Chapitre 2

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     Une brève sonnerie retentit dans la maison. Elle sursauta puis se ressaisit aussitôt. Sa fille la dévisageait de ses grands yeux verts, se demandant sans doute pourquoi sa propre mère avait tout le temps peur de tout. Elle finit de la déshabiller, et l'installa dans un bon bain chaud. Avant de quitter la salle de bain elle lui intima l'ordre de rester sage en son absence. Elle s'essuya les mains avec une serviette tandis qu'elle remonta le couloir menant à l'entrée. En voyant la porte ouverte, elle fut prise d'un vent de panique. Comment avait-elle pu oublier de refermer la porte ? Et si quelqu'un était entré dans la maison quand elle avait le dos tourné pour la prendre ? Non, elle devait se reprendre. Sa fille était dans son bain, en parfaite sécurité, et un inconnu attendait patiemment devant la porte ouverte. Tout allait bien.

     Elle accrocha un sourire poli à son visage et salua l'homme qui se tenait devant elle. Plus grand qu'elle mais petit pour un homme, il portait un trench coat beige et un chapeau qu'il ôta pour lui dire bonjour. Il avait entre ses mains un objet qu'elle reconnu immédiatement. Iory. Ce petit chien bleu avait été le jouet favoris de sa fille. C'était un personnage d'un dessin animé japonais que les filles adoraient regarder le samedi matin. Et si la plus petite était trop jeune pour tout comprendre, elle était dingue du chien tout comme son autre fille. Elle avait, d'ailleurs, eu le même à ceci près que la patte avant gauche était verte et non bleue. Résultat d'une dispute violente entre les deux soeurs, la petite voulait la peluche pour elle, la grande refusa et le chien trinqua. Pour éviter que cela ne se reproduise, elle avait commandé une seconde peluche et l'avait offert à sa petite qui s'en était amourachée comme jamais. Aucune des deux soeurs ne se séparait de son Iory, jamais. Et depuis le départ de sa soeur, la petite s'accrochait désespérément à la sienne.

     Perdue dans ses pensées, elle se rendit compte que l'homme lui parlait depuis un moment et qu'elle n'avait absolument pas prêté attention à ce qu'il disait. Elle s'excusa timidement et remarqua que l'inconnu lui tendait la peluche.

     — C'est une bien jolie peluche, dit–il. Il aurait été dommage qu'elle s'abîme.

     — C'est la peluche préférée de ma fille, répondit–elle aimablement. Merci beaucoup de l'avoir rapporter.

     — C'est tout naturel.

     Sur ce, il reposa son chapeau sur sa tête et tapota son index dessus. Elle le remercia encore une fois et prit congés en s'assurant d'avoir bien fermé la porte cette fois. Elle tourna plusieurs fois la peluche entre ses doigts, une odeur de musc lui chatouillait le nez. Elle regarda brièvement par la fenêtre pour voir l'inconnu se diriger vers sa voiture qui s'affaissa légèrement quand il monta dedans. Il démarra, activa ses essuie-glace car une fine pluie commençait à tomber, et s'en alla.

***

     Cela ne c'était pas vraiment passé comme il l'avait espéré, il aurait aimé la voir elle plutôt que sa mère. Pendant un bref instant, il avait imaginé son regard s'illuminer et de sa petite voix le remercier. Peut-être l'aurait-elle même embrassé sur la joue. Mais il n'avait parlé qu'à la mère. Elle ne l'avait pas reconnu c'était évident et il en était un peu vexé bien que cela soit mieux ainsi. Lui, il ne l'aurait pas oublié si elle avait fait la même chose, mais lui, la voyait presque tous les jours depuis des années, tandis qu'elle vivait recluse sur elle-même avec une autre femme. Ce n'est pas un lieu pour élever des enfants et encore moins d'adorables petites filles. Il s'était assuré de sauver la plus grande de la perversité ambiante, et il pensait naïvement, que la mère verrait alors les erreurs commises et qu'elle aurait eu à coeur de les réparer. Mais non, elle s'entêtait à vivre sa vie, sans penser à sa fille, celle qui était restée. Mais elle allait comprendre cette fois car elle n'avait plus d'autres enfants après celle-ci. Il allait sauver la petite comme il avait sauvé sa soeur bien des années avant.

     Il se souvenait encore de la première fois qu'il l'avait vu. La grande soeur qui se promenait en tenant la main de la petite. Deux têtes brunes qui riaient en mangeant un cône glacé. En la voyant il avait su que c'était sa fille. Pas biologiquement parlant, non ça c'était impossible, sa propre mère s'en était assuré, mais parfois notre famille n'est pas celle du sang. Parfois il existe un lien si puissant qu'il est impossible d'y résister et ce lien ne s'explique pas. Il est omniprésent, inévitable et rien ne sert de renier cette connexion. Ô comme il a essayé la première fois de se persuader que c'était mal, que l'enfant de quelqu'un d'autre ne pouvait pas être le sien. Mais sa mère, qui n'était pas vraiment la sienne d'ailleurs, lui avait dit que la famille c'était les gens avec qui ont voulait se retrouver plus que tout au monde. Et il voulait plus que tout être avec cette enfant.

