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Les demandes des notables, dictateurs, dirigeants, dignitaires, ploutocrates et autres imbus d’eux-mêmes s’allongeaient dans une liste sans fin. La CUCUL poursuivait son harcèlement, au bord de la faillite et de la déroute, par manque de résultats concrets. Il était question de la perte de dix emplois équivalents plein-temps ! Il y avait le choix et tout ceci apparaissait monnayable à souhait. Le coup de génie, revendiqué par HDP, alors que c’était le stagiaire qui l’avait émis, fut de choisir la masse et la rareté. Une communauté religieuse obscure était soigneusement choisie, en faisant tourner l’obédience, histoire de prouver l’œcuménisme des chalands, puis on organisait une apparition de l’Archange, autorisé maintenant à dévoiler son nom, puisque tous les brevets directs et dérivés avaient été déposés pour le monde entier. Sans prévenir, on le faisait arriver derrière l’officiant officiel, agiter les ailes, clamer « Je suis Uriel », rien de plus, et avoir un geste de pseudo-bénédiction, avant de s’éclipser, laissant l’assemblée émerveillée en transe. Des vendeurs, positionnés habilement à la sortie, distribuaient gratuitement des médailles, en sollicitant une participation d’au moins cinquante néo-euroubles, à raison d’une seule par individu. C’était la seule occasion d’acquérir une de ces médailles, qui se revendaient des milliers de néo-euroubles au marché noir. Elles incorporaient un dispositif d’identification pour empêcher les fausses médailles, qui proliféraient sans vergogne. Régulièrement, un scandale de saisie de contrefaçon donnait un coup de pouce à leur valeur d’échange. Les consultants de HDP voyaient leurs primes attribuées en dizaine, voire en centaines de médailles, dont la valorisation dépendait de leur hargne à se battre pour la victoire.

Bien évidemment, par un heureux hasard, une des églosquées de la CUCUL était choisie. HDP était convaincu de la nécessité d’avoir des relais dans la vie civile, surtout s’ils étaient rémunérés par des promesses. Il réfléchissait à une mise en concurrence, toujours porteuse d’une saine émulation.

C’est ainsi qu’apparurent les FOU, les Fidèles Obligés d’Uriel. Contrairement aux adeptes de la CUCUL, les FOU ne construisaient rien, sous le prétexte de leur intégration dans le monde réel, IRL, aimaient-ils dire, selon une expression datant du début du virtuel. Cela économisait également de l’énergie et des ressources financières, nécessaires à la promotion du message de l’Ange et à ses promoteurs. Le système, très simple, visait à convertir le monde entier. Un Fou devait, pour prouver son engagement, verser une inscription très importante. Le montant en était tenu secret, par respect de l’effort fourni. Il devait également convaincre deux autres personnes de devenir Fou. Cet engagement était renouvelable tous les ans, et un simple calcul montrait qu’en 15,42 années, le monde serait devenu Fou.

HDP maintenait ses deux fers au feu, car il avait besoin de la CUCUL pour les apparitions. Un accord avait été conclu, ce qui permettait à la congrégation de participer à l’effort de guerre. Les Fous prosélytant dur, bientôt une grande partie des adeptes étaient devenus des fidèles, car déjà convertis. Les deux organisations, l’officielle et la reconnue, n’avaient d’autre mission, en dehors du soutien financier, que de bouffer toutes les autres officines qui tentaient de se mettre en place. Rachats, absorptions, argumentations ou coups de force maintenaient le terrain net.

Les autres apparitions se vendaient comme des petits pains. C’était une excellente stratégie, car, quelle que soit la religion, les fidèles se proclamaient pro-Uriel, rapidement déformé en Pluriel : « Nous sommes Pluriels ! ». Si on ajoute des groupuscules factieux, revendiquant une particularité quelconque, l’unanimité s’était faite sur l’adoration de l’Envoyé, ce qui ne changeait strictement rien sur le fonctionnement du monde, Dieu merci.

Si les guerres, les épidémies et autres catastrophes ne se sentaient pas concernées par les battements d’ailes, en revanche, les flux financiers avaient été modifiés. Les ponctions angéliques n’étaient plus anodines et les récipiendaires coutumiers constatèrent une baisse de leurs revenus. Ces variations étaient surveillées comme le lait, maintenant réservé aux nantis, sur le feu, maintenant apanage des puissants. Le petit ange pouvait tirer les marrons du feu et en profiter, bien entendu, mais il fallait lui fixer des limites. Les chiens de garde fiduciaire furent envoyés, réclamant des impôts des taxes et autres redevances omises. Les fiscalistes d’HDP avaient anticipé, attendant seulement la sollicitation pour participer à l’effort national de reconstruction. Un gentlemen-agrement fut conclu, très simplement.

La négociation avec les autres puissants se présentait plus délicate. Si chacun avait son pré carré, la convenance voulait qu’on s’échange par amitié quelques actions, pour que tous profitent sereinement, et se mettent à l’abri des aléas. HDP avait réussi son coup en entrant ainsi dans la classe des grands.

Malgré la faiblesse de ses prestations et de ses apports, l’Ange avait donc révolutionné le monde, lequel s’était adapté. Les plus fins analystes et chroniqueurs soulignèrent que, peut-être, ce qui rassemblait le plus les hommes était la vacuité.

Les très rares sceptiques, voire indifférents, mais jamais opposants, se recrutaient chez les intellectuels savants, un peu rabougris. Par coquetterie, ils se faisaient appeler les Gibelins, en souvenir d’une faction lointaine qui s’était opposée au pape de l’époque, mais tout le monde se foutait de cette référence incompréhensible, sauf eux, fiers de leur particularité et de leur savoir, traitants les gueux de Guelfes.

Les masses étant conquises, on pouvait satisfaire la soif des grands de rencontrer l’Envoyé, qui prenait dorénavant une majuscule et des émoluments. Conscients que le petit numéro d’ébats ne suffirait pas, ils (encore un stagiaire !) eurent l’idée de lui faire prononcer une phrase : « C’est bientôt l’heure ! ». Malgré leur haut rang (ou à cause / intervention humaine de correction sollicitée), chacun avait à craindre le jugement d’une entité supérieure, qui, jusqu’à présent, les avait laissés mener leurs petites affaires, moyennant quelques tours de passe-passe magiques. C’est donc l’air grave qu’ils quittaient l’entrevue, remerciant généreusement cette pythie moderne, ayant honoré l’apparition selon le prix fixé auparavant par contrat, selon un tarif dégressif et une remise en cas de publicité.

Le business tournait pour le plus grand contentement de tous. Le gamin s’amusait de la mine des gens qu’il rencontrait, prenant petit à petit conscience de sa particularité, qui ne tenait pas qu’à ses ailes. Pas plus différent que les ados de tout temps, sans prévenir, ce petit con fit sa crise.

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