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Matou s’en voulait. Le lancement était réussi, peut-être, mais il n’avait rien rapporté. Quand elle apprit le montant des recettes des petits futés, elle comprit, même sans être passée par une école de commerce, qu’elle avait raté une marche. Elle avait été trop vite, sans réfléchir. Il y avait du potentiel, mais il fallait le gérer !

Les analyses des spécialistes l’énervèrent. S’ils reconnaissaient tous la réalité de l’apparition, ils s’interrogeaient sur l’évènement : pourquoi avoir choisi cette cité « pourrie » (leurs termes respectaient les personnes et les biens, selon la convention de Bretzelburg) pour ce show ? Quel était le message sous-jacent ou sur-jacent ? Où allait-il se montrer la prochaine fois ? Les hiérarques religieux se disaient prêts à le rencontrer, à l’aider (leurs termes nuancés sous-entendaient « récupérer »). Que l’Ange donne ses conditions, sa volonté sera faite.

« Tous ces cons savants devraient plutôt dire ce qu’il va faire, plutôt que de poser des questions ! » Car elle avait bien compris que c’était à elle de se coltiner les réponses. Ce n’était pas Gérard qui allait l’aider !

Elle découvrit ainsi que la rareté augmente la valeur. Pendant qu’elle réfléchissait, le buzz de l’affaire s’amplifia et satura les actualités. Les catastrophes, le sport et l’élection de Mystère, Miss et Mister, Europe et Russie passèrent au second plan. Pourtant, cette cérémonie marquait l’acmé de l’année, présidée par la PAV en personne qui choisissait, en dernier recours, le plus beau, ou la plus belle de la sélection.

Le dénommé Gérard, qui avait suivi le mouvement, se laissait aller, puisque quelqu’un décidait. Comment acheter des écrans plats et des SUV ne lui sautait pas aux yeux, avec cette méthode, mais il n’avait pas envie de poser la question, sentant une tension chez Matou. Pour la détendre, il se contenta de l’honorer, avec force, virilité, et fugacité. Alors qu’il besognait, Matou réfléchissait à la façon d’alléger ce fardeau.

Uriel avait retrouvé ses céréales d’état qu’il engouffrait devant le poste s’empâtant comme un chérubin.

La tête de Matou tournait à toute vitesse. La situation devenait d’autant plus inextricable qu’une armée de gus avait envahi la cité, tous persuadés que l’Ange s’y terrait, ce qui n’était pas dénué de vérité. Entre nouveaux dévots, arnaqueurs, policiers à la recherche d’émeutiers, services secrets à la recherche d’un infiltré, émissaires des religions, cette faune se heurtait aux ayants droit de souche sur leurs murs, les bousculant dans leur torpeur et leurs trafics. Les bagarres éclataient sans cesse, les forces de l’ordre officielles regardant de loin, alors que les milices anti-racailles fonçaient dans le tas et la bonne humeur. Les médias officiels filmaient tranquillement, préférant finalement diffuser les images, plus originales, de la cause, un battement d’ailes, validant magistralement la théorie du chaos.

Tout ça, sans avoir touché un seul néo-euro ! Matou était vénère !

Heureusement, le déclenchement du quatrième confinement de l’année calma un peu l’affaire. Ce n’était qu’un petit confinement de pollution-canicule, une semaine ou deux, comme ceux des élections, pas un ou deux mois, comme pour les épidémies ou les nuages toxiques.

Matou voyait qu’elle n’avait pas su gérer l’affaire. Les petits malins de l’entrée avaient dû se faire de c… en or, plus que leurs petits trafics. Elle ne leur en voulait pas, et elle admirait même leur réactivité.

En revanche, le problème était la généralisation des profiteurs. Dès le lendemain, des centaines de sites étaient apparus, se revendiquant chacun comme le seul site « officiel », agréé par l’Ange, la Commission de Vérification des Sites, la PAV ou toute autre entité leur ayant effleuré le cerveau. Ils appelaient tous aux dons, en échange de vrais miracles, certifiés par huissier. Bien sûr, ils utilisaient tous des images synthétiques. Matou remarqua vite que la base de ces constructions mensongères se réduisait aux images de l’apparition, soit onze secondes ou sept secondes, pour les deux prises circulant. La répétition, la pauvreté et la fausseté ne pouvaient tromper que les imbéciles, qui se chiffraient par dizaines de millions déjà. Elle eut un frisson en convertissant les crédules en néo-euroubles.

L’idée s’imposa dans son esprit ! Elle n’avait qu’à faire un petit film ! Un vrai, un peu long, pour se réapproprier l’image ! Et en profiter pour créer le site vraiment officiel, réduisant les autres à une mendicité bien méritée. Curieusement, Gérard comprit immédiatement l’idée, ce qui la surprit, et Uriel, qui commençait à s’embêter, se déclara ravi de se prêter au jeu, alors qu’on ne lui avait rien demandé. Le costume, ils l’avaient, la mise en scène était sans importance, mais le décor posait problème. Le taudis de Gérard valait le sien et tourner en bas, dans la rue ou dans la polysalle était impossible, car ce serait l’émeute et l’identification du lieu de réclusion.

Le film était le premier problème : on allait trouver une solution. Le second problème, plus difficile, était de transformer l’opération en bonnes pépètes ! C’est encore une fois Gérard qui émit l’idée de génie :

— Ben quoi, tu fais un site payant ! Comme tous les autres !

Ça, elle y avait pensé, bien entendu. La vraie question était de ramasser le fric sans se faire taxer par les racketteurs d’état ou locaux et, surtout, sans révéler où le fric allait aller se planquer. Elle butait sur ce point depuis le début et finit par accepter que cela dépassait ses compétences. La solution, elle l’avait depuis le début, tout en la rejetant. Un seul avait ces connaissances, car il manipulait de grosses sommes : Jo ! Jo, le chef de la cité, qui, lui, avait fait la meilleure école de commerce, celle de la rue.

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