Chapitre 3

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     Il avait laissé un peu de temps s'écouler avant de reprendre contact. Prudence est mère de sûreté, et il ne voulait pas éveiller les soupçons en revenant trop vite. Cependant, il l'avait bien observé. Elle donnait presque toujours la main à sa mère qui la serrait près d'elle constamment. Parfois, la petite se mettait à courir vers les canards sur le lac ou dans les rayons d'un magasin mais sa mère la rappelait toujours à l'ordre et l'enfant s'empressait d'obéir. Ça le rassurait car ce serait un avantage pour plus tard. L'obéissance est une qualité indispensable dans la vie, tout comme la patience et la maîtrise de soi. C'est sa mère qui le lui avait enseigné. Il mit un moment à retenir les 'leçons de vie', comme disait sa chère mère, mais il avait appris. Et il avait obéi.

     Aujourd'hui, elle portait un pantalon en coton légèrement trop grand, qui débordait sur ses chaussures de sport, avec un t-shirt blanc. Il désapprouvait ce genre de tenue vestimentaire. Ceci n'est absolument pas convenable pour une véritable petite fille. Quand elle sera à lui, elle aura toujours de belles robes avec de beaux souliers. Pas question de l'affubler de guenilles à peine bonnes pour un orphelin. Il secoua la tête une fois de plus en pensant que cette femme, la mère biologique, avait faux sur toute la ligne. Sa propre mère à lui ne croyait pas en Dieu, mais elle jugeait comme lui. Elle lui répétait sans cesse qu'il n'existait pas et que seule sa parole à elle comptait. Elle seule savait ce qui était bon ou mauvais pour lui et si elle le jugeait aussi durement c'est parce qu'il devait apprendre. Elle l'avait sauvé de la perdition et du tourment, il lui devait la vie à elle et non pas à Dieu. Il se sentait si proche d'elle à ce moment précis. Jugeant l'autre femme, la mère de ses filles, la catin aveugle et égoïste. Elle ne méritait pas les deux perles qu'étaient les filles, mais lui, si. Il avait était patient toute sa vie car il savait que quelque chose de bien allait lui arriver. Et quand il rencontra l'aînée, il sut quel était son but sur Terre.

     Il passait en voiture plusieurs fois devant la maison de la petite, mais jamais aux mêmes heures et en espaçant ses visites afin que personne ne puisse se douter de quoique ce soit. Les gens avaient une sale habitude de se mêler de ce qui ne les regardaient pas. C'est qui causa la perte de sa mère. Il émit un rire en repensant à l'ironie de la situation. Sa mère, juge et bourreau, la caresse et le fouet, celle qui savait tout mieux que tout le monde, n'avait pas su s'occuper de ses affaires. Il dut la punir car il avait bien appris ses leçons et il y a toujours un moment où l'élève dépasse le maître.

***

     Parfois elle avait l'impression d'être suivie. Quand elle partait faire les courses, où quand elles allaient au restaurant en famille. Un jour, elle aurait pu jurer que quelqu'un avait ouvert sa boîte aux lettres pour inspecter son courrier, mais sa compagne lui répétait qu'elle était parano. Depuis la disparition de sa fille chérie elle n'avait plus été que l'ombre d'elle-même. À présent elle dédiait sa vie à mettre sa petite dernière en sécurité. Elle savait que la couper du monde n'était pas la bonne solution, que sur le long terme sa fille voudrait connaître la liberté. Elle était trop curieuse et enjouée pour ne pas vouloir découvrir le monde, mais quelque chose l'empêchait de la laisser aller. Quand sa fille serait en âge d'aller au collège elle ne pourra plus lui faire l'école à la maison, ni elle, ni sa compagne n'avaient le niveau requis, ni l'énergie nécessaire pour apprendre à une adolescente. Quand le moment viendra, elle fera peut-être appel à un précepteur ou l'enverra dans un pensionnat à l'étranger. Mais l'idée de l'avoir loin d'elle la terrifiait plus que tout.

     Sa fille et elle étaient au parc, celui avec le petit lac où vivaient des canards. Elles adoraient venir ici car c'était un lieu qui n'appartenaient qu'à elles deux. Elle n'y avait jamais été avec quelqu'un d'autre que sa petite. C'était un endroit qui n'était pas sali par l'âpreté de la douleur qu'elle ressentait tous les jours depuis la disparition de son aînée. C'était un endroit propre et beau, où avec sa petite, elle construisaient de nouveaux souvenirs. Et puis c'était assez peu fréquenté ce qui avait tendance à la rassurer. C'était plus facile de garder un oeil sur sa fille quand il n'y avait qu'une ou deux familles et un couple de petits vieux, que dans un grand parc pour enfants où ils disparaissaient toutes les deux minutes dans leurs cahutes et toboggans.

     Elle regardait son enfant nourrir les canards en riant quand une odeur de musc vint lui chatouiller les narines. Un homme s'était assis sur le banc d'à côté et lisait un journal économique. Elle ne sut pourquoi mais l'odeur lui était familière. Elle avait dû le fixer un peu trop longtemps car il leva le nez de son journal et la regarda. Il tapota son chapeau de son index et hocha la tête. BAM ! Elle le reconnu soudain comme celui qui avait rapporté Iory il y a environ un mois de cela. Elle le salua chaleureusement mais l'homme ne semblait pas la remettre, aussi lui rappela-t-elle les circonstances de -ce qu'elle croyait être- leur premère rencontre. Il ria en se remémorant l'évènement et plia son journal en deux sur ses genoux. Chacun assis sur un banc mais tournés l'un vers l'autre, ils discutaient. De temps à autre elle jetait un oeil vers sa fille pour s'assurer que tout allait bien. Il était très charmant, sa voix avait un ton chaud et rassurant et ses manières étaient celles d'un parfait gentleman. Au bout d'un moment elle sentit une petite main lui tapoter le bras, la rappelant à la réalité. Elle tourna la tête et vit sa fille qui réclamait plus de pain pour les canards.

