4 - On pense avec des mots, et rien d'autre

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Il existe des mots morphines. On les utilise volontiers dans nos conversations et nos réunions. Ces mots apaisent, ils ne choquent pas, ils ne froissent aucune culture et permettent pourtant de parler. Mieux même : si on les utilise massivement, on parvient à trouver à coup sûr un consensus.

Comment cette bonne nouvelle est-elle possible ?

La réalité est simple : on pense avec des mots, et rien d’autres. Ce sont eux qui articulent les idées entre elles, ils sont le sang et le réseau du raisonnement. Notre pensée est esclave des mots. Si nous sommes convaincus, ce n’est pas tant dû à notre personnalité qu’à la dépendance des mots, ou à leur façon de relier malgré nous les raisonnements et – de fait – la “vérité”.

On sous-estime, et parfois on nie, le rôle du vocabulaire dans l'illusion qu'on se fait de soi et dans notre conception du monde. Peut-être est-ce là un vieux relent malheureux du débat jamais clos du libre arbitre ? Ah, ça, c'est pour une autre fois !

Les mots ont un sens, ils portent une idéologie, une force logique. Aucun n’est neutre et tous font un travail au-delà de la simple représentation. Le danger vient quand on associe un mot avec un nécessaire, un mot avec une philosophie, un mot avec un affect. Quand on espère, naïvement, qu’il sera rendu par le vocabulaire sincère et universel.

Mais le signifiant travestit toujours le signifié. Dès qu’un mot est utilisé, il trahit l’idée, il lui offre une puissance, un rythme, un imaginaire, une orientation et un contexte étranger. Là se pose la question de la relativité de la vérité mais, surtout, de savoir quel vecteur donner à notre volonté. La pensée devient un choix arbitraire, matériel : la logique est d'un coup dominée par une sous-logique dont on est maitre des règles... Un dur choix que nous impose l’étrangeté du langage face au monde réel ! Mais choix que l’on ne peut fuir.

Il arrive alors, par la force des choses, que certains mots viennent à mélanger une symbolique morale, une pensée technocratique, une fausse impression de science. Jusqu’à, finalement, parvenir rien qu’avec un mot, à lisser à la perfection toute volonté, même quand elles sont violentes. Il est devenu impossible par ce mot de raisonner largement. Vicieux, ils nous condamnent à une conclusion, simplement parce que les autres “choix” sont impossibles à formuler. Ce ceux eux, les mots morphines.

Un vocabulaire de flûte que l’on retrouve partout dans le langage technocratique. Celui-là aime les mots doux menant à des raisonnements logiques et dépassionnés, partiels et froids. Il y a là un mécanisme avec lequel l’autorité bureaucratique se constitue. Il conduit à une expression logique, à une illusion de consensus, à une attitude déresponsabilisée.

Quand tout devient technique, il n’y a rien à faire.

Quand tout est basé sur des lois, il n’y a plus que des papiers à signer.

Quand il n’est jamais question d’affect et de passion, on ne touche que la surface des choses.

Quand on ne laisse aucune expression au réel, rien n’est jamais décidé pour et par lui.

Alors, naturellement, par les mots, on forge les actions et les pensées.

Simplement en répétant des termes, on devient impuissant.

Ici se niche, perverse et insidieuse, la domination du capitalisme.

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