère. Les tensions entre elle et son frère me préoccupent davantage, à présent. Notre mariage est imminent... La priorité est de réconcilier ces têtes de mules, une bonne fois pour toutes ! Je dois intervenir pour arranger la situation ou, sans ça, j'ai peur qu'il manque un jumeau à la fête. Si cela se produisait, je ne veux pas regretter de n'avoir rien fait, dans quelques années. Je dois appeler Daryl. Si Mathilde souhaite une nouvelle vie, loin de celle qu'elle avait avant, elle doit commencer par régler les problèmes avec son frère. La situation houleuse entre les deux jumeaux est la dernière épine sous sa plante de pied, je dois l'enlever pour avancer. Rien ne me fera raccrocher, avant que la situation ne soit réglée. Je me suis payé Gabriel aujourd'hui, je peux bien continuer sur ma lancée ! Je prends une profonde inspiration, pendant les tonalités. Je suis prête !

Daryl :
"Bisy ... ?"

Il paraît étonné par mon appel. Je ne vais pas passer par quatre chemins.

Bisy :
"Ouais, c'est moi... Écoute, je me sens mal à l'aise, depuis hier. Je sais que je t'en demande beaucoup, mais j'aimerais que tu fasses un effort. Pour ta sœur."

Il se racle la gorge, avec un agacement évident.

Daryl :
"J'ai pas de problème avec ma sœur. Change de disque, poulette."

Se voiler la face n'arrangera rien. Je suis agacée qu'il prétende ne pas être affecté par la situation.

Bisy :
"Toi et moi, on sait très bien quels sentiments tu m'as avoués, il y a peu de temps. C'est pas la peine de faire semblant."
Daryl :
"Ok. Tu veux que je fasse quoi ? Que je te dise que ma sœur a gagné ?"

(Je ne suis pas un lot à remporter... Mais je me contiens. Je sais qu'il vient d'enfiler sa combinaison de super connard pour se protéger.)

J'inspire un coup. La conversation ne va pas être facile. Mais je m'en doutais.

Daryl :
"Je vais passer à autre chose, t'inquiète pas. Je viendrai pas gâcher votre bonheur."
Bisy :
"Je m'inquiète pas pour ça..."
Daryl :
"T'es sûre ? Parce qu'on dirait que t'as vraiment la trouille que j'avoue à ma sœur les sentiments que j'ai pour toi."
Bisy :
"Non..."
Daryl :
"C'est bon, joue pas à ça avec moi ! Je suis pas débile. J'ai compris."

Son ton est sec et tranchant. Il a besoin de me repousser pour passer à autre chose. Je ne peux pas lui en vouloir.

Bisy :
"Je sais que c'est difficile pour toi, et pour te dire la vérité, je suis mal à l'aise, moi aussi."
Daryl :
"Quoi ? T'es mal de jouer les emmerdeuses ? C'est nouveau, ça..."
Bisy :
"Putain, mais arrête ! Je m'en veux de te faire du mal, tu piges pas ça ?!"
Daryl :
"Alors je vais te soulager ta conscience. Je t'en veux pas. Fais comme moi, passe à autre chose."
Bisy :
"Vraiment ?"

Je l'entends ricaner.

Daryl :
"Ouais. Vraiment. Et si ça peut te faire plaisir, je te promets de ne pas foutre le bordel le jour J. Mais ça veut pas dire que l'autre tête-de-mort est un témoin acceptable."
Bisy :
"Colin est pas le type le plus chaleureux du monde, mais c'est le meilleur ami de Mathilde. Si t'apprenais à le connaître, tu saurais que c'est..."
Daryl :
"Une porte de prison."
Bisy :
"Oh bon sang... ! Et moi qui croyais que ta sœur était le plus têtu de vous deux !"
Daryl :
"Avoue que son choix est complètement débile."
Bisy :
"Mais, t'aurais vraiment voulu être le témoin du mariage de ta sœur... avec moi ?"
Daryl :
"Je t'arrête tout de suite. Je suis pas le genre de mec à ramper devant ta porte ou à courir après ta caisse."

Je mentirais si je disais que ses propos ne me vexent pas. Je ne prétends pas être inoubliable ou irremplaçable, je cherche surtout à être compréhensive.

Bisy :
"J'ai pas dit ça, mais t'as le droit d'avoir de la peine ou de la rancœur."
Daryl :
"Ok. Tu veux que je te dise ? Tu deviens lourde, maintenant."

Je reste estomaquée par la sévérité de ses paroles.

Daryl :
"On n'a jamais été ensemble, alors il n'y a pas de problème, OK ?"

Certes, mais il y a quand même eu entre nous des échanges super ambigus ! Il va pas la jouer demi-total, maintenant ?

Bisy :
"T'oublies que t’a fourré ta langue dans ma bouche une fois, et que tu m'as fait une putain de déclaration. Mais non. On a jamais été ensemble. Tout baigne."

Un silence pesant s'installe au bout du fil. Je suis peut-être allée trop loin...

Bisy :
"Je..."

Je l'entends soupirer. J'ai peur de ce qui va suivre.

Daryl :
"T'es une putain de bombe ! Alors ouais, j'ai envie de te baiser. J'ai tenté le coup. T'as pas voulu. On en reste là."

Je grimace devant la façon dont il parle de moi. J'ai l'impression d'être une pouffiasse.

Bisy :
"Tu sais quoi ? T'es vraiment qu'un connard !"
Daryl :
"Je sais. Ça devait te rassurer, non ? T'as choisi le meilleur des deux... Bonne journée à toi aussi."

Et il me raccroche au nez. Au final, je me demande si je n'ai pas juste aggravé la situation, en remuant la merde...

