Chapitre 8 - ALID

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Je reste affalée sur mon lit bien après le départ d'Allen.

Je n'ai pas été capable de le retenir.

Il est parti.

Ou plutôt, je l'ai laissé tomber, encore une fois.

Jusqu'à son arrivée, je dois avouer que je flottais sur un petit nuage. Pas le moindre souci n'arrivait à m'effleurer ; je planais trop haut, et dans ma tête, la situation actuelle s'apparentait à des enfantillages. Allen m'était totalement sorti de l'esprit, lui aussi. À vrai dire, je n'arrivais à songer qu'à une seule chose : Sacha.

Sacha, Sacha, et encore Sacha, au point que j'en ai totalement dénigré mon propre frère. Pour la première fois, nous nous sommes montrés totalement sincères l'un envers l'autre. Toutes les trahisons passées se sont effacées au profit de la vérité, de ces sentiments mutuels que nous ne sommes, ni l'un ni l'autre, arrivés à retenir. Autant lui que moi, nous nous sommes transformés en quelqu'un d'autre : il a oublié sa rage, sa cupidité, son passé à la DFAO, et moi, de mon côté, j'ai laissé tomber mon désir de vengeance ainsi que mon ressentiment. Nous avons fusionné pour ne devenir qu'une seule chose, partageant les mêmes sentiments, les mêmes émotions... le même amour. Alors c'est ce nom que je dois mettre sur notre relation ? De l'amour ? Mais comment pourrons-nous jamais être libres de vivre quand il reste un prisonnier et moi le visage de la rébellion qu'il a cherché à détruire toute sa vie ?

À nos yeux, nos différences ne comptent peut-être plus, mais à ceux de l'Organisation, et d'Allen également, elles sont comme autant d'obstacles infranchissables. Je sais au plus profond de moi que jamais personne ne sera capable de comprendre ce que je ressens quand je suis avec lui. Ces sentiments qui me font souhaiter qu'il soit libre, et surtout très loin de cet endroit où il est considéré comme un traître. Même si ça signifie qu'il s'éloigne de moi.

Voilà ce qu'ils ne peuvent pas accepter.

Que son bonheur m'importe plus que le mien.

Je dois avouer que j'ai moi-même du mal à me faire à ce nouveau mode de pensée que j'apprends à adopter petit à petit, mais je n'ai pas vraiment le choix, puisqu'il s'impose à moi avec une telle évidence que je ne peux plus le réfuter. Avant, quand je luttais contre mes propres sentiments, il m'était encore possible de prétendre être l'ancienne Astrid. Mais avec Sacha dans l'équation, je n'ai plus le droit de fermer les yeux, et je ne peux plus ignorer la fille que je suis devenue à son contact. Je sens mes pensées totalement affolées, mon corps vibre dès que je m'approche de lui. Et je me dis que si ma punition pour ce fruit interdit dans lequel je croque avec délectation, sont ces décharges d'électricité qui me parcourent, alors ce n'en est même pas vraiment une, mais plutôt un cadeau tombé du ciel.

Je secoue la tête avec horreur en réalisant l'objet de mes pensées. Après ma violente dispute avec Allen, je devrais être obsédée par le moyen de le ramener près de moi, mais le fait est que, encore maintenant, Sacha me semble être la seule chose importante dans ma vie. Malgré tout, mes yeux se perdent une nouvelle fois dans le vague et je me remets à songer au moyen d'abattre les derniers murs entre nous deux : ceux que l'Organisation ne manquera pas de créer à notre place.

Il n'y a qu'une seule solution à mon dilemme : je dois changer son statut aux yeux des rebelles, définitivement.

Effacer le souvenir de sa trahison, son passé à la DFAO, pour le faire devenir un membre à part entière de l'Organisation ; tant qu'il sera mon prisonnier, rien ne sera possible, et il m'obsède trop pour que je puisse me contenter de quelques nuits volées aux caméras. Etre son infirmière ne me suffit pas. J'ai besoin de plus.

J'ai besoin de lui.

Encore.

Pour la première fois, ce constat ne m'effraie pourtant plus, et je n'arrive pas à me sentir vulnérable à cause de mes sentiments. Si cette dépendance qu'il crée en moi est une faiblesse, alors soit, je suis prête à l'accepter. Et s'il me faut la défendre pour ne pas succomber, en y mettant toutes mes forces et toute mon énergie, alors je le ferai. Ce qui m'inquiète plus, c'est où dépenser cette énergie nouvelle, vibrante, débordante, qui afflue dans chaque cellule de mon corps.

Je m'allonge sur mon lit avec un gros soupir, peu convaincant puisqu'il est teinté d'autant d'extase que de lassitude, et je recommence à réfléchir.

Dans mon esprit, Allen et ses yeux gris ont déjà été remplacés depuis longtemps par le visage de Sacha penché sur moi.

*

Je sursaute et émerge petit à petit des limbes du sommeil, tout en comprenant au même instant que j'ai donc dû m'endormir. Je regarde le petit réveil à côté de moi, qui indique 15h16, et j'ai une pensée fugace pour mon cours d'informatique j'ai séché, pour la première fois sans faire exprès.

Je sais pourtant que je joue mon rôle en me montrant si laxiste, et je me promets intérieurement de me montrer plus sérieuse à l'avenir. Même si la relation toute neuve que j'entretiens avec Sacha fait paraître bien des choses moins importantes, mon désir de venger mon peuple reste bien présent, et je suis toujours aussi désireuse de mener à bien le plan de l'Organisation. Peut-être même plus, à présent qu'un nouvel enjeu se présente encore. Peut-être que si Sacha se montre utile, il aura droit à une place dans le nouveau que je m'échine à créer ? Mais je sais en mon fort intérieur que cette décision ne dépendra pas vraiment de moi : si nous gagnons, même Marshall ne sera plus en mesure de contenir les rebelles. Voilà pourquoi Sacha doit gagner la confiance de l'Organisation au plus vite... avant la mission.

