Chapitre 3 : Abe (2/2)

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— Comme on se retrouve, l’Intact plus si immaculé que cela, s’amuse C4 en se redressant avec une grâce féline. Dis-moi, tu t’es bien amusé à ce que je vois. À mon tour.

NanoTals repérés… NanoCaps supérieurs récupération de données impossible…


Les traces de blessures que je lui ai infligées ont toutes disparu. Il se dresse dans toute sa splendeur hideuse de perfection Métachirugicale. C4 savoure la certitude qu’il va me tuer et un sentiment de paix s’épanouit en moi à cette idée. S’en est fini.

— Eh ! Le NanoClébard, l’interpellé-je en ouvrant grand les bras aussi souriants que lui. Un rat croise un taureau dans la jungle, que lui dit-il ?

Un rictus de colère déforme un instant le visage aux traits droits et altiers du C à la mention du « NanoClébard ». Il se rapproche d’un pas brusque assez près pour que son torse effleure le mien à la moindre respiration.

— Je ne sais pas, chuchote-t-il les yeux noirs d’une colère et d’une excitation à peine contenus. Dis-moi donc, petit Intact. Que peut donc avoir à dire de la vermine ?

Ses muscles gonflés à l’extrême menacent d’exploser. Dans ma tête, les voix des Nanos résonnent en une cacophonie sans fin d’avertissements :


Danger ! Danger ! Danger ! Repli conseillé !

Mes leurs injonctions se superposent à celles autrement plus autoritaires de mon paternel :

Fracasses-en un maximum, fils !

Je racle ma gorge une dernière fois, prêt à assumer les conséquences de mes derniers actes en ce bas monde. Le chatouillis d’un fou rire vient réchauffer mon ventre aussi sûrement que la fournaise des flammes qui nous entourent.

— Un rat et un taureau dans une jungle ? commencé-je d’un air faussement étonné. Le rat demandera au taureau « Mais bordel, qu’est-ce que je fous là ? ».

Sur ces dernières paroles, j’envoie tel un boulet de canon, mon crâne en direction de son nez. À nouveau le bruit caractéristique de l’os qui se brise vient enchanter mes oreilles. Le beuglement de colère ne fait que rajouter la cerise sur le putain de gâteau. Un éclat de rire hystérique me monte aux lèvres, mais se retrouve vite étouffé dans l’œuf. Comme un tourne-disque rayé, les actions se répètent et je me retrouve à nouveau projeté au sol en gifle effectuée du dos de la main du C furieux.

— Je ne serais pas moqué par un sauvage d’Intact, me hurle-t-il au visage en me surplombant de toute sa hauteur, ses deux mains attrapant mon visage d’un geste bien plus doux que le ton de sa voix. Je vais te tuer, et effacer du monde ta hideuse petite personne. Tu n’es rien ! Rien !

Les flammes, bien qu’ayant commencé à diminuer en taille, donnent à sa stature une aura surnaturelle. Je ferme les yeux, heureux d’avoir au moins pu lui casser le nez avant de partir. Cet idiot ne s’arrête donc-t-il jamais de parler ? Qu’on en finisse à la fin !

— Regarde-moi ! Regarde celui qui mettra fin à ta misérable…

C4 n’a pas le temps de finir sa diatribe. Ses lèvres bougent, mais aucun son ne parvient à s’en échapper. À vrai dire, ne plus entendre sa logorrhée fait presque autant de bien que de le voir souffrir, quand bien même je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il peut bien lui arriver. L’espace d’un instant, j’aimerais être hors de mon corps pour nous regarder tous les deux : moi à genoux devant C4 qui me tient la caboche entre les deux pelles qu’ils lui servent de main.

Ma vie a pris un tour si cocasse et sans aucun sens discernable que je ne suis même pas étonnée quand une main pleine de sang émerge du torse de C4. Le géant émet un dernier râle avant de tomber comme une quille en avant, m’entraînant dans sa chute.

— C’est fou comme les idiots aiment le son de leur propre voix, résonne une voix claire dont l’accent chantant chatouille un pan obscur de ma mémoire. Allons, le nouveau, relève-toi !

Facile à dire quand on n’a pas la carcasse d’un bougre pesant au bas mot cent kilos qui nous écrase de toute sa masse.

— Il faut toujours tout faire soi-même dans ce trou, grommelle l’inconnu en soulevant le corps de C4 en un clin d’œil. Je me présente, Abe pour te servir.

C’est le gus qui m’a envoyé un baiser de la cellule des A. Ses cheveux mi-longs encadrent un visage sans âge aux traits avenants et fins. Ses yeux en amande pétillent de blagues secrètes et d’ironie. Abe fait partie du groupe de ceux qui ne paient pas de mine. Ni grand, ni particulièrement musclé, son corps semble fait pour les salles de bals ou autres bêtises du genre. Impossible à première vue de l’imaginer arracher un cœur à main nue du torse d’un géant. La voix du F m’enjoignant à me méfier de ses bouclettes et de ses manières charmantes se superpose aux voix métalliques dans ma tête.


NanoCaps repérées de niveau trop supérieur. Récupération de données impossible. Danger ! Repli conseillé !