(...)

Lola :
"Alors poulette, prête ?"
Bisy :
"Je te retrouve en bas dans cinq minutes !"

Je glisse mon portable dans ma poche et je jette un dernier regard à mon reflet dans le miroir. Jean, baskets, cheveux attachés en une queue de cheval haute. Boostée à la caféine. Ouais, je suis prête à affronter un marathon shopping avec mon amie ! J'abandonne d'un dernier regard mon ancien moi et j'attrape mon sac, pour aller découvrir celle que je serai en robe de mariée. Elle a toujours été de bon conseil avec moi. Je lui demande souvent son avis. Je suis sûre qu'à nous deux, nous allons trouver mon bonheur ! Et puis, de toute façon, je ne suis pas difficile. Tout ce que je demande c'est une robe qui me mette en valeur, sans me transformer en princesse Disney. Nous avons l'après-midi pour mener à bien cette mission. Espérons que nous rentrerons au bercail avec LA ROBE. Parce que, si ce n'est pas le cas, je peux toujours rêver pour que Gabriel m'octroie une journée de repos ! Elle m'attend déjà sur le trottoir, quand je sors de mon immeuble.

Lola :
"Ah, la reine du jour ! Pas trop stressée ?"
Bisy :
"Si tu me poses la question, c’est que je devrais sûrement m'inquiéter !"
Lola :
"Non, j'ai tout prévu. Ton témoin contrôle la situation."
Bisy :
"Heureusement ! Je sais pas ce que je ferais sans toi."
Lola :
"Tu te marierais en jogging et en baskets, sûrement !"
Bisy :
"Crie pas victoire trop vite ! On a pas beaucoup de temps pour trouver. Ça risque d'être tendu !"
Lola :
"Tu plaisantes, j'espère ? T'es magnifique ! On pourrait t'habiller avec un sac que ça t'irait !"
Bisy :
"Justement, si je pouvais porter autre chose qu'un sac poubelle le jour de mon mariage, ça m'arrangerait !"
Lola :
"T'es bête... Fais-moi confiance !"

Elle passe son bras sous le mien et m'invite à avancer. J'ai l'impression de freiner des quatre fers, comme un chien qu'on dirige vers son bain.

Bisy :
"Je te préviens, je veux pas être déguisée !"
Lola :
"Oh, je suis déçue, moi qui rêvais de te voir dans le costume de la Reine des neiges !"
Bisy :
"T'imagines, si je me pointe avec une perruque blonde, le jour de mon mariage ?"

Nous éclatons de rire. Me représenter Mathilde, devant l'autel, me voyant arriver avec une longue tresse jaune me provoque un fou rire.

Bisy :
"On va oublier l'idée du déguisement, hein ! Je voudrais pas que ma fiancée pleure de rire en me voyant."

Elle éclate de rire et me prend par la main.

Lola :
"Suis-moi. J'ai une adresse où je suis sûre que tu trouveras ton bonheur !"

Je suis tellement pressée d'y être que c'est moi qui finis par la tirer. Je me félicite mentalement d'avoir laissé ma paire d'escarpins à la maison. Quand on doit arpenter les rues de New York, il vaut mieux être bien chaussé ! Je me demande si, de son côté, ma fiancée, accompagnée de Colin, se torture le ciboulot pour trouver une tenue qui lui convienne...
c'est vrai qu'elle pourrait venir en short et t-shirt hawaïen, elle aurait tout de même la classe...

(Enfin, peut-être pas en fait !)

Je lui envoie un texto, tout en marchant. Elle me manque. J'aurais tant aimé sauter les étapes des préparatifs et passer directement à la nuit de noces. Cette idée est tout de même vachement plus excitante.

Bisy :
"Tu me manques, belle brune. Je pense à toi. "
Mathilde :
"Moi aussi, princesse. Vivement ce soir que tu sois dans mes bras."

Recevoir un message de sa part me rassure et me donne l'entrain nécessaire pour affronter ce marathon. Lola s'arrête brusquement devant une petite boutique de mariage, loin des avenues très fréquentées. La devanture du magasin est assez sobre. De l'extérieur je n'aurais même pas pensé qu'il s'agissait d'une boutique.

Bisy :
"Euh... t'es sûre que c'est ici ?"

Ce n'est pas vraiment le genre de boutique auquel je m'attendais. Est-ce que je vais trouver mon bonheur ici...?

Bisy :
"Espérons que je trouverai la robe de mes rêves !"

Elle est assez fière de son effet de surprise.

Lola :
"Tu vas la trouver, j'en suis sûre ! Et puis tu verras, la gérante de la boutique est super."
Bisy :
"Tu la connais ?"
Lola :
"Non, mais je l'ai eu au tel et l'ai prévenue de notre arrivée. C'est du fait main. Tu vas voir, c'est trop !"

Je reste immobile devant la devanture du magasin. Malgré tout l'enthousiasme de mon amie, quelque chose me chagrine. Elle le remarque rapidement.

Lola :
"Qu'est-ce qui va pas ?"
Bisy :
"Laisse tomber, j'ai pas les tunes pour me payer une création originale..."
Lola :
"Sans déc., t'es pas la petite sœur de Ryan Carter ?"

Je lui fais une grimace réprobatrice.

Lola :
"Je sais très bien que t'es pas riche comme Crésus, poulette ! Fais-moi confiance, c'est tout à fait dans ton budget. Tata a tout prévu, ma chérie !"

Elle m'entraîne à l'intérieur du magasin, sans me donner le temps de me torturer le cerveau davantage.

Lola :
"Allez, zou ! Arrête de réfléchir et fonce !"

