Chapitre 19 - Quelques jours plus tard - ASTRID

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Je suis de nouveau Astrid.

Dans mon coeur, il n'y a plus de place pour le doute.

L'adrénaline de la mission court dans mes veines pour réveille le soldat formé par l'Organisation, sans une once de la faible et sentimentale Alexy. Plus de mélange, plus d'Alid.

Juste une tueuse, un monstre, mais aujourd'hui, je ne repousse pas le monstre.

Il va m'aider.

À récupérer ma mère.

*

Je n'ai pas vraiment l'impression de voler, et je dois avouer que cette sensation est perturbante. Quand je suis dans un avion, et donc la plupart du temps dans un avion de chasse, je peux sentir chaque vibration de l'appareil sur l'air, chaque remou, chaque souffle qui va me porter toujours plus haut. J'ai toujours une idée très précise de ma situation, de l'équilibre de mon avion, de ce que je peux me permettre ou non.

Alors, à présent que je dois rester assise, sans rien faire, sans bouger, sanglée dans mon siège sur cet avion de transport parfaitement conçu pour éviter tout mouvement à l'intérieur, oui, je me sens mal. La vérité, c'est que je n'aime pas ne pas être aux commandes, ne même pas savoir qui tient ma vie entre ses mains, ainsi que celle d'Allen. Mais je prends sur moi, parce que je sais qu'aujourd'hui, je dois faire mes preuves pour une opération autrement plus importante. Enfin, peut-être pour eux, mais pas pour moi.

Je me souviens très bien du moment où ils sont entrés dans ma chambre pour me l'annoncer.

Allen et Marshall.

Les deux seuls hommes dont je sois proche, en dehors de Sacha, mais je refuse de penser à lui.

Quand ils ont commencé à parler, je ne les écoutais même pas. Et puis, petit à petit, quelques mots répétés bien souvent ont fini par percer ma carapace, et j'ai compris. J'ai compris qu'ils parlaient de la femme qui m'a donné la vie, il y a dix-neuf ans.

Un mot et j'étais totalement réveillée, à l'affut.

Et dès ce moment, je n'avais plus besoin d'eux pour faire les connexions.

D'après Allen, nous avons été volés au Sanctuaire, ce qui signifie que ma mère y a vécu toute sa vie. Si l'on en croit les informations d'Alyzée, ainsi que sa trahison, elle devrait être... morte depuis longtemps. Or, Willer a justement déclaré que "Diane est toujours en vie", ce qui a provoqué un trouble manifeste même chez notre leader imperturbable. Facile, donc, de comprendre que Diane est ma mère, mais aussi celle d'Allen, et que pour une raison inconnue, le Gouvernement la maintient en vie. Peut-être plus pour longtemps, peut-être pour faire pression sur nous au moment opportun, mais dans tous les cas, je refuse de prendre le risque qu'elle meure elle aussi.

Au lieu de m'anéantir complètement, cette nouvelle m'a ragaillardie, emplie d'une force nouvelle qui s'estompera dès que ma mère sera en sécurité... ou partie pour toujours. J'ai l'atroce besoin de l'avoir près de moi en cet instant, et je ferai tout pour qu'il se réalise. Alors pour l'instant, je me laisse porter par cet avion transporteur malgré mon malaise grandissant, et je me concentre sur la mission à venir.

Pour la première fois depuis que je suis arrivée ici, je suis ressortie du complexe souterrain pour aller au grand air. Je dois avouer que retrouver la terre ferme est particulièrement apaisant, après tous ces mois enfermée comme un rat en cage.

