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Le SAS et les groupes de travail ne restaient pas les bras croisés. Puisque l’horizon se dégageait, il fallait anticiper, pour une fois, et réfléchir à des messages un peu plus élaborés. Bien entendu, plusieurs écoles s’affrontaient. La première avait bloqué les travaux pendant longtemps. Sa doctrine se résumait en termes simples : « Moins on en dit, plus ça porte ! ». En effet quelques mots creux permettaient à chacune de mettre ce qu’il voulait dessus et d’emporter les adhésions. Ils prenaient exemple sur le créateur du mouvement qui, finalement, avait été peu disert.

L’autre école se déclinait en multiples chapelles. Édicter quelques principes moraux permettait de mettre la société sous contrôle. Par les temps qui couraient, quand on voyait ce qu’on entendait, cela paraissait nécessaire.

Heureusement que la NEC était également pourvue de ces puissantes machines à penser. Les KACA se répandirent les uns sur les autres, se mélangeant dans la computation des historiques, avant de pondre des messages d’une banalité puissante : « Paix sur la Terre », « Aimez-vous les uns, les autres », « Respecter votre voisin », « Le poumon, vous dis-je », « Payer votre participation », etc.

Le SAS parcourait les listings sans papier des propositions, dubitatifs sur la puissance de raisonnement de ces machines.

Uriel dut apprendre à réciter des paroles, mais il apparut très vite qu’il avait une voix de crécelle peu adaptée à la teneur du message et, surtout, qu’au-delà de dix mots, il s’embrouillait la mémoire.

La solution de lui greffer d’autres cordes vocales s’imposa. Après de laborieuses recherches, un jeune chanteur fut choisi. Heureusement, il décéda alors dans un malencontreux accident et put ainsi faire don généreusement de son organe. Matou avait accepté, toujours soucieuse de progrès pour son cher petit poulain.

Uriel acquit ainsi une voix mélodieuse, mais il restait toujours incapable d’aligner dix mots. C’est alors que les puissants eurent l’idée de se venger de Totor. L’ourdissage laissait place à l’action !

Leur argumentation faillit aboutir : ils avaient sous la main un cerveau pas trop dysfonctionnel, greffable sur le corps de l’Ange ! On pouvait disposer d’un outil de premier plan.

Les greffes de cerveau étaient au point, même si les résultats pouvaient aboutir à des difficultés. On se souvient du mouchien, première tentative parfaitement viable. Voir le mouton courir après un bâton ou lever la patte pour uriner démontrait la réussite de l’expérience, même si l’animal refusait maintenant de manger de l’herbe, préférant les croquettes, ce qui entraina sa mort par inanition. Les savants, toujours curieux, se refusaient encore à certains assemblages inattendus, comme le loup et le garou, la chauve-souris et le glouton, la vache et le prisonnier,

Bien entendu, la première tentative sur des humains ne tarda pas. Comme elle s’était déroulée sur des sous-hommes, les expérimentateurs ne purent jamais prouver que la greffe était réelle, puisque le résultat ne différait pas des originaux avant le transfert. Cela n’empêcha pas des puissants de recourir à cette greffe dans l’espoir de survivre indéfiniment. Craignant quand même un peu les conséquences, ils avaient attendu longtemps avant de faire transférer leur cervelle. Un peu trop, car il apparut que mettre un cerveau gâteux sur un corps de jeune fille aboutissait à un résultat désastreux.

Mais cette technique avait fait ses preuves et les tenants d’une fusion Uriel-Hector avançaient leurs pions. Matou, qui, normalement, aurait dû donner son aval, était en vacances avec Jason. Le moment avait été habilement choisi et la procédure d’urgence déclenchée fallacieusement.

