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Sous prétexte que c’était un « chinetoque » (sic), Uriel refusa de faire son petit tour devant le PAV des États de Chine et d’Amériques Unis. L’affront était de taille ! La véritable raison fut tenue secrète et seule une raison de santé empêcha cette cérémonie, reportée d’une semaine.

Cette fois, ce fut la gestionnaire, qui avait le même type d’emmerdeur chez elle, qui trouva la solution. On sortit le père de sa retraite en lui faisant comprendre qu’il fallait remettre son rejeton dans le droit chemin. Il prit sa tête à distribuer les torgnoles et tout se termina heureusement, le PAV des ECAU se montrant compréhensif. Il était venu incognito, avec un convoi discret de trente-deux voitures seulement. Pas question que le Parti, dont il était le chef suprême, apprenne son approche d’un phénomène réputé religieux.

Résolu, avec efficacité, dans l’urgence, il fallait traiter le problème au fond. Trois psychologues furent appelés, rejouant sans le savoir la scène du Malade imaginaire. La thérapie variait du coup de pied au cul à l’attente, car tous les ados en étaient sortis avec l’âge.

La deuxième crise se termina par une baffe paternelle, déclenchant une réunion des vingt-trois membres du staff en urgence, après renvoi de l’autorité parentale à ses chères études. Cette fois, il fallait mobiliser les KACA ! Il ne s’agissait plus d’utiliser la version de base courante, que tout le monde appelait LIA, et dont on avait oublié l’origine de l’acronyme. Il s’agissait de machines ultrapuissantes, dévorant la moindre miette d’information pour s’alimenter.

Quelques années auparavant, un groupuscule de forcenés avait réussi à convaincre le NON, la Nouvelle Organisation des Nations, qui n’étaient plus trop unies sur quoi que ce soit, à réserver le terme d’intelligence aux humains, bannissant ainsi le terme d’intelligence artificielle. Immédiatement, d’autres groupuscules de défense animale avaient surenchéri en faisant étendre cette appellation d’intelligence à tous les êtres biologiques vivant non modifiés génétiquement. C’est alors qu’était apparu aux États-Unis de Chine et d’Amérique le terme de Knowledge accumulation computer automate, les fameux KACA. Seule une poignée de Québécois attardés lui préféraient le mot de MASSE, pour Machine à Accumulation de Savoirs Synthétiques Elémentaires.

Alors que tous ces cerveaux puissants étudiaient ces flots sortant des KACA, Uriel s’en alla, puisque personne ne faisait attention à lui.

Il en avait franchement marre de ces conneries. Il partit donc, tranquillement. Les gardes de l’entrée se figèrent en voyant débouler l’individu le plus célèbre du monde, ignorant jusque là l’objet de leur vigilance. Les ordres étant de ne laisser entrer personne, pas d’empêcher ce demi-dieu de sortir, ils le regardèrent s’éloigner, ressentant une anormalité sans pouvoir la formuler, mais sachant que tout rapport à la hiérarchie n’apporterait rien de bon à leur carrière de cerbère.

Uriel fut surpris : c’était la première fois qu’il voyait la campagne, uniquement verte. La première canicule avait été trop brève pour griller de jaune les paysages. L’odeur était particulière, pas désagréable, l’air doux. Il étira ses bras et ses ailes, il se sentait bien, loin de cette cohorte qui ne lui laissait aucun moment de libre. Il fut surpris des hautes et impressionnantes rangées de barbelés qui protégeaient les rares bovins encore tolérés pour assouvir la carnasserie des ploutocrates. Ignorant l’existence de ces animaux, il imagina qu’ils étaient des monstres dangereux et s’en écarta. Quand l’un d’eux se redressa sur ses pattes, curieux du promeneur, et émit un meuglement, il déclencha une panique qui fit presque s’envoler le petit citadin de la cité recluse. Ah, si son père avait pu voir ça, il aurait été fier ! Il s’arrêta à bout de souffle cent mètres plus loin, à l’entrée d’une forêt, tout aussi inquiétante. Il regrettait un peu de ne pas être pris en main et protégé contre tout, cela avait du bon !