Et surtout, j'ai mon frère à mes côtés, qui, aujourd'hui, devient le plus puissant des alliés : nous sommes pareils, lui et moi, du moins en cet instant et jusqu'à la fin de la mission. Nous luttons pour notre mère, notre sang. Je sais que, lui comme moi, nous donnerons notre vie pour la sortir de là, parce que même si nous ne l'avons jamais rencontrée, le lien qui nous unit déjà à elle est plus fort que tout. À part Allen, elle est ma seule famille sur cette terre, puisque je ne considère pas Christian comme mon père. Qu'est-ce qui pourrait être plus important que ma famille ? Et malgré nos nombreuses disputes, Allen me serre la main avec force, signe qu'il me pardonne toute la folie de ces derniers mois. Je sais que je recommencerai à le repousser après-demain au plus tard en cas de succès, alors je profite tout mon soûl de sa peau contre la mienne pour l'instant. Sa chaleur n'est pas la même que celle de Sacha, mais elle tout aussi réconfortante. D'une manière différente.

Soudain, notre meneur de mission prend la parole d'une voix sèche qui trahit son anxiété : il s'agit de Mehdi, l'ancien référent d'Allen, qui m'a toujours traitée avec gentillesse, contrairement à tous les autres. Aujourd'hui, cependant, on ne voit aucune sympathie dans ses yeux : juste de la concentration et de la détermination. Je sais que si Marshall lui confie la tête de cette opération, c'est parce qu'il a toute confiance en lui, et étrangement, moi aussi. Une sorte de force invisible apaisante est là pour me rassurer quand je doute, et me certifier qu'il ne représente aucun danger. Et puis, je crois mon père de substitution.

- Bien, écoutez-moi tous attentivement. Nous sommes ici pour une mission secondaire qui pourrait beaucoup nous rapporter. Cependant, nous n'allons pas nous mentir, nous sommes ici exclusivement sur l'ordre de Marshall. Il tient tout particulièrement à ce que nous récupérions cette Diane, mais bien sûr, nous ne sommes pas là pour poser des questions.

Sa façon d'exposer la situation, claire, sans ambiguïté, sans incriminer personne, mais qui rappelle toutefois à chacun sa place, me plaît d'emblée.

- Nous sommes les soldats de terrain, laissons aux autres le soin de décider. Cependant, rappelez-vous à tout moment que chacune des informations que je vais vous dispenser repose sur le témoignage d'un traître. Ses interrogateurs ont essayé de garantir la vérité de ses propos, et il a été plutôt coopératif, à croire qu'il veut absolument le succès de cette mission. Mais malgré tout, nous ne pouvons être sûrs de rien, alors restez sur vos gardes, et surtout, si ça tourne mal, enfuyez-vous sans regarder en arrière. On vous a fourni à tous une petite grenade plus puissante que la normale, qu'il suffira de dégoupiller pour faire un maximum de victimes autour de vous. Ne l'utilisez qu'en cas d'extrème urgence, nous aurons besoin de tous nos soldats dans les mois qui viennent. Pour être plus précis, voilà notre objectif, que vous connnaissez déjà, mais c'est la procédure.

Il esquisse un petit sourire qui me détend légèrement.

- Nous devons nous introduire dans une prison secrète souterraine au nord de Paris pour récupérer une prisonnière du nom de Diane, qui sera plus probablement désignée en tant que 6. Willer, notre source, nous a fourni tous les codes nécessaires et certaines indications qui nous serons sûrement très utile. Grâce à son... aide inopinée, il nous suffira d'enfiler l'uniforme des Forces Spéciales pour nous fondre dans la masse. Nous sommes reliés en permanence au Centre de contrôle informatique, qui pourra nous aider jusqu'à ce que les communications soient coupées, mais vos Communicateurs ont été équipés de toutes les informations disponibles. Nous arriverons par équipes dans le bâtiment, chacune à bord d'un véhicule banalisé. Equipe 1, Astrid et moi. Equipe 2, Jonas et Allen. Equipe 3...