***

     Malgré ses habits pouilleux, l'enfant était magnifique. Le rose aux joues d'avoir couru et nourri les canards au bord du lac, ses cheveux dont les rayons du soleil faisaient ressortir des reflets roux, s'échappaient de son chouchou. Il l'observait de temps à autre tandis qu'il discutait avec sa mère. Elle aussi jetait souvent des coups d'oeil, inquiets, vers sa fille, mais elle était trop accaparée par elle-même pour se rendre compte qu'une autre personne dans le parc regardait aussi sa fille. Il maintenait un ton courtois et une discussion agréable quand l'enfant rejoignit sa mère sur le banc. Elle réclamait du pain pour les canards mais sa mère n'en n'avait plus. Elle lui demanda alors de s'assoir à côté d'elle. Il comprenait qu'elle avait envie de continuer leur discussion simple mais entre adultes car il avait senti à quel point elle se sentait seule, pire, isolée. En d'autres circonstances il aurait pu se forcer à la séduire, il était conscient qu'il plaisait aux femmes même si elles ne l'intéressaient pas.

     La petite fille se tenait à quelques mètres de lui, et le regardait avec ses yeux magnifiquement pétillants. Elle le salua timidement, sa mère lui avait appris à ne pas parler aux inconnus, une leçon vitale dans la vie d'un enfant, mais elle écouta avidement la conversation, trépignant d'envie d'y participer. Elle ne semblait pas effrayé par lui, ce qui était une bonne chose. Il profita de l'occasion pour entamer la conversation avec l'enfant.

     Si jamais il en avait douté, sa discussion lui confirma qu'elle était particulièrement intelligente et très éveillée pour son âge, bien plus que sa soeur au même âge. Elle lui raconta qu'elle aimait dessiner, ce qui le satisfaisait grandement quand il repensa au cadeau qui l'attendait dans sa future chambre. Elle lui raconta le dernier livre qu'elle avait lu avec sa maman du début jusqu'à la fin avec une précision pour les détails saisissante. Sa mère interrompit l'échange brutalement, s'excusant en voyant l'heure qui avait passé. Il leva une main, lui assurant que l'après-midi fut très plaisante. Il sentait que s'il ne faisait rien, la mère allait se lever et prendre l'enfant avec elle, or, il n'avait aucune envie de lui dire au revoir si tôt. Ce n'était pas encore le moment, mais une pulsion vibrait en lui, sourde et lancinante qui envahissait tout son être. La petite fille était là, mais sa mère aussi et c'était embêtant. Deux choix s'offraient à lui, un quitte ou double qui le terrifiait mais sa connexion à la petite était plus forte que tout. Il n'aurait jamais cru ça possible. Pas après ce qu'il avait vécu avec l'aînée. Elle avait était sa première et on n'oublie jamais une première fois, quelque soit la fin que connait la relation. Mais celle-ci, cette enfant, celle qui pensait être une copie de la première était en faite un original, elle est l'Élue. Il le sentait au plus profond de lui-même. Il lui fallait sauver cette enfant, la faire sienne à tout jamais. Il avait appris de ses erreurs, et il savait qu'il ne devrait pas les commettre une seconde fois. Avec elle, tout serait parfait, tout serait à sa place et il prouverait à sa mère qu'elle avait tord. Il était fait pour avoir des enfants.

***

     Elle n'en revenait pas, sa maman s'était fait un ami et elles se rendaient chez lui. Que c'était excitant ! Un nouvel endroit signifiait de nouvelles découvertes. Elle lui demanda s'il avait des enfants et il lui répondit qu'il avait une petite fille un peu plus âgée qu'elle. La main de sa mère se crispa autour de la sienne quand il évoqua sa fille. Elle espérait la rencontrer. Peut-être qu'elles s'entendraient bien et qu'elles pourraient devenir amies. Peut-être que sa maman et le monsieur passeraient du temps ensemble et qu'ils deviendraient copains comme cochonset qu'elle pourrait dormir là bas. Tant de possibilités, tant de questions. Elle trépignait d'impatience. Le chemin à pied était un peu long mais c'était un quartier de la ville qu'elle n'avait jamais exploré encore. Les maisons étaient toutes belles, avec des devantures fleuries et souvent de belles voitures devant des portes de garages d'un blanc étincelant.

     Ils arrivèrent enfin devant chez le monsieur. La maison était d'un jaune clair avec les gouttières et contours de portes et fenêtres blancs. Sa voiture n'était pas aussi neuve que celle de ses voisins mais elle avait l'air confortable.

     Quand ils entrèrent dans la maison, une merveilleuse odeur de pain chaud lui mit l'eau à la bouche. Il leur proposa de faire le tour du propriétaire avant de passer à la cuisine pour boire le thé. Le thé ! Une boisson de grandes personnes, qu'elle trouvait terriblement élégante. Elle en prenait tous les jours avec ses poupées et ses peluches mais c'était du thé imaginaire, elle ne était bien consciente. Maman et elle se tenaient la main tout en contemplant les différentes pièces de la maison. Elle se serait cru dans une maison de poupées où tout avait l'air fragile et beau à la fois. Mais la pièce qu'elle préféra par-dessus tout, c'était la chambre à l'étage.

***

    

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