Les traces de NanoEncre n’apparaissent nulle part, quoique sa tenue tout en lin laisse bien peu de peau découverte. Même ses pupilles d’un vert foncé ne sont souillés par aucune trace de la NanoChirurgie.

— Nul besoin de chercher les traces de Nano chez moi, H66, déclare-t-il en se baissant d’un geste gracieux avant de s’employer à décrocher du crâne de C4 ses longues prothèses en forme de cornes. Ridicule n’est-ce pas ? Les C ont tendance à vouloir afficher leur puissance par tous les moyens.

— Que voulez-vous de moi ? le coupe-je peu disposé à écouter les élucubrations d’un nouveau fou.

Le rire clair d’Abe résonne dans la pièce tandis que celui-ci jette sa tête en arrière en un mouvement gracile. Avec les deux cornes ensanglantées à la main et ses cheveux en batailles, il a l’air plus inquiétant encore que tous les autres tarés aux prothèses acérées.

— C’est inutile bien sûr, continue-t-il comme s’il ne m’avait pas entendu. La puissance n’a nul besoin de s’afficher. C4 le savait, mais il a toujours eu le sens du spectacle. Une qualité que j’appréciais au demeurant, plus que ses petits discours navrants de bêtise.

— Cela vous faisait un point commun pourtant, rétorque-je en me massant les tempes. Dites-moi ce que vous attendez de moi, ou tuez-moi. Mais par pitié, arrêtez les petits monologues barbants !

Le regard de pur délice d’Abe me glace les sangs. Ce type est complètement malade. En un clin d’œil, celui-ci m’attrape par le poignet avant de me rapprocher du corps alangui de C4.

— Ce que je veux, H66, me chuchote-t-il à l’oreille en collant de force mon bras contre le torse troué du cadavre. Ce que je veux c’est du spectacle ! Un I+ntact contre les plus fins fumiers de la NanoRé. Tout un écosystème chamboulé si jamais un moins que rien ne venait à vaincre un titan.

Sa poigne de fer ne me laisse aucune chance de repli. La couverture en NanoEncre qui tapissait le corps de C4 se rétracte pour converger en direction de mon poignet. Comme attiré par leurs semblables, les tâches de Nano qui parsèment mon corps fourmillent et se jettent aussi dans leur direction. Deux trains sont sur le point d’entrer en collision sans que je ne puisse rien y faire.

— Tu trembles ? s’amuse Abe la tête penchée sur le côté. Tu fais bien, le corps de ce fanatique regorge de bien trop de NanoCap différentes. Pour un détenu lambda, les assimiler c’est déjà bien trop. Pour toi ? Qui sait ?

— Pourquoi ? Pourquoi moi ?

Abe se penche une dernière fois tout en lâchant mon bras déjà fixé par les Nanos en pleine fusion. Je me noie dans l’océan vert de ses prunelles brillantes de malice.

— Parce que je m’ennuie, H66. Parce que Hunter t’a donné de quoi survivre et que moi je te donne toutes les raisons de mourir. Parce que quiconque posera les yeux sur toi demain saura que ce sont les Nanos de C4 que tu portes en ton sein. Quelle fête ce sera quand les C se rendront compte qu’un H doublé d’un Intact les a privés de leur gourou.

Sa voix se fait déjà lointaine alors qu’un essaim de Nanoparticules s'infiltre sous ma peau ravageant tout sur leur passage. Les voix dans ma tête sont si dépassées par ce nouvel afflux qu’elles n’arrivent plus à être cohérentes.

NanoCaps détéctées… Surcharge…. Ajouts… Ajouts. Danger ! Ajout de 25 niveaux… Surcharge… NanoTals ajoutés…

Au tintamarre qui fait rage dans ma tête, à la voix mélodieuse d’Abe et aux craquements de la cellule dont les flammes ont commencé à refluer, s’ajoute le son strident d’une sirène.

— OBJECTIF DE 5000 ATTEINT. LA PURGE EST FINIE. VEUILLEZ REGAGNER VOS CELLULES. ASSAINISSEMENT DE L’ARÈNE DANS 5 MINUTES.

Incapable de bouger et l’esprit battant déjà la campagne, je sens de loin le corps d’Abe s’éloigner. Avant de quitter la cellule, je crois l’entendre parler une dernière fois.

— Je laisse à tes bons soins mon nouvel ami, Michael. Tâchez de faire bon accueil à votre nouveau camarade de chambre. Il y restera à mes frais.

Du coin de l’œil, juste avant de sombrer dans un sommeil agité par la guerre qui se joue dans mon corps, j’aperçois un homme descendre d’un trou dans le plafond. Je n’arrive pas à percevoir les traits de son visage. À peine perçois-je ses bras vigoureux qui me soulèvent de terre. Comme dans un rêve, je l’entends murmurer :

— La première Purge est toujours la pire, mais pour toi je crois que les ennuis ne font que commencer.

Je n’ai pas le temps de lui répondre, les ténèbres finissent par m’emporter et je sombre dans un combat perdu d’avance entre ma nature profonde et la souillure de la NanoRé

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