Chapitre 2 - SACHA

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Je ne suis pas dupe.

Dès l'instant où Astrid est entrée, j'ai remarqué que quelque chose n'allait pas. Le fait que nous étions observés explique en partie son comportement, mais il y a quelque chose de plus, je le sens. Quelque chose, indirectement, a aussi rapport avec moi. Sa gentillesse à mon égard prend-t-elle fin ? Qu'est-ce qui a pu la faire changer d'avis ? Je sais que mes actes sont loins d'être excusables, mais j'avais l'impression qu'elle commençait à me pardonner, et je la connais assez bien pour savoir que sans un nouvel élément important dans l'équation, elle n'aurait pas changé d'avis. Pas ainsi en tous cas.

Cependant, enfermé dans cette cellule, je ne peux rien faire, ni pour comprendre ses doutes et ses appréhensions, ni pour l'aider à les surmonter.

L'aider.

Je pourrais presque sourire en songeant à quel point notre relation a évolué depuis notre rencontre. Nous nous sommes trouvés entre mensonges et trahisons, chacun d'entre nous cachant à l'autre toute une batterie de choses. Pendant que je croyais la manipuler, c'était elle qui me retournait contre mon propre camp, du moins à l'époque. Mais un imprévu est vite venu bouleverser la donne : ce qui fait de nous des êtres humains. Les sentiments. Encore aujourd'hui, la situation reste ambiguë entre nous, et je sais qu'elle n'est pas encore prête à accepter quoi que ce soit venant de moi. Moi non plus, à vrai dire, même si j'aimerais bien le croire. Aujourd'hui, après ces débuts tumultueux, nous voilà ensemble de nouveau, et les secrets qui nous servaient de barrière se sont transformés en une vitre blindée, des caméras... Aucun de nous deux ne peut oublier que je suis son prisonnier, et elle ma geölière compatissante, ni moi dans mon orgueil blessé, ni elle dans ses questionnements. Je me doute bien de l'inconfort dans lequel je dois la mettre face à l'Organisation. Tous doivent se demander ce qu'elle peut bien me trouver, pourquoi elle insiste pour me soigner, me cotoyer. Comment maintient-elle la face, de son côté ? Quels mensonges leur a-t-elle servi ? Et moi, comment suis-je censé mentir au monde entier quand chacun de ses gestes me rappelle que c'est elle, la fille que j'aime, et pas une inconnue ?

Quand je songe que tout aurait pu être tellement plus simple si notre nature humaine ne s'en était pas mêlée, le regret et la joie se mêlent en moi : le bonheur de ces quelques instants partagés vaut-il le sort que j'ai subi depuis mon arrivée ? Le poids de ma trahison ? Je me retrouve en quelque sorte à la rue, sans aucun objectif à défendre puisque les deux partis me rejettent. Qui suis-je ? Quelle cause est-ce que je sers réellement ? Celle pour laquelle on m'a éduqué, celle de mon enfance, qui ne pourra jamais s'effacer totalement, ou celle de mon coeur, qui brûle dans mes veines, celle dont Astrid m'a convaincu qu'elle était juste ? Aucune de ces questions ne trouvera jamais de réponse tant que je serai ici, mais en même temps, je n'aurai jamais aucune chance de sortir. Si l'Organisation mène à bien ce plan mystérieux que je peine à cerner, je serai traité en paria. Je n'ose même pas imaginer quel sort on me réservera en tant qu'ancien capitaine de la DFAO. Mon ignorance dans toute cette affaire ne changera rien : le peuple voudra du sang. Le peuple voudra sa vengeance, les femmes en premières. Et moi, je serai l'exemple. Mais si l'Organisation échoue, je verrai Astrid mourir sous mes yeux, sans pouvoir rien faire. Je perdrai la seule personne qui a jamais compté pour moi pour revenir dans un monde qui me répugne à présent, sans que personne ne me fasse jamais confiance. À la place qui était la mienne.... avant. Et je devrai mentir pour le restant de mes jours si je ne veux pas subir le même sort que tous les autres.

Aucun des deux avenirs qui s'offrent à moi ne me sera bénéfique. Dans tous les cas, je suis condamné à rester un pion errant, ou un parjure. Et pourquoi ? Parce que je n'ai pas su choisir. À une époque pas si lointaine, j'aurais accusé Astrid dans mon esprit, et sa culpabilité partielle aurait ravivé une haine encore bien plus brûlante à son égard. Mais à cette époque, j'étais convaincu que la DFAO agissait pour le bien, donc la question de ma trahison ne se serait même pas posée. Aujourd'hui, j'essaye de refouler celui que j'étais avant, l'homme plein de rage qui ne vivait que pour sa vengeance. J'essaye de changer. Pour elle. Parce que ce n'est pas de sa faute, et ça, je l'ai bien compris : au contraire, c'est de la mienne. De celle de mon père, de Christian Carren, et de tous ceux qui nous manipulent depuis le début, tous autant que nous sommes. De celle des instigateurs de cette folie, qui nous ont plongés dans une nuit éternelle. À son contact, j'ai appris à différer ma colère. À la diriger contre les véritables coupables.

À son contact, j'ai ouvert les yeux sur la vérité.

Et maintenant, que puis-je faire pour la remercier ? Tant que je suis ici, je suis inutile, et je suis déjà fatigué d'être son poids mort, le patient blessé qu'elle doit soigner et protéger. Je veux me frayer mon propre chemin, me créer ma propre place au sein de l'Organisation. Je ne vois qu'une seule solution, un seul objectif à atteindre qui me paraît bien plus impossible que tous ceux auxquels j'ai pu rêver jusque là : devenir moi-même un rebelle.

Trouver ma place, pour cesser d'être sans cesse pris entre deux eaux.

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