Chapitre 23 - ALID

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J'ai l'impression de mourir avec lui.

Mais je ne détourne pas les yeux.

Il est hors de question que je le quitte un seul instant du regard, même quand la détonation résonne dans le bureau, même quand il est projetté à l'opposé de Walter, même quand le soldat s'écarte pour laisser son corps s'écraser lourdement de l'autre côté, même quand le sang gicle, puis se répand en flots écumants autour de ma tête.

Et je ne peux m'empêcher de penser qu'il était paisible, malgré l'horreur de sa mort.

De sa mort.

Non, je ne peux pas y croire. Il ne peut pas m'avoir quittée.

Un nouveau hurlement m'échappe, plus faible, comme étranglé, mais pour moin bien plus puissant que tous les autres. Et je repense à toutes les batailles que j'ai menées pour nous permettre d'être ensemble, la première quand j'ai forcé Allen à l'accepter parmi nous, ce jour là, quand nous l'avons trouvé sur la route. Depuis, parfois sans même le savoir, j'ai mis toutes mes forces dans cette guerre, et à présent, je comprends qu'elle est perdue d'avance. Mais qu'est-ce que j'attendais ? Je savais qu'il mourrait, en le voyant embarquer avec moi à la place d'Allen, il y a à peine quelques heures. Mais à ce moment-là, je croyais encore que le Gouvernement tiendrait parole. À ce moment-là, je ne m'étais pas encore rendu compte de mon erreur monumentale. À ce moment-là, je n'étais pas encore redevenue moi-même.

L'horreur m'envahit quand je réalise que les quelques jours, que dis-je, les quelques secondes où nous avons pu vivre notre amour, je n'étais pas vraiment moi-même, juste une traîtresse, une menteuse...

Que lui ai-je offert, concrètement, en échange de tout ses sacrifices ?

Sacha est mort.

Par ma faute.

Et à présent, je me dois au moins d'honorer sa mémoire.

Mes sensations me reviennent peu à peu, et tant que j'en suis encore capable, je redresse la tête pour reporter mon attention sur Walter. Les bras puissants des soldats qui me maintiennent prisonnière me retiennent toujours loin de lui, mais la douleur qu'ils m'infligent, je l'accueille à bras ouverts pour panser tout le sang qui s'écoule de mon coeur éclaté à terre. Jamais, jamais je n'avais ressenti une douleur aussi intense, quoi que j'ai pu en penser dans le passé.

- Vous! je m'époumone sur lui. Nous avions passé un accord!

Il me regarde comme si je n'étais qu'un insecte sur son chemin, pire, comme si je n'existais pas. J'ai l'impression qu'il a le regard dans le vide, qu'il réfléchit à des choses plus importantes. Que je suis un fantôme à ses yeux, comme son fils, qu'il vient de tuer de sang-froid sous mes yeux. Ce monstre n'a-t-il donc aucun sentiments ?

- Vous aviez dit que tous les membres de l'Organisation seraient saufs!

- Oui, rétorque-t-il, les sourcils toujours levés en signe de réflexion intense. J'avais également précisé que seuls ceux qui ne participeraient pas à l'offensive seraient protégés, et que mes soldats seraient en droit de tuer quiconque les attaquerait. Et tu as accepté ces termes. D'ailleurs, poursuit-il sans me laisser le temps de protester, j'aimerais préciser notre accord, à présent que les dés sont lancés. Ou plutôt, j'aimerais te révéler ce que je t'entendais vraiment dans ma proposition. Par le terme qui accorde l'immunité à l'Organisation, je voulais en vérité parler de sa face visible, de son visage, de son emblème. De toi. Tu resteras vivante jusqu'à ce que tu meurres naturellement, et aucun mal ne te sera fait. Tu seras enfermée dans une cellule où on te donnera les conditions de vie nécessaires, tu ne seras ni torturée, ni violée, ni exposée ... simplement totalement isolée. Quant au reste de l'Organisation, dont nous n'avons donc jamais parlé dans le contrat... elle subira le sort que nous lui réservons depuis le début, c'est-à-dire l'extermination de chacun de ses membres, l'un après l'autre, et la dissolution totale. De toute manière, je ne vois pas trop ce que tu pourrais changer à mes décisions. Déjà, tu devras t'estimer heureuse d'avoir la vie sauve.

Mais à la lueur sadique qui brille dans ses yeux pâles, je devine que rien n'est laissé au hasard, même cette dernière précision. Et soudain, je comprends ce qu'il veut dire par là.

Seule.

Jusqu'à ce que je meurre de vieillesse, ils y veilleront.

Seule... ou pas tout à fait, puisque la mort de Sacha, et tous mes autres démons, resteront avec moi pour l'éternité.

Non!

Je recommence à me débattre, puis, voyant que ça ne sert à rien, je lui hurle des supplications tandis qu'il me tourne le dos, impassible. Mais une de mes phrases semble soudain l'interpeler, car il se retourne brusquement, souriant de toutes ses dents.

- Pourquoi je ne t'ai jamais demandé la position du QG de l'Organisation ? me raille-t-il.

Je ne me souviens même pas d'avoir posé cette question, au milieu de toutes les autres...

- Mais voyons, parce que si je l'avais fait, tu te serais peut-être rendu compte de l'erreur que tu étais en train de commettre. N'importe quelle personne sensée sait où se trouve la ligne rouge, et si elle peut la franchir ou non. Dans mon cas, la réponse était non. Ma chère Astrid, je te connais bien plus que tu ne te connais toi-même.

Puis, d'un geste de la main, il ordonne à ses soldats de m'emmener, et tandis que je ralentis autant que je peux leur avancée imperturbable, j'ai le temps de voir le deuxième groupe de gardes ramasser le corps de Sacha. Je n'aurai même pas le droit à un dernier au revoir... Juste à son souvenir...

Tant de choses se sont terminées par le claquement d'une porte dans mon dos, ou même devant mes yeux, mais aujourd'hui, il s'agit de la dernière fois, et elle ne semble pas vouloir faire exception à la règle.

Alors je continue de lutter jusqu'à ce que le pâle visage de Sacha, plus pâle encore qu'il ne l'a jamais été, disparaisse de mon champ de vision, puis je me laisse tomber dans les bras des soldats, je ferme les yeux, et j'abandonne.

J'abandonne.

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