Je prends une profonde inspiration puis j'affiche un grand sourire.

Bisy :
"Ouais ! Go !"

J'entre la première. Les portes battantes coulissent et une douce mélodie nous accueille. Une odeur de linge frais enivre mes narines. J'avais des doutes, à l'extérieur, mais je dois dire que je suis agréablement surprise lorsque je découvre l'intérieur. Une femme assez âgée nous reçoit. Un sourire illumine son visage ridé. Elle me fait penser à ma mère. Sa voix est douce et bienveillante. J'ai une petite pointe au cœur, en pensant à ma maman, avec qui je ne peux pas partager ce beau moment. J'aurais aimé qu'elle soit là pour m'aider. La dame perçoit tout de suite ma mélancolie et s'occupe de moi à merveille.

Responsable :
"Bonjour, mademoiselle. Alors, c'est vous la future mariée ? Venez vous asseoir. Je vous apporte quelque chose à boire ?
Lola :
"Du thé, si vous avez ?"

La responsable acquiesce et nous laisse, nous installer, sur une banquette, en face d'une cabine d'essayage.

Lola :
"À quoi tu penses ?"
Bisy :
À ma mère. J'aurais tellement aimé qu'elle soit là."

Les larmes me montent aux yeux. Elle m'adresse un regard empli de compassion.

Lola :
"Elle sera là. Dans ton cœur."

Je lui souris, pour ne pas me laisser submerger par l'émotion.

Lola :
"Enfin, elle sera là, sauf si tu décides de choisir la robe violette, là-bas. Elle aurait trop honte pour venir."

Nous rions à l'unisson et ma mélancolie disparaît immédiatement. La vendeuse revient avec trois tasses fumantes. Commence alors une conversation plaisante. Je lui dis ce que j'imagine pour mes noces et elle sélectionne des tenues, qui pourraient me correspondre. La séance d'essayage commence. J'enchaîne des robes plus difficiles à enfiler les unes que les autres. Nous sommes d'humeur guillerette. Mon amie ne manque pas une occasion pour se moquer de moi. Mais, progressivement, je commence à perdre espoir. J'en ai essayé sept ou huit, et, toujours rien qui me plaise assez. La vieille dame perçoit mon inquiétude et revient avec deux autres robes. Et puis le coup de foudre se produit enfin ! C'est une robe blanche, immaculée. Je n'ai jamais vu de blanc aussi étincelant. Elle donne l'impression d'être éclairée par une lumière pure. Elle a exactement la forme dont je rêvais. Sobre, mais élégante. Dès que la vendeuse me la présente, mes sens s'éveillent ! Je la lui arrache presque des mains pour l'essayer, comme une morfale devant un sandwich poulet mayo. En enfilant ma précieuse, je sens le tissu caresser ma peau avec douceur. Elle est recouverte d'un fin tissu en dentelle. Tous les détails sont travaillés avec soin. Je suis cachée derrière le rideau de la cabine d'essayage, je ne me vois pas encore dans le miroir, mais je sais déjà que c'est elle.

Lola :
"Bon, tu te montres ou je dois venir te chercher ?"

Je suis en admiration devant le bustier. Il me dessine une silhouette de rêve. Et je ne parle même pas du décolleté... Mathilde va en tomber à la renverse ! J'ai besoin de ma meilleure amie, mais je suis à peu près sûre qu'elle approuvera cette tenue. Quand je sors enfin de ma cachette, le visage ému de ma copine me conforte aussitôt dans mon choix. Elle reste bouche bée en l’apercevant, et des larmes font briller ses prunelles.
Bisy :
"Alors ?"
Lola :
"Elle est parfaite !"
Bisy :
"J'adore la coupe droite, pas toi ?"
Lola :
"C'est clair. Ça fait très chic, je trouve."
Bisy :
"Je ressemble à une femme là-dedans, une vraie !
Lola :
"On sait jamais, si Mathilde s'en était pas rendu compte, là, elle le saura."
Bisy :
"T'es bête !"

Je me retrouve vers le large miroir et je me sens fondre devant mon reflet. J'ai l'air de la princesse que j'ai toujours rêvé d'être, pour cette grande occasion. Si cela m'arrivait un jour... Cette robe est parfaite parce qu'elle est simple. Elle me représente tout à fait. Je n'aurais jamais cru possible de trouver une tenue qui me corresponde autant. Elle est sexy, sans être vulgaire. Elle est remarquable, sans être ridicule. Elle est précieuse, sans être trop fragile.

Lola :
"Ta future femme va devenir folle, en te voyant comme ça. Tourne-toi pour voir."

J'effectue un tour sur moi-même. Le bruit du tissu qui se froisse rend mon mouvement plein de grâce.

Lola :
"Ah, c'est sûr qu'elle aura l'impression de rêver ! Elle va vouloir sauter la fête pour aller directement à la nuit de noces !"

Je ricane, j’en rougis comme une adolescente à son premier compliment.

Lola :
"T'es magnifique !"

Je me contemple sous toutes les coutures et je ne peux nier la sensualité que dégage cette robe de mariée. C'est vrai que la forme fuselée de la robe allonge ma silhouette. On dirait que j'ai une silhouette de sirène. Je suis certaine qu'elle va l'adorer. La vendeuse prend mes mesures et me certifie qu'elle fera tout son possible pour qu'elle soit prête dans deux jours. Deux jours ! Wow ! Je trouve immédiatement des chaussures assorties. Hors de question que je sois mal dans mes pompes, le jour de mon mariage. De toute façon, ça ne se verra même pas, sous le tissu. Après le thé, la responsable nous offre deux coupes de champagne. Nous échangeons nos places et je m'affale sur la banquette, pour me moquer à mon tour des essayages de mon témoin. Elle ne tarde pas à trouver son bonheur. Nous restons un moment-là, à savourer notre victoire sur le temps.