Je me déconnecte de la réalité dès que mon nom et celui de mon frère sont passés. Je suis toujours déçue de ne pas être avec lui, mais je suppose qu'ils ont voulu confier ma surveillance à un soldat plus expérimenté. Surtout, à un soldat qui ne se laissera pas guider par ses émotions en cas de problème. Cependant, je suis tout de même contente d'être avec Mehdi, de travailler avec une personne qui sait. C'est le cas de tous ici, mais à par mon frère, il est le seul que je connaisse plus que de vue. Ils ont sûrement prévu ça aussi, dans leurs sélections, et pour une fois, je les en remercie. À leur place, j'aurais sûrement fait la même chose.

Si toutes les informations de Willer s'avèrent justes, avec l'équipe informatique à nos côtés, nous n'aurons aucun mal à extraire Diane de cette prison. Enfin, aucun mal est sûrement un euphémisme, mais ce sera sans aucun doute bien plus facile que si nous étions partis à l'aveuglette.

Cependant, comme Willer n'est jamais entré dans cette prison secrète, qui n'en est qu'une parmi d'autres, il n'a pas pu nous dire avec précision où est la cellule de Diane. Voilà pourquoi les six membres de l'équipe, moi comprise, devrons se séparer en groupe pour agrandir le périmètre de recherche. Dès que Diane sera sortie de sa cellule, escortée par deux d'entre nous, l'équipe informatique déclenchera une alerte incendie. C'est moi qui ai proposé cette idée, me souvenant de la panique qui m'avait aidée à m'enfuir du Sanctuaire, et elle a été acceptée dès que Willer a donné les accès nécessaires aux informaticiens. Sans aucun plan de repli proposé, cette mission aurait sûrement été interdite, alors pour la première fois, je bénis mon expérience du Sanctuaire, aussi étrange que cela puisse paraître.

- ... masques ne seront fonctionnels que quelques heures, alors faites au plus vite, et faites signe à l'équipe informatique dès que vous aurez trouvé la prisonnière. Bonne chance à tous.

Je pousse un énorme soupir tandis que le silence s'installe.

Mehdi vient de fournir ses dernières recommandations, et à présent, chacun est plongé dans ses propres pensées, sûrement pour se préparer à la possibilité d'une mort proche.

Quant à moi, j'essaye simplement d'imaginer à quoi ressemblera ma mère.

*

Les cahots de la petite route mal entretenue me soulèvent de mon siège à chaque bosse et chaque renfoncement du goudron. Je grimace et serre les dents sous mon masque synthétique, dont j'ai réglé les paramètres pour imiter au mieux l'homme que je suis censée remplacer. Ce masque, un modèle amélioré de ceux que j'utilisais du temps des Résidences, me renvoie dans le passé et me rappelle tous mes prétendus efforts pour ne pas me faire trahir. J'étais si naïve, à l'époque! Comment ai-je pu croire un seul instant que le Gouvernement ne m'avait pas repérée ? Qu'il avait attendu mon Intégration pour agir ? À ce moment là, je ne le savais pas encore, mais j'étais déjà perdue. Mon destin était déjà tracé.

Je m'empêche de dévier sur ces sombres cheminements de ma pensée, et tourne la tête vers Mehdi pour me concentrer sur autre chose.

Dans la dernière demi-heure, nous avons été largués de l'avion de transport en pleine forêt, puis nous nous sommes séparés et chaque équipe a suivi son propre chemin. Pour notre part, nous devions arrêter la voiture de nos cibles, dont nous avons à présent pris l'apparence, alors qu'ils étaient déjà sur le chemin de leur travail. Pour éviter qu'on ne repère ma féminité, c'est Mehdi qui s'est couché en travers de la route. Dès que le véhicule a été à l'arrêt, j'ai abattu les deux hommes en deux tirs précis, de ma position dans les buissons qui bordaient la route. Il nous a ensuite suffi de récupérer leurs badges sur eux, leurs uniformes, et de coller nos masques sur notre visage. Dès cet instant, nous avons abandonné nos véritables identités pour devenir Jasper Renand et Tom Guissen, respectivement lui et moi.

Depuis, nous avons roulé sur environ une dizaine de kilomètres, et je peux presque sentir que la prison souterraine approche.

