Chapitre 7 - Bloc informatique du QG de l'Organisation - POINT DE VUE EXTERIEUR

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Le noir règne dans la salle, seulement percé par la faible luminosité des écrans. Les claquements secs et rapides des doigts qui heurtent les claviers brisent quant à eux le silence, bien que l'endroit bourdonne en vérité d'une activité insoupçonnée : les cerveaux en ébullition décryptent, cherchent, analysent chaque bribe d'information qui leur parvient. Parfois, quelques marmonnements incompréhensibles viennent même rompre la routine, mais tous sont bien trop plongés dans leurs propres pensées pour ne serait-ce que remarquer leurs congénères. Au milieu de ce noeud d'émotions, de découvertes, de déceptions et de cris de triomphe silencieux, l'un des informaticiens semble suivre une piste bien différente des autres. Sur son écran ne s'affichent ni les caméras de surveillance du bunker, ni des pages et des pages de code, de textes, de messages...

La quarantaine, des cheveux grisonnants, des yeux bruns pétillants à peine visibles dans la pénombre, il ne se démarque pas des autres des rebelles, et pourtant, ses découvertes vont déclencher un véritable tsunami au sein de l'Organisation. Cependant, cela, il ne le sait pas encore. Pour l'instant, il se contente de suivre le fil invisible qui le guide à travers ses écrans. Ses doigts d'agitent au-dessus des touches à une vitesse folle, insaisissables. Soudain, il s'arrête net, l'index pointé au-dessus de la touche "entrée", comme si le temps s'était arrêté. Mais le frémissement qui parcourt son corps dément cette première impression. L'éclat de ses yeux se renforce encore. De l'autre main, il se frotte les yeux dans un geste qui trahit sa fatigue, mais qui ne perd rien de sa détermination première. Cependant, on voit bien que son hésitation n'est pas due à de véritables questionnements. On dirait plutôt simplement qu'il prie. Prie pour que son entreprise marche ? Sans aucun doute.

Enfin, après quelques secondes passées ainsi, il tape d'un geste brusque sur la touche et plisse ses yeux une fraction de seconde, ce qui fait ressortir ses profonds cernes. Quand il soulève ses paupières à nouveau, tout un réseau de petites images mouvantes s'étend devant lui. Des gens marchant dans des rues, prenant l'air sur leur balcon, achetant des produits en tous genres : les millions d'images de toutes les caméras qui couvrent Paris. Certaines restent noires, et on devine qu'elles devraient montrer le Quartier Gouvernement. Mais l'informaticien dédaigne ces pistes potentielles pour se concentrer sur une autre partie de Paris. L'espoir semble lui donner des ailes, ses doigts se font tremblants d'excitation et dérapent plusieurs fois, mais il se reprend sans même sembler s'en rendre compte. Des petites fenêtres de code apparaissent partout sur son écran, qu'il ferme les unes après les autres en quelques lignes à peine. Un sourire incontrôlé étire ses lèvres et soulève les petites rides au coin de sa bouche.

Après une dernière manipulation, un dernier claquement retentissant, une seule vidéo prend soudain la place de toutes les autres.

Cette caméra est manifestement accrochée au plafond : elle filme une pièce baignée d'ombre par le dessus. À première vue, l'endroit semble inhabité, à l'abandon. Aucun meuble ne décore la pièce sobre, délabrée. La tapisserie s'arrache par endroits. Mais en y regardant de plus près, on distingue une forme floue recroquevillée dans un coin. Squelettique, le corps - parce que c'en est bien un - bouge à peine, mais on perçoit tout de même un léger mouvement d'épaules irrégulier, comme celui que produit une respiration. Pas un souffle de vent ne vient agiter l'air qu'on devine lourd et étouffé, malgré la fenêtre entrouverte. Et soudain, alors que l'informaticien commençait à perdre patience, un mouvement transperce l'immobilité de la pièce. Le corps s'agite, secoué de soubresauts, et dans un effort démesuré, l'homme lève la tête pour révéler son visage émacié, comme appelé par une puissance supérieure à effectuer ce geste pourtant apparemment dénué d'intérêt pour lui.

Quelques rayons de soleil viennent se déposer sur le corps presque mort de fatigue, pour mettre en lumière le visage jusque là indiscernable.

Deux petits yeux enfoncés dans leurs orbites, noirs comme deux puits, fixent le plafond avec une lucidité déconcernante, comme s'ils savaient qu'une caméra se trouvait à cet endroit précis.

Alors, l'espace d'une seconde, on peut voir un visage qui n'a presque aucune similitude avec celui qu'il était avant, mais où l'on reconnaît tout de même quelques traits communs.

Les cheveux blancs, avant ras mais à présent légèrement repoussés.

Quelques couches de graisse fripées et difformes, seuls souvenirs de la masse imposante qui a été remplacée par une maigreur alarmante.

Les dents parfaitement alignées, au millimètre près, d'une blancheur éclatante malgré la crasse apparente dans laquelle il vit, qu'une bouche légèrement entrouverte laisse deviner.

Des lèvres luisantes de sueur.

À des centaines de kilomètres de cette petite chambre abandonnée, où un ancien membre éminent du Gouvernement a échoué pour disparaître, l'informaticien rebelle pousse un petit cri de triomphe incontrôlé et laisse enfin éclater la joie qu'il contenait jusque là.

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