Ayant eu vent de ce projet, Hector avait beaucoup réfléchi. Il était seul et devait se défendre. Malgré leur amitié, il n’était vraiment pas chaud pour se laisser démonter. Alors que le SAS devait débattre de cette idée, il s’invita simplement à la réunion. Devant la stupéfaction des assemblés, sûrs de leurs qualités et de leur mission, il prit simplement la parole.

— Je crois que nous sommes un peu concernés par vos décisions. Même si vous avez acheté des droits sur nous, nous pouvons toujours faire ce que nous voulons. Uriel m’a demandé de le représenter.

Ce n’était pas tout à fait exact, Uriel ignorant ces réunions et bien incapable de comprendre de quoi il s’agissait.

— Réfléchissez un peu ! Vous avez un Ange qui fait ce que vous voulez. Vous avez un Servant, parfois rebelle, je le reconnais, qui vous aide à faire agir le prodige. Si vous mettez le rebelle dans l’Ange, il risque de refuser sans cesse. Vous n’aurez plus le servant pour vous aider. Et puis, vous vous exposez à tout perdre si l’Ange est abîmé.

Qu’un gamin pose les problèmes aussi simplement les étonna. Après tout, ça marchait bien comme c’était, il fallait reprendre les tournées, une nouvelle convalescence allait tout retarder. Bref, il avait raison ! Les plus hargneux furent mis en minorité. Tancrède acheva le travail en positionnant les complotistes plus avantageusement sur le planning, bien que les créneaux, avec la tournée mondiale, se raréfiaient. Mais une promesse intenable vaut mieux qu’une rancœur rance.

Hector en profita. Il exigea de modifier le nom de l’Ange en ajoutant « et son servant », dans la même police et la même taille de caractère et qu’il soit systématiquement sur les photos. Il en avait simplement marre de ne pas être aussi bien traité que son ami.

Les membres éminents du SAS comprirent immédiatement qu’ils avaient tout à gagner, car, dorénavant, c’est ce petit jeanfoutre, qui les emmerdait et les restreignait, qui serait responsable de tout. De plus, lui expliquer à lui serait plus facile qu’à l’autre demeuré.

C’est ainsi que la raison sociale de l’opération changea. Hector devint le Servant.

Pour parachever, Tancrède coopta Hector comme membre permanent du comité de surveillance du SAS. On fit remarquer, encore une fois, à Tancrède qu’il n’y avait qu’un comité au SAS, sans attribut. Il haussa les épaules devant cette pauvreté.

Tout avait été pensé et préparé, il ne s’agissait plus que de faire tourner le nouveau produit.

Le retour de l’Ange fut un succès mondial, accompagné de bouleversements économiques, politiques, puis guerriers. La routine.

La nouveauté de sa parole raviva l’intérêt. Après une longue introduction mélangeant battements d’ailes dans les airs, musique grandiose, simulations de réflexion et d’extase, mouvements de bras, la salle était prête, les fidèles, complètement abêtis par l’extase, offrant généreusement leurs minutes de cerveau, les messages pouvaient être lancés. L’Envoyé se penchait alors vers son Servant pour lui susurrer quelques mots, que ce dernier reprenait à voix forte. Quelques évanouissements, puis tous repartaient avec ces paroles divines en tête, ce qui empêchait la moindre réflexion sur leur teneur. Pour cela, les officiants avaient été formés à l’exégèse, qui se réduisait à : « Croyez, Obéissez, Payez ».

Rien n’avait fondamentalement changé, mais la présentation modernisée suffisait à créer la nouveauté, indispensable à la fascination des foules.

Les costumes avaient été très travaillés, et on avait fait appel aux plus grands couturiers pour avoir un drapé qui masquait la particularité secondaire, dressée en permanence. Franchement, le résultat était pour le moins curieux, malgré la créativité. Inconsciemment, tous butaient sur cette faribole d’absence de sexe pour cette espèce.

Ce silence et ce masquage maladroit soulignaient trop l’irrésolution du problème. Il ne faut donc pas s'étonner que cela ait dégénéré en révolution.

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