(Mais pas sur mon compte en banque, la vache !)

Le lendemain, au boulot, je n'arrête pas de regarder l'heure. Nous devons nous rendre à un entretien prénuptial, avec le prêtre qui officiera le jour de notre mariage. Je n'y tiens pas particulièrement, mais elle le souhaite, pour sa grand-mère. La matinée terminée, je me précipite à notre point de rendez-vous, tout en grignotant un truc. J'ai peu de temps, je dois maximiser ma pause déjeuner. Quand je l'aperçois à l'angle de l'avenue, je cours me jeter dans ses bars. Il faut dire que nos échanges de textos croustillants ont su titiller mon appétit. Je ne me retiens pas. Sa bouche m'appelle et je la dévore avec délectation, en la plaquant contre le mur. Elle promène ses mains partout sur mon corps. Elle ne me montre pas l'exemple ! Qu'est-ce que le prêtre va penser de nous deux ? Nous assumons sans aucune retenue notre condition de pécheurs.

Mathilde :
"Si ce rendez-vous était pas obligatoire pour pouvoir t'épouser, je l'annulerais sur-le-champ."

Je rougis, en essayant vainement de contrôler mes ardeurs.

Bisy :
"Arrête de me tenter !"

Elle dépose un baiser enflammé sur mes lèvres, suffisant pour en vouloir encore et être contentée en même temps.

Mathilde :
"Mais je me rattraperai au centuple, pendant la nuit de noces !"

Elle me tend mon casque de moto et je grimpe sur sa bécane, nous partons en direction del'église. Je n'ai pas l'habitude des églises et des prêtres. Ils ont une prestance qui me met souvent mal à l'aise. Dès que j'ai eu l'âge de dire non, j'ai évité d'aller à la messe. Toutes ces institutions me stressent. J'ai toujours eu la sensation de ne pas y être à ma place et d'y être jugée. Le trajet en moto se fait rapidement et nous arrivons devant une petite église de Brookline. Elle ressemble étrangement à celle de mon rêve. Les battements de mon cœur s'accélèrent, mais je repousse vivement cette pensée. Je préfère l'image plus positive de moi en robe de mariée, grimpant les marches de l'église pour y retrouver ma compagne. Elle glisse ses doigts dans les miens et son geste tendre me sort immédiatement de mes pensées.

Mathilde :
"Je nous imagine déjà."

(Elle lit dans mes pensées où quoi ?)

J'reste figée en bas des marches. Tout cela se concrétise si rapidement ! Je n'ai pas peur de l'épouser, je le veux plus que tout, mais rendre cette volonté réelle me semble hallucinant, quand je prends le temps d'y penser. Elle sent mon appréhension et repose un tendre baiser sur ma main, lorsque le prêtre arrive vers nous. C'est un homme âgé, vêtu d'une longue robe. Son regard étincelle quand il aperçoit Mathilde.

Prêtre :
"Ma fille ! Quel plaisir de te revoir ! Le beau temps nous accompagne aujourd'hui !"

Je reste bouche bée, devant la joie du prêtre et celle de ma fiancée. Je n'imagine pas une seule seconde qu'elle soit aussi proche d'un homme d'Église, surtout avec son passé tumultueux. Pourtant leur échange est plein de naturel et de sympathie. Je ne devrais jamais me fier à des idées reçues. Quand le prêtre pose les yeux sur moi, je lis beaucoup de respect dans son regard.

Prêtre :
"Je suis ravi de célébrer votre union dans mon église. Je connais Mathilde depuis qu'elle est toute petite et je suis fier de la personne qu'elle est devenue."

Je souris, en la voyant un peu gênée par les paroles du prêtre.

Prêtre :
"Nous allons voir ensemble le déroulement de la cérémonie, mais j'aimerais avant que nous discutions de vos motivations."

Mince ! Je ne savais pas qu'il s'agissait d'un entretien d'embauche ! Je n'ai rien préparé de spécial ...

Bisy :
"Qu'est-ce que vous voulez savoir exactement ?"
Prêtre :
"Oh moi, personnellement, je ne veux rien. Par contre, il est important de savoir ce qui vous amène ici, pour vous unir dans la maison de Dieu."

Je me sens défaillir, face à la demande du prêtre. Mes motivations ? Je ne me suis pas posé la question une seule fois. Si je suis là, c'est surtout pour lui faire plaisir.

Prêtre :
"Peut-être devrions-nous laisser Mathilde commencer ?"
Mathilde :
"Je veux bien commencer, si ça t'ennuie pas ?"
Bisy :
"Non, je t'en prie."
Mathilde :
"Comme vous le savez, j'ai qu'une seule famille, c'est ma grand-mère et mon frère. Quand nous étions petits, on venait ici tous les dimanches et j'avais la sensation que c'était le seul endroit où je me sentais bien. C'était un peu une maison dans laquelle je pouvais me confier et où j’étaismoins seule."

Elle me prend la main et me la serre avec une telle douceur que je sens mon cœur défaillir.

Mathilde :
"L'église m'a souvent permis de retrouver le droit chemin, elle m'a aidée à être meilleure. Aujourd'hui, c'est Bisy qui m'apprend à être quelqu'un de bien. Me marier à l'église, ce n'est pas seulement officialiser notre union aux yeux de Dieu, c'est aussi ma façon d'être reconnaissanteenvers lui."