Et effectivement, après un dernier virage, nous pilons net face à un mur de plusieurs mètres de haut, surplombé d'un barbelet enroulé en de nombreuses boucles. Impossible de passer quand on n'y est pas autorisé. Je frémis en songeant que sans Willer, nous n'aurions jamais réussi. En fait, sans Willer, nous ne serions même pas au courant que ma mère est ici, sauf si bien sûr elle est bel et bien morte... et qu'il nous a simplement tendu un piège.

À l'entrée, nous n'avons pas à attendre longtemps avant que deux gardes quittent soudain leurs abris. Le premier nous demande nos badges tandis que nous essayons de garder la tête baissée - les masques synthétiques ne sont pas infaillibles. Mais heureusement, il nous rend nos cartes sans faire de commentaires et rebrousse chemin tandis que l'autre continue d'inspecter la voiture. Ne trouvant rien, il nous fait un signe de tête vers l'avant, marche d'un pas tranquille vers son propre abri et se baisse, si bien que nous ne le voyons plus. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvre en coulissant lentement.

Si j'étais dans un rover, la situation serait à peu de choses près la même que de nombreux mois auparavant, quand je me suis échappée la première fois du bunker où j'étais retenue. Sauf qu'aujourd'hui, c'est une mission d'infiltration, ce qui signifie que je m'apprête à rentrer, et non à sortir.

Mon rythme cardiaque s'accélère et je sens quelques gouttes de sueur sur ma nuque quand nous passons lentement à hauteur des gardes. Ces-derniers se sont déjà désintéressés de nous, la tête baissée, sûrement plongés dans un livre ou sur leurs Communicateurs. Ils n'ont pas vraiment l'air de prendre leur travail au sérieux et j'arrive à me détendre un peu en songeant que le Gouvernement devrait s'entourer de personnes de confiance, et non de soldats incompétents qui laissent passer l'ennemi sous leur nez. S'ils avaient été plus attentifs, ils auraient pu nous démasquer. Je prie pour que les deux autres équipes passent sans encombre, ou pour qu'elles soient déjà à l'intérieur. Puis la voiture s'arrête et je prends le temps de souffler avant de suivre Mehdi, qui a déjà bondi à l'extérieur.

Nous sommes sur une sorte de parking. Un peu plus loin, une petite file d'hommes attendent de se faire scanner les yeux. Je manque de m'enfuir en courant, avant de me rendre compte qu'on nous a également fourni des lentilles imitant à la perfection l'iris des hommes que nous remplaçons. Je me force à me détendre tandis que nous marchons pour rejoindre les autres. Nous ne sommes pas nombreux et notre tour vient rapidement. Quand le scanner réchauffe mon oeil, que je dois littéralement forcer à rester ouvert, je frémis et me prépare à courir, mais l'homme, impassible, me fait signe d'avancer d'un air ennuyé. Mehdi passe le test sans plus d'encombres. Nous longeons alors un court couloir avant de déboucher face à une série de portes, où, d'après Willer, notre corps tout entier sera vérifié au détecteur de métal. Aucun citoyen, y compris les soldats des Forces Spéciales, n'est censé posséder d'arme en dehors de son lieu de travail. Heureusement, nous avons tous deux pris soin de laisser nos pistolets dans la voiture. J'essaye toujours de ne pas penser aux deux vies que j'ai prises aujourd'hui, me convaincant qu'ils étaient des ennemis sur mon chemin.

Sauf que ce n'est pas vrai.

Les seuls ennemis que nous ayons sont les plus hauts placés du Gouvernement de la DFAO. Les autres sont seulement des pions qui obéissent à la puce.

Au moment d'entrer dans ma propre pièce de détection, je jette un dernier coup d'oeil à Mehdi, plongeant dans ses yeux verts clairs pour y puiser toute la détermination dont j'ai besoin.

Puis je me détourne, et j'avance d'un pas.

La porte coulisse devant moi.

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