     C'est au cours de leur seconde rencontre qu'il fut comme obsédé par elle. L'obsession est un vilain mot qui véhicule des idées péjoratives car les gens interprètent souvent l'obsession comme quelque chose de malsain mais aucun autre ne parvint à décrire ce qu'il ressentait pour elle. Il pensait tout le temps à elle, au travail, à la maison, dans son sommeil. Il voyait son visage partout, se greffant sur celui de la présentatrice météo ou celui du facteur. Il entendait son rire éclatait à tout instant et parfois il sursautait en se rendant compte que la maison était, en réalité, parfaitement silencieuse.

     Il prit un virage à gauche qui le mena au centre ville au lieu de la rue où il habitait. Il lui fallait encore faire les courses avant de rentrer chez lui. Il se gara sur le parking quasi désert de la supérette et releva le col de son imperméable avant de s'échapper de sa voiture et de courir pour se mettre à l'abri de la pluie qui s'intensifiait.

     Après quelques minutes passées entre les étales, il avait tout ce qui lui fallait quand soudain, juste devant la caisse, il remarqua un coffret de coloriage. Une magnifique boite en bois qui renfermait une trentaine de crayons de couleurs, de feutres ainsi que des petits pots de paillettes, deux pinceaux, un tube de colle et une palette de peinture à l'eau. Il y avait aussi un cahier de dessins à colorier fourni avec. Il lorgna sur l'objet quelques instants quand la caissière lui dit :

     — C'est un joli cadeau n'est-ce pas ?

     Il se tourna vers elle et lui sourit. C'était un magnifique cadeau. Un cadeau parfait si ce n'est pour les paillettes qui pourraient vite devenir un problème si on en mettait partout. Il chercha des yeux l'étiquette du prix mais n'en trouva aucune. Comme si la caissière avait lu dans ses pensées elle lui dit alors :

     — 39,99. C'est un peu cher, mais si vous voulez mon avis, votre fille serait très chanceuse d'avoir un si beau coffret.

     Il ne voulait pas de son avis, mais était forcé de reconnaître qu'elle avait raison. Il sorti son portefeuille et demanda à la caissière s'il était possible de l'emballer dans un joli papier cadeau. Plus que ravie, elle s'empressa d'interpeler son collègue, un jeune adolescent boutonneux qui trainait la patte, pour qu'il fasse le paquet tandis qu'elle encaissa le gentil homme comme elle l'appela.


***


     Iory était propre mais un oeil lui manquait. Maman lui promit que demain elle irait lui trouver un nouvel oeil encore plus beau que l'ancien, mais elle l'aimait bien comme ça. Il était unique. Elle serra fort la peluche entre ses petits bras et se tourna dans son lit. La veilleuse branchée à côté de sa table de nuit renvoyait une lumière dorée et teintée de rouge. Il lui arrivait parfois de repenser à sa soeur avant de s'endormir. Elle se demandait où elle était partie et surtout pourquoi elle était partie. Maman n'aimait pas trop en parler, ça l'a rendait triste et Tata s'énervait souvent après elle quand elle demandait si un jour sa grande soeur reviendrait. Elle avait vite appris à ne plus en parler du tout.

     Le sommeil ne venait toujours pas, aussi elle s'assit sur le lit. Sur la commode en face, trônait un tas de photos encadrées à côtés de bijoux fabriqués avec de la pâte à sel. Certains dataient de la période où sa soeur était encore à la maison et partageait sa chambre avec elle. Qu'est-ce qu'elle pouvaient rire la nuit, cachées sous les couvertures tandis qu'elle lui lisait des histoires qui donnent la chair de poule. Elle se rappelle comment elle se tenait au dessus du livre que tenait sa soeur, assise en tailleur sous la couette avec une lampe accrochée sur le front, tentant de déchiffrer les mots qu'elle lui lisait en un murmure. Tout le jeu consistait à faire semblant de dormir quand Maman ou Tata passait devant la chambre. Très souvent elles réussissaient, ne s'endormant que très tard dans la nuit, mais parfois Maman ou Tata gagnait et les faisait aller chacune dans son lit. Extinction des feux !

     Sur la commode en face d'elle, il y avait sa photo favorite. Celle d'un bel après-midi d'été. Elle se souvenait qu'il avait fait chaud ce jour-là et qu'elles étaient allées se balader en forêt pour se baigner dans la rivière avec d'autres enfants de la rue. Elle n'allait pas encore à l'école primaire, aussi, les amis de sa soeur se moquaient souvent d'elle en la traitant de bébé ou de morveuse. Mais elle s'en fichait, elle était grande, comme sa soeur. Et elle leur montra plus d'une fois qu'elle était digne de faire partie de leur groupe. Le jour où la photo avait été prise, sa soeur lui avait appris à nager. La rivière était peu profonde et il n'y avait presque pas de courant, mais l'eau, très fraîche, lui arrivait tout de même à la taille. Les copains et copines de sa soeur se chamaillaient, jouaient dans l'eau, mais elle, elle avait pris le temps de lui apprendre à nager. Elle avait eu peur au début, puis elle commença à comprendre, et les mouvements lui parurent naturels quand sa soeur la lâcha. Elle avait nagé, libre comme un petit poisson, multipliant les aller-retours jusqu'à l'essoufflement. Elle sorti de l'eau, fière comme un paon, et c'est à ce moment là que la meilleure amie de sa soeur les avait prises en photos. Sa soeur et elle étaient bras dessus, bras dessous, souriant à l'appareil photo jetable, leurs cheveux bruns collés sur leur front mais on distinguait bien le vert de leurs yeux et les taches de rousseurs sur leur nez.

     Oui c'était sa photo favorite. C'était le jour avant que sa soeur ne parte.

***

     

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