Je reste sans voix, tant l'émotion est grande. Ses mots sont une déclaration touchante. Je ne pourrai jamais oublier les raisons qui l'amènent à vouloir m'épouser dans cette église.

Prêtre :
"Tes raisons sont tout à fait louables."

Elle le remercie chaleureusement puis c'est mon tour. Je déglutis, avec l'appréhension de ne pas être à la hauteur.

Bisy :
"Je ne suis pas certaine que mes raisons à moi sont aussi belles."
Prêtre :
"Si elles viennent de votre cœur, elles le sont."

Je prends une profonde inspiration et me lance enfin.

Bisy :
"En toute honnêteté, je ne suis pas croyante. Si je me marie à l'église, c'est pour ma fiancée et sa grand-mère. Je suis respectueuse des croyances de mon amie. Ce qui est important pour elle est important aussi pour moi. C'est donc tout naturellement que je suis devant vous aujourd'hui."
Prêtre :
"Eh bien, je pense que cette union sera bénie."

Nous discutons sans voir le temps passer. Le prêtre est très à l'écoute, mais aussi, très bavard. Il nous parle de tout et de rien, et surtout de la beauté de notre engagement. Je suis agréablement surprise par la simplicité et l'évidence de ses paroles. La cérémonie sera simple et intime. Mon union avec elle est celle dont j'ai toujours rêvé...
Vendredi soir, j'attends Lola chez moi. Ce soir, c'est mon enterrement de vie de jeune fille. Elle doit venir me chercher. Ça fait une heure que je tourne en rond dans mon appartement. Je me demande vraiment ce qu'elle m'a concocté. De mon côté, j'aimerais surtout me faire bichonner entre copines. Quelque chose de fun, mais, qui ne tourne pas au ridicule, comme on le voit parfois... Cependant, le rire diabolique qu'elle émet au téléphone, quand j'essaye de la cuisiner, ne présage rien de bon.
Le jour dit quand elle sonne à la porte, je prends une bouffée de courage avant d'ouvrir.

Lola :
"Hey ! Prête à vivre ta dernière nuit de célibataire ?"

J'ai à peine le temps de voir sa tenue, pour y déceler quelques indices sur la suite de la soirée, qu'elle m'enfile un masque sur la tête. Les yeux bandés, je n'ai plus aucun sens de l'orientation ou de l'équilibre. Je suis donc obligée de lui faire une confiance aveugle.

Bisy :
"Où tu m'emmènes comme ça ?"
Lola :
"Surprise, ma belle !"

Je joue le jeu et décide de ne pas enlever le bandeau, même si je le pouvais aisément. J'adore les surprises, alors ce serait dommage de gâcher moi-même celle qu'on m'a préparée ! Elle m'aide à sortir de la voiture, puis je suis entraînée à l'intérieur d'un bâtiment. Mon amie salue certaines personnes. Je me demande de quoi j'ai l'air. La musique se fait de plus en plus fort, une odeur de barbe à papa parvient à mes narines.

Bisy :
"On est arrivé ?"
Lola :
"Tu vas pouvoir ouvrir les yeux."

Quand je retire le bandeau, ma vision met un certain temps à s'habituer à la luminosité. Et ce que je vois est loin de ce que j'avais pu imaginer : des boules à perte de vue !

(Et pas les boules auxquelles on pourrait s'attendre pour un enterrement de vie de jeune fille !)

Une véritable piscine à boules de toutes les couleurs, des toboggans en colimaçon, un carrousel, une balançoire...

Bisy :
"Comment as-tu su ?"
Lola :
"Tu m'en as parlé, un soir où on avait un peu trop bu."
Bisy :
"Et tu t'en es souvenu ?"

Je n'ai jamais eu l'occasion d'aller dans ce genre d'endroit, quand j'étais petite. J'en ai toujours rêvé.

Bisy :
"Je sais pas quoi dire."
Lola :
"Oh non, tu vas pas pleurer aujourd'hui ! C'est censé être un bon moment pour toi."

Des amies du club de boxe et des collègues de travail sortent de leur cachette, les bras chargés de cadeaux. Un homme, vêtu du strict minimum, m'apporte un cocktail, mon préféré ! Un Mojito, bien sûr. Je ne résiste pas à la douceur de la menthe et à l'exotisme du rhum. Un stand de bonbons trône à côté du bar improvisé. Une machine à barbe à papa parfume aussi les lieux. Elle a privatisé cette salle de jeux rien que pour moi ! Elle est juste géniale ! Je ne sais plus où poser les yeux, tant je suis exaltée par tout ce qui m'entoure. Mon téléphone vibre dans ma poche. C'est un message de Mathilde.

Mathilde :
"Tu t'amuses bien, princesse ?"

La pauvre s'imagine probablement que je fourre quelques billets dans le string d'une strip-teaseuse. J'ai moi-même cette crainte, pour son enterrement de vie de jeune fille à elle. En remplaçant la strip-teaseuse par une soirée bimbo siliconée, bien entendu.

Bisy :
"Oui ! Lola a prévu un truc génial ! Et toi ?"

Je lui réponds légèrement, mais en fait j'angoisse pour tout autre chose. Je n'ai pas eu de nouvelles de Daryl, depuis notre échange musclé au téléphone. Mathilde n'est pas certaine que son frère soit présent au mariage, alors de là à ce qu'il se soit incrusté à son enterrement de vie de jeune fille. ... Honnêtement, j'espère qu'il n'est pas venu. Je suis certaine qu'il profiterait de ce moment pour faire des misères à sa soeur. Je n'ai pas besoin de me poser trop la question.

Mathilde :
"Ouais, je suis juste avec Colin et quelques potes et copines. Daryl est pas venu."