Nous donner les plans de Chicago sans protestations est déjà un pas dans cette direction, mais encore une fois, même si je suis convaincue qu'il n'a pas essayé de nous piéger, je suis bien la seule à le croire.

Je lève les yeux vers la couchette supérieure en songeant avec nostalgie que, si je n'étais pas la seule femme de ce complexe, quelqu'un dormirait probablement dans la même chambre que moi : seulement, dans la situation actuelle, nous ne sommes pas en manque de place, et je serais de toute manière bien incapable de trouver le sommeil en présence d'un homme après ce que j'ai dû faire avec Willer. Un agréable sentiment de surprise me traverse quand je me rends compte que je pense à lui pour la première fois depuis deux jours : il n'est pas dans mes habitudes de rester si longtemps tranquille dans ma tête, sans son souvenir pour venir me hanter. Mais bien plus étonnant encore, je n'ai pas non plus songé à lui lorsque j'étais avec Sacha : ni avant, ni pendant, ni après. Comme si mon corps n'avait pas été traumatisé, comme s'il n'en gardait pas une cicatrice bien trop profonde pour se refermer un jour. Non, je ne me souviens pas d'avoir souffert, d'avoir eu peur, ou encore d'avoir fait quelque parallèle entre Willer et Sacha, cette nuit.

Willer.

Le Centre de Contrôle des Puces, ou CCP.

Les puces!

Je me relève si brusquement que ma tête cogne contre les barreaux métalliques du lit superposé, mais je n'y prête guère attention, trop occupée par le flot d'information qui traverse mon cerveau. Comment ai-je pu ne pas y penser avant ? En dehors de toutes les questions évidentes de confiance, l'Organisation ne pourra jamais faire de Sacha son allié tant qu'il sera soumis à une des puces du Gouvernement! La première étape est donc bien évidemment de la lui retirer.

La question qui se pose à présent est donc : pourquoi ne l'ont-ils pas fait avant ? Après tout, même si le bunker bloque toutes les ondes extérieures, sauf celles spécialement autorisées, on ne pourra jamais être totalement sûrs que les puces ne fonctionnent pas ici. Alors, pourquoi n'ont-ils pas directement procédé à une opération sur Sacha pour prévenir tout risque ? C'est totalement insensé, sauf si... sauf si je ne suis simplement pas au courant.

Cependant, je refuse d'envisager une telle possibilité : pourquoi me maintenir à l'écart, quand j'affichais ma haine partout où j'allais il y a encore quelques jours ? Cette information n'aurait eu aucun impact sur l'ancienne moi, et je ne peux tout simplement pas croire que Marshall m'ait caché une telle chose. Après tout, il s'est toujours montré honnête et transparent avec moi au sujet de Sacha, me tenant informée de la situation chaque jour quand Allen me refusait ce droit pour me "protéger". Il est la seule personne en laquelle j'aie totalement confiance ici, même si je me sens coupable de ne pas inclure Allen dans ce cercle restreint : mais une étrange impression de trahison, m'interdit de lui en dire plus, la même qui est intervenue tout à l'heure et qui a tout fait basculer. Je n'arrive pas à mettre le doit sur ce sentiment, mais c'est comme si j'avais peur que ses émotions ne l'emportent. Et s'il me trahissait à son tour en cherchant à me préserver ? L'un des plus gros défauts de mon frère, c'est de croire que je suis vulnérable. Il pense être en devoir de m'éviter le danger à tout prix, à chaque fois, mais ce qu'il ne réalise pas, c'est que je l'ai affronté au moins autant que lui : je suis tout à fait à même de me défendre par moi-même.

Voilà sans doute pourquoi je ne peux pas lui faire confiance totalement : tant qu'il ne me considérera pas comme une personne intègre, et non pas comme sa protégée, il représentera une menace au même titre que tous les autres rebelles, qui guettent le moindre de mes faux pas.

Je pousse un gémissement étranglé en formulant cette pensée, mais elle n'en reste pas moins vrai. Mon propre frère, mon premier allié, est devenu mon ennemi. Pour la première fois, je quitte le petit nuage sur lequel je flottais et retombe durement dans la réalité. Ce retour dans un monde bien trop cruel me fait mal, mais rien ne me pourra être plus dur que de réaliser pleinement ce que je lui ai fait : sa tendance protectrice envers moi ne justifie pas non plus le traitement que je lui inflige. Il subit autant que moi, et il est de mon devoir de le soutenir dans cette épreuve, mais certainement pas de le repousser. On dirait que les derniers mois ne m'ont rien appris : je répète exactement les mêmes erreurs!

Je cherche désespérément à remonter là où j'étais il y a quelques instants à peine, mais mon apaisement s'est définitivement évanoui, alors, pour chasser la souffrance loin de moi, je reprends mes anciennes méthodes : m'occuper l'esprit ailleurs. En l'occurence, la tâche qui me semble la plus urgente est Sacha, puisque j'ai séché ma formation informatique du matin et que les simulations de mission ne sont pas encore au point. En tems normal, j'aurais couru jusqu'au centre d'entraînement, mais je suis fatiguée de fuir. À présent, je veux agir.

Alors j'enfile mes bottes d'un geste assuré et je me précipite dans le couloir pour rejoindre le bureau de Marshall.

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