Il prit le chemin qui descendait, renâclant au moindre effort. Le calme revint dans son esprit, malgré les ombres et les bruits étranges de ce lieu. Arrivé à un pont enjambant un ruisseau, il s’arrêta, se demandant où aller, quoi faire, regrettant son départ, d’autant que c’était l’heure de manger. Son regard fut attiré par une chose curieuse qui s’agitait au bord de l’eau. Il finit par reconnaitre une paire de fesses appartenant à un garçon accroupi au bord de l’eau. En se déplaçant, il vit un petit moulin que le gamin tentait de faire tourner. C’était apparemment difficile. Curieux du résultat, il descendit le rejoindre. L’autre, tout à son affaire, le salua sans le regarder, puis lui demanda son aide. Une fois le petit attirail moulinant joyeusement, ils s’assirent pour le regarder tourner. Hector, dit Totor, s’amusait du résultat, son visage déluré de blondinet rayonnait. Ils commencèrent à parler technique de moulin, puis de rien, heureux de partager ce moment. Un remous emporta l’installation avant qu’ils aient pu se lever. Uriel consola Totor en lui disant son admiration pour cette réalisation. Ce n’est qu’alors que ce dernier remarqua la particularité de son camarade, ponctué d’un « Ah, c’est toi ! ». L'évadé ne comprit pas comment le local l’avait reconnu, puisque lui ne connaissait personne. Après un silence, Totor, curieux de nature, commença à lui poser plein de questions. Est-ce que ça gênait, est-ce qu’il volait, est-ce qu’il fallait les laver, comment il se grattait quand ça le démangeait, est-ce que les plumes tombaient, est-ce qu’on pouvait changer leur couleur ? Uriel était aux anges, pour une fois ! Quelqu’un s’intéressait sincèrement à lui, avec gentillesse et empathie.

La dernière question ravit Uriel. Totor lui proposa donc de faire l’expérience et l’emmena chez lui. Ses parents étaient des gens importants et ils étaient en réunion avec le monde entier dans l’ancienne étable, le seul endroit où on captait les satellites : ils avaient le reste de la maison pour eux ! Totor tenta divers mélanges et dessins, se servant d’une glace pour montrer les résultats à l'interessé, qui était plié en deux. Les ailes étaient bariolées de partout quand ils entendirent de grands bruits dans la rue. Hector reconnut immédiatement les véhicules et les hommes en noir de la « grande propriété ». Uriel ayant dit qu’il venait de là, ils décidèrent de se cacher. Totor, qui avait exploré tous les recoins de la maison et du village, l’emmena dans un ancien pigeonnier, disant qu’au milieu d’autres oiseaux, ils passeraient inaperçus. Effectivement, la tour était occupée par quelques ramiers. L’odeur et les toiles d’araignée dégoutèrent le petit citadin, mais pour rien au monde, il n’aurait quitté son meilleur copain.

Sous les roucoulements, ils reprirent leur conversation. Uriel en avait marre de vivre avec des vieux et de voir défiler des mecs encore plus vieux qui le regardaient avec peur. Il aimait bien les visites aux assemblées, parce qu’il voyait de l’admiration et de l’amour dans les yeux des fidèles. Hector s’embêtait lui aussi. Il allait dans les meilleures écoles, faisait toutes les activités requises pour mettre sur un « Cévé » (quèsaco ?), avait des camarades chiants qui voulaient tous devenir PAV. Ses parents déléguaient éducation et amour. Ce qu’il aimait, c’était bricoler et faire des expériences. Il avait réussi à faire une explosion et à signer un engagement solennel de ne jamais recommencer. La poisse. Finalement, ils n’étaient heureux ni l’un ni l’autre, jusqu’à leur rencontre, se promettant de ne plus se quitter. Juste à ce moment, un drone se faufila, puis se mit à clignoter et à rugir. Les deux garçons bloquèrent la porte et l’habileté au lancer de cailloux de Totor mit l’engin à terre. Quelques coups de pied le firent taire. Le siège dura une heure, mais les rebelles finirent par se rendre sous les assauts des hussards de HDP. Les parents d’Hector, furieux d’avoir dû interrompre leurs pourparlers stratégiques, assistèrent à la reddition des malandrins. Les autres badauds avaient été écartés manu militari. L’ordre régnait à Valdieu-en-Perche. Pour éviter les troubles à la paix civile, les parents acceptèrent que leur fils chéri soit embarqué avec son camarade, puisqu’ils refusaient de se séparer. Les sbires avaient dissimulé sous une immense cape les attributs de l’autre garnement.

Ils furent rapatriés dans la forteresse.

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