Elle feint l'indifférence, mais je suis certaine que ça lui fait de la peine...

Bisy :
"Je suis sûre que tu vas t'amuser comme une petite folle avec Colin !"
Mathilde :
"Ouais, il a tout prévu, le bougre."

(Euh... ça veut dire quoi ça ?)

Je lui envoie un selfie dans lequel je tire la langue, devant la piscine à boules, mon cocktail à la main.

Elle ne met pas longtemps à me répondre. Je reçois une photo d'elle avec un pichet de bière énorme, dans les gradins d'un match de hockey. Je garde espoir que son frère rapplique à un moment ou à un autre. En attendant, tout va bien, rien de graveleux pour, aucun d'entre nous ! sauf que je n'ai pas la garantie qu'ils ne vont pas poursuivre avec un bar à strip-teaseuse, après le match...

Bisy :
"Pas de filles ?"
Mathilde :
"À part Colin et ses cheveux soyeux, nan."

Je glousse devant sa blague idiote et range mon téléphone dans ma poche. Je ne suis pas là pour papoter avec elle. Soudain, mon amie me tire par le bras et m'entraîne dans une pièce qui me rappelle l'ambiance du Starlite. Elle me fait asseoir sur une chaise au milieu de la pièce. Les lumières se tamisent et la musique devient plus sensuelle.

Lola :
"Le meilleur pour la fin !"

(Et merde... Elle n'aurait pas osé faire ça ... ? Oh si !)

Une femme super sexy bodybuildée glisse sur le sol jusqu'à mes pieds. Et merde ! C'est d'un cliché pas possible, mais je n'arrive pas à retenir le fou rire qui me gagne. Il faut dire aussi que la nana est gaulée comme dans les pubs. À côté de Mathilde, elle est pathétique avec son faux bronzage et son sourire bright. Je rigole et fais un signe de fessée à Lola, qui se marre de plus belle. Garce ! Tu me le paieras ! La strip-teaseuse se balance sensuellement contre moi et, alors que je crois atteindre le summum de l'élégance, une autrefemme entre en piste.

(J'ai trop bu ou quoi ? On dirait la même !)

Les cris des filles s'intensifient et je réalise que les deux strip-teaseuses qui se frottent à moi sontjumelles. Lola m'adresse un clin d'œil graveleux et je comprends alors quel est son message subliminal. J'y crois pas ! En voilà une qui s'est vite remise de sa rupture !

Lola :
"C'EST LA CHANCE DE RÉALISER UN FANTASME !"

Elle hurle à travers la pièce et couvre même la musique. Je vais la buter ... ! Comme si une idéepareille m'avait déjà traversé l'esprit, avec un frère Ortega ! Ho ! Je vais me marier ! Je vais arrêter ce délire tout de suite ! En attendant, les deux filles n'arrêtent pas leur numéro. Je n'arrive plus, à m’ôter de l'esprit l'image des jumeaux Ortega et moi dans une position cocasse... Merci Lola !

(À charge de revanche...)

On est samedi. Nous sommes le jour J.

(NOUS SOMMES LE JOUR J J'AI DIT !)

J'ai les mains moites et le pouls branché sur ampli. Tous mes sens sont en alerte. En sortant de la douche, j'essaie de me concentrer sur ma préparation. Je suis censée être la plus belle aujourd'hui. Je compte bien laisser à Mathilde un souvenir impérissable de ma beauté. Enfin, j'aimerais surtout ne pas regarder nos photos de mariage, dans quelques années, en me demandant pourquoi j'avais cette tronche de cake ! Heureusement qu'elle est aussi là pour assurer ma préparation mentale. Je suis complètement stressée. Une boule de nerfs sur pattes. La tension que je ressens est à son apogée. Dès que je touche quelque chose, je le fais tomber. Dès que mon amie me fait une remarque, je m'énerve. Dès que j'arrive pas à faire quelque chose, j'ai envie de pleurer. Bref, je suis émotive à la puissance mille. Mon chien n'arrête pas de suivre chacun de mes pas. Ne dit-on pas tel chien tel maître ? Il sent que quelque chose de différent se trame et il a du mal à tenir en place. La queue battante, le museau à l'affût, il s'agite dans tout l'appartement.

Bisy :
"Va te coucher, Topaze ! Tu vas finir par mettre des poils sur ma robe, à force de te frotter à moi !"

Je ne veux pas ressembler à un yéti, le jour de mes noces. Topaze, part se réfugier au fond de ma chambre, les oreilles tombantes et une bouille à faire fondre le pire des croque-mitaines. Je la connais bien, sa technique, pour que je lui accorde tout ce qu'il veut : une tête pire que celle du chat dans "Shrek". Je l'appelle et il court frotter son museau contre la paume de ma main.

Bisy :
"Désolée, mon toutou. C'est que j'ai envie d'être la plus belle pour ma femme."

Lola débarque dans ma chambre comme une furie. Je manque de faire tomber la serviette autour de moi.

Lola :
"Allez oust ! Laisse faire les pros, maintenant."

Je laisse mon amie m'aider à enfiler ma robe, sans que mes ongles, rongés par le trac, ne filent le tissu. Elle est autoritaire et adroite. Elle ne laisse pas place à l'improvisation.

Bisy :
"Tu devrais te reconvertir en organisatrice d'évènement."
Lola :
"T'as raison ! Ça payerait sûrement mieux que mon travail, chez CC !"

Mon amie est aussi tendue que moi, on dirait. Aurait-elle des appréhensions, à l'approche de mon mariage ?

Bisy :
"Tu stresses ?"
Lola :
"Non, pas du tout. Excuse-moi pour ce ton un peu nerveux. C'est juste que je me demande si quelque chose de bien m'arrivera un jour."
Bisy :
"T'inquiètes ! T'auras ton tour et, toi aussi, tu auras droit à un enterrement de vie de jeune fille bien graveleux !"

Elle m'adresse un clin d'œil, avant d'éclater d'un rire franc. Nous nous faisons un câlin et soupirons dans les bras l'une de l'autre.

Lola :
"Allez, fini de papoter ! On passe aux choses sérieuses."

Ma conseillère en chef me fait asseoir dans le salon pour élaborer une coiffure digne de ce nom. Elle a tenu à gérer ma coiffure et je lui ai fait confiance. Elle a des mains de fée, elle va me faire un truc de malade ! Quand elle a terminé, mon reflet dans le miroir est proche de ce que j'espérais.

Lola :
"Ok ! Le maquillage, maintenant ! Hop ! Hop ! Hop !"

C'est là que je m'inquiète. Je n'ai pas l'habitude de me peinturer le visage.

Bisy :
"Il faut quand même que Mathilde puisse me reconnaître, hein ?"
Lola :
"Tu me prends pour qui ? Arrête de paniquer, ma belle !"
Bisy :
"Alors, je veux que tu mettes l'accent sur mes yeux."
Lola :
"C'est pas facile ça, t'as un regard de bombe atomique !"

Elle accentue le maquillage autour de mes yeux, sans que ça fasse non plus smoky eyes. Le rendu est élégant et classe. C'est une fois que tout est fini, sous le regard attendri de ma meilleure amie, que l'émotion est la plus forte.

Bisy :
"Tu crois que je vais lui plaire ?"

Elle me prend dans ses bras, évitant soigneusement de froisser ma robe ou de déranger ma coiffure.

Lola :
"Si tu lui plais pas comme ça, rappelle-moi de lui faire sa fête !"

Les larmes aux yeux, nous éclatons de rire toutes les deux.

Lola :
"Tu sais ce qu'elle va porter ?"
Bisy :
"Aucune idée, elle n'a rien voulu lâcher ! Imagine, si elle arrive en tenue décontracte !"

J'espère qu'elle aura fait un effort pour ce jour si spécial ! Je sais que les costumes ne sont pas son fort. J'aurais tendance à rire, en la voyant avec un accessoire de pingouin autour du cou. Mais un beau costume la sublimerait. Je suis presque sûre que je vais être émue aux larmes, en la voyant.

Lola :
"Elle n'est pas du genre le plus fashion que je connaisse, mais je suis sûre qu'elle aura fait un effort pour toi."

Elle sort un objet de sa poche. Je me dis que c'est ... Mon amie sort une très belle broche sertie d'une perle de culture écrue.

Bisy :
"Tu es folle !"
Lola :
"Rien n'est trop beau pour ma copine ! Et ça te portera bonheur."
Bisy :
"C'est toi que je vais fini par épouser !
Lola :
"Ne dis pas de bêtises."

Je la prends dans mes bras. Nous nous efforçons de ne pas pleurer.

Lola :
"Ah non ! C'est pas le moment de verser une larmichette ! Je t'ai fait un trop beau maquillage pour ça !"

Elle s'essuie discrètement les yeux, pendant que je l'observe avec tendresse. J'ai une chance inestimable de l'avoir. Sans elle, ma vie ici ne serait pas la même. C'est bon d'avoir une amie sur qui compter. Je prends une profonde inspiration pour maîtriser le flot d'émotions, qui me submerge. Elle part à son tour se préparer et je reste seule à faire le point sur mon image. Je me demande ce que pensera mon père, quand il verra la femme que je suis devenue. Il m'a envoyé un message où il me promettait de venir. Est-ce qu'il m'accompagnera à l'autel ? Tant de choses que j'appréhende...
Mon père, parce que je me demande quel comportement adopter avec lui, et ma fiancée, parce que j'espère l'éblouir. Quand il est enfin l'heure de partir, le sourire est alors la dernière touche à apporter pour être splendide. Et je ne compte plus le quitter ! J'ai beaucoup de mal à m'asseoir dans sa petite voiture, sans que ma robe devienne problématique. Chaque fois que je cherche à fermer la portière, un morceau de tissu coince la fermeture. Si ça continue, je serais obligée d'y aller à pied ! Mais où est donc mon carrosse ? Je ne veux pas prendre le risque de froisser ma merveilleuse tenue. Je plie avec soin tout ce qui dépasse et obstrue la fermeture de la portière. Il me faut un temps considérable pour réussir à tout caser.

Lola :
"Alors, nerveuse ?"

La voix tremblante qui peine à franchir mes lèvres devrait suffire à répondre à cette question.

Bisy :
"J'ai l'impression qu'une dalle de béton comprime ma poitrine, mais à part ça, tout va bien !"
Lola :
"T'as déjà imaginé qu'elle ne soit pas là quand nous arriverons?"
Bisy :
"Ah ah, très drôle !"

Cette idée ne m'avait pas traversé l'esprit, jusqu'à ce qu'elle la mentionne. Je n'y crois pas une seule seconde ! J'ai besoin de me rassurer, alors j'envoie un SMS à ma fiancée.

Bisy :
"J'ai envie de te voir ! Une nuit sans toi, et tu me manques déjà, t'es où ?"
Mathilde :
"Je t'attends, ma princesse."

Je suis soulagée, mais pas totalement. Je ne le serai que quand elle me tendra la main. Soulagée, je repose mon téléphone sur mes genoux. Mon amie continue de me regarder du coin de l'œil, un sourire moqueur sur les lèvres.

Bisy :
"Quoi ?"
Lola :
"Non, rien. Je pensais à vos débuts, et à ce que vous êtes devenus. Ça fait tout drôle, ce changement."
Bisy :
"À nos débuts ?"
Lola :
"Quand t'osais pas me dire que t'en pinçais pour elle, que tu t'étais inscrite à la salle de boxe en douce pour t'en approcher."
Bisy :
"Que je rougissais à chaque fois qu'elle me parlait."
Lola :
"Ça, tu le fais toujours !"

Nos regards se croisent et nous nous mettons à glousser, sans pouvoir nous arrêter. Je me souviens de notre baiser, quand Mathilde avait enfin pris les devants. Le jour où j'ai réalisé l'attirance que j'éprouvais pour cette femme, je n'arrivais plus à me la sortir de la tête. À partir de ce moment, je n'ai voulu qu'elle, et rien n'a changé aujourd'hui. À chaque virage qui nous rapproche de l'église, les battements de mon cœur s'accélèrent. J'ai du mal à respirer. Comme si l'entrée de mes poumons ne s'ouvrait qu'une fois sur deux. Mes mains sont de plus en plus moites. Si ça continue, je pourrai me laquer les cheveux avec mes paumes... Et nous arrivons dans la rue de l'église... Enfin ! J'aperçois le clocher au bout de la rue. Je n'aurais pas pu attendre une minute de plus, dans cet état de nervosité. Si je n'arrivais pas assez vite, je serais capable de sauter de la voiture en marche, pour courir jusqu'à l'église ! Au moins j'aurais évacué l'agitation qui m'habite. La première personne que je distingue, c'est elle, ma future femme.

(Ce sont les battements de mon cœur que j'entends ?)

Les mots me manquent pour exprimer ce que je ressens. Mes yeux commencent à me brûler. Je n'ose cligner des paupières, de peur que son image disparaisse. Elle est de dos, mais je peux ressentir l'amour, grandir au fond de moi, lorsque je la regarde. Colin est à ses côtés. Il pose une main ferme sur l'épaule de son amie, en lui souriant. Est-ce que Mathilde est aussi nerveuse que moi ? Je réalise que son frère n'est pas là. Est-ce qu'il est déjà à l'intérieur ? Est-ce qu'il ne viendra pas ? Mais rien ne peut gâcher mon bonheur. Mon cœur s'est imprégné de Mathilde. Rien ne peut plus l'effacer. Je tourne la tête et j'aperçois un visage familier qui réveille mon cœur dans un sursaut. Mon père ! Il est seul, les mains croisées devant lui. Un sentiment de bonheur intense me traverse. J'avais peur qu’il finisse par trouver une excuse bidon et qu'il n'assiste pas à mes noces. Mais il est là. Gêné, il ne sait pas où se mettre. J'ai envie de lui sauter au cou, comme quand j'étais petite. La grand-mère de Mathilde est là aussi, le regard un peu hagard. Est-ce qu'elle se rend compte de tout ? J'espère qu'elle se souviendra de moi, cette fois-ci. Voir tout ce monde me rend nerveuse. Tous les regards vont être braqués sur la mariée... J'appréhende de sortir de la voiture et de me dévoiler au grand jour. Je prends une profonde inspiration et ferme les yeux un instant. Je veux garder cette image grave au fond de moi, jusqu'à ma mort. La vie est fragile ! Je m'en suis malheureusement rendu compte, au cours des derniers mois. On peut tout perdre du jour au lendemain. J'ouvre à nouveau les yeux. Mon cœur bat à toute vitesse. Plus que quelques mètres, et je sortirai de la voiture pour devenir Madame Ortega. Plus que quelques mètres... Lorsque Mathilde et moi sortons de l'église, main dans la main, mon bonheur est à son paroxysme. La cérémonie s'est bien passée ! Au-delà de tout ce que j'espérais ! Tous les gens que nous aimons sont réunis autour de nous. Daryl est venu, finalement, même s'il est resté en retrait. Mon père semble être très ému. Sa présence remet beaucoup de choses en perspective. Peut-être que c'est le nouveau départ de notre relation. Peut-être qu'il est temps de lui pardonner. Maman n'aurait sûrement pas voulu de cet éloignement entre nous. Je me perds dans les yeux de mon épouse, bien consciente qu'aujourd'hui ma vie prend une nouvelle tournure.

Bisy :
"Je t'aime...❤️"
Mathilde :
"Je t'aime aussi, princesse.❤️"

Rien n'a changé et tout a changé, à la fois. Mon cœur est gonflé par la joie. Je n'ai jamais été aussi heureuse de toute ma vie.

Bisy :
"Je suis tellement heureuse !"

Elle m'adresse un sourire tendre et ému.

Mathilde :
"Tu es magnifique... Tu n'imagines pas à quel point je suis honorée que tu sois ma femme. Je suis la mauvaise femme la plus chanceuse du monde..."

Des pétales de roses viennent caresser ma peau, en même temps que la douce brise qui nous enveloppe. Le soleil nous baigne dans une chaleur douce et accueillante. Rien ne vient perturber ce doux moment. Ces derniers mois ont été les plus difficiles de mon existence. J'ai vraiment cru que notre histoire ne tiendrait pas le choc. Et pourtant nous voilà, aujourd'hui, unis.

(Oh mon dieu !)

Sentant mon émotion monter d'un coup, elle poursuit, sur un ton plus léger.

Mathilde :
"Allez, madame Ortega, suivez-moi. Nous avons toute la vie pour être heureuses."

Oh oui ! Toute la vie....

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Commentaires & Discussions

Mariage Chapitre1 message